SURE : un premier pas vers une assurance chômage européenne ?

, par Mariano Fandos

Depuis 2015, la CFDT plaide, en lien avec la Confédération européenne des syndicats (CES), pour un système européen de réassurance chômage. Les systèmes d’assurance chômage nationaux sont très divers dans l’UE, tant du point de vue des publics concernés, que des conditions d’ouverture des droits, des durées et de montants d’indemnisation, de méthodes de gouvernance… Il serait donc extrêmement complexe de les harmoniser, chaque pays étant attaché, pour de multiples raisons, à son système. Par contre, il est possible de mettre en place un système de réassurance, qui ne touche pas aux systèmes nationaux, mais qui permette aux caisses d’assurance chômage nationales de bénéficier d’une garantie européenne pour faire face aux situations difficiles qu’elles pourraient rencontrer.
Un tel mécanisme permettrait de concrétiser une solidarité entre les États-membres moins touchés par le chômage et ceux qui en sont davantage affligés. Il jouerait également un rôle de stabilisateur automatique en évitant que les pays les plus durement affectés ne soient obligés de réduire les prestations ou d’augmenter les cotisations pour assurer la pérennité du système, avec les conséquences négatives au niveau économique et/ou social que cela entraîne.
Pour éviter le fameux aléa moral selon lequel des pays pourraient laisser filer un chômage structurel élevé grâce à des indemnités financées, au moins en partie, par des pays plus vertueux, il faut évidemment prévoir certaines conditionnalités (tout en évitant d’imposer des contraintes qui nuisent à la cohésion sociale). Mais on peut aussi imaginer un système qui n’intervient qu’en cas d’aggravation du niveau de chômage lié à un choc qui affecte certains pays plus que d’autres (ce qu’on appelle un choc asymétrique). Ou bien, comme c’est le cas avec la crise résultant de l’épidémie de Covid-19, qui affecte brutalement tout le monde, même s’il existe des différences nationales.
Le système mis en place dans le cadre des mesures d’urgence prises par le Conseil afin de faire face à cette crise, baptisé SURE (Support mitigating Unemployment Risks in Emergency = Soutien pour atténuer les risques de chômage en situation d’urgence), a été doté d’un montant de 100 milliards d’Euros pour aider les pays de l’UE à développer des systèmes de mise en chômage partiel. Le chômage partiel permet aux entreprises de faire bénéficier d’indemnités aux salariés en sureffectif temporaire, sans avoir à les licencier. Elles peuvent ainsi reprendre plus facilement leur activité après la crise, en ayant conservé leur personnel et en favorisant des dispositifs de formation pendant sa durée.
SURE a été mis en place sur la base juridique de l’article 122 du TFUE (Traité de fonctionnement de l’Union européenne), alinéa 2. Cet alinéa indique : « Lorsqu’un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’État membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement européen de la décision prise. »
On voit donc que ce dispositif a été décidé dans le cadre de mesures économiques exceptionnelles, justifiées par une pandémie. Il ne s’agit donc pas d’un système pérenne conçu en application d’une politique sociale. Ce n’est pas non plus à proprement parler un système d’assurance ou de réassurance chômage appliqué à du chômage partiel. En effet, un système d’assurance repose sur des cotisations qui financent des indemnisations non remboursables. Alors que SURE est un système de prêt aux États, sous conditions et à la demande de ces États, qui devront rembourser après la crise.
Mais il s’agit d’un pas significatif qui pose le principe d’une solidarité européenne en faveur du maintien dans l’emploi de travailleurs subissant les conséquences d’une crise. Pour le syndicalisme européen, il convient de l’étendre à l’ensemble des situations de chômage, y compris pour des travailleurs aux statuts atypiques (travailleurs de plateforme, indépendants …), et de le pérenniser dans le cadre de la politique sociale de l’UE. Ce serait l’une des mesures concrètes dans la mise en œuvre le principe numéro 4 (soutien actif à l’emploi) du Socle européen des droits sociaux. Pour cela, il faudra changer de base juridique et trouver un mode de financement pérenne. La CFDT, avec la CES et la plupart des centrales syndicales européennes, continuera à faire pression pour avancer dans ce domaine.
