Après le tsunami du coronavirus, le temps des Eurobonds est venu

, par Alberto Majocchi , Alfonso Iozzo

« La dette publique, si elle n’est pas excessive sera une bénédiction pour la Nation. Elle sera un ciment de notre union. Elle rendra en outre nécessaire un impôt à un taux qui, sans être confiscatoire, sera un encouragement pour l’industrie » (Alexander Hamilton, 1781).

Concernant les conséquences de la crise du Covid-19 sur les économies et les finances publiques des États membres de l’UE, plusieurs positions ont émergé qui appellent quelques observations préliminaires. En premier lieu, nous nous dirigeons désormais vers une approbation officielle des Eurobonds. Les manuels de finance publique mentionnent la possibilité d’émettre de la dette pour financer les conflits. La lutte contre le coronavirus est une guerre : le recours à la dette semble donc inévitable. La seule question est de fixer les modalités pour atteindre le meilleur résultat.

Pour financer les dépenses de santé liées à la pandémie, l’intervention de la BCE s’impose. Elle est en effet la seule capable d’agir immédiatement en achetant des obligations publiques en quantité autant que nécessaire pour juguler la pandémie. Nous n’avons pas ici le choix : dans l’urgence tout autre instrument serait inadéquat. La dette publique augmentera, mais tant que les taux d’intérêt demeureront faibles, elle restera soutenable même si elle suppose à terme des politiques d’austérité.

En ce qui concerne le financement de la reprise après la crise, à la différence de ce qui s’est passé après la deuxième guerre mondiale la reconstruction devra s’affranchir du vieux modèle de développement fondé sur des industries polluantes et inventer une nouvelle économie sans carbone. Le financement de la transition se fera à travers plusieurs canaux et sous différentes conditions. Au démarrage, le financement de la transition écologique, le Green Deal, devrait