L’une des critiques formulées à l’encontre de SURE, comme pour d’autres mesures d’urgence prises par l’UE dans la période récente, c’est qu’il va accroître le niveau d’endettement des États, notamment de ceux pour qui ce niveau était le plus élevé et qui se sont vus durement touchés par l’épidémie (à l’exception notable de la Grèce).
Deux remarques à ce sujet. La première c’est sur la mutualisation de la dette. Même si, au final, ce sont les États qui empruntent, cela passe par l’UE. La garantie européenne permet d’emprunter à un taux plus bas et d’en faire bénéficier les États. On allège ainsi le service de la dette des États les plus endettés, pour lesquels les marchés exigent des taux plus élevés, et l’on améliore donc la soutenabilité de leur dette. Au-delà du dispositif SURE, la Commission européenne pousse la mutualisation encore plus loin avec la proposition NextGenerationEU, puisque les deux tiers des 750 milliards d’Euros ne seraient plus distribués sous forme de prêts, mais de subventions. Le remboursement des emprunts correspondants entrant alors dans le cadre du budget européen commun.
La deuxième remarque c’est sur le manque d’anticipation. Pas tellement par rapport au déclenchement soudain de la pandémie, effectivement difficilement prévisible (mais il faudra retenir la leçon pour mieux se préparer à une prochaine pandémie dont on ne sait comment elle arrivera …). Mais par rapport au manque de mécanisme pour affronter les aléas économiques en général, qui se traduisent pratiquement systématiquement par une montée du chômage affectant plus ou moins certains pays ou certains secteurs. Si l’UE se voit obligée de recourir à un système de prêts pour faire face au chômage, c’est parce qu’elle n’a pas mis en place un système de cotisations de réassurance qui aurait constitué une caisse de réserve permettant de soutenir les caisses nationales en difficulté. Même si, face à l’ampleur de la crise, cette réserve n’avait pas été suffisante, le volume d’emprunt dont on aurait eu besoin aurait été moindre, allégeant d’autant l’endettement.
Cette remarque ne s’applique pas, d’ailleurs, uniquement au système d’assurance chômage. Au vu des retards qui s’accumulent en Europe en matière d’investissement public et privé, y compris dans les domaines de la recherche et du développement, le syndicalisme européen réclame depuis des années un plan européen d’investissement massif pour assurer les transitions écologique, technologique et démographique, et assurant l’équité sociale, financé grâce à de nouvelles ressources fiscales : fiscalité écologique, numérique, taxe sur les transactions financières, harmonisation de l’imposition des sociétés (assiette fiscale et taux minimum de 25%)... La première réponse, déjà tardive, du Plan Juncker était insuffisante, celle d’InvestEU allait un peu plus loin, … NextGenerationEU franchit enfin un pas significatif, à la fois sur le montant proposé, sur l’orientation vers des transitions justes, et sur les ressources pour le financer en prévoyant des taxes écologiques et numériques. Contrairement aux discours convenus en faveur de la rigueur budgétaire, ne pas investir hier nous coûte plus cher aujourd’hui, et si on n’investissait pas aujourd’hui, cela coûterait plus cher aux futures générations. Surtout en matière de lutte contre le changement climatique.
Après le Green Deal et les initiatives lancées avec la communication du 14 janvier 2020 « Une Europe sociale forte pour des transitions justes », le Plan de relance proposé et le renforcement du Cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2028 posent une nouvelle pierre pour une Europe plus forte, plus juste, plus écologique, et plus intégrée.

La brutalité de la crise liée au Covid-19 a fait prendre conscience de l’importance des moyens nécessaires (politiques et financiers) pour mener des politiques publiques, à la fois nationales et européennes, en faveur d’un nouveau modèle de développement, durable et inclusif. Elle a aussi démontré la nécessité de renforcer la coordination européenne, et même, au-delà d’une coordination, de mener des politiques communes en matière économique, sociale, sanitaire, environnementale et fiscale. Malgré quelques réflexes de repli, l’idée que, pour s’en sortir, les européens doivent s’unir, a progressé. Une fois de plus, la crise est une opportunité pour faire avancer l’Europe. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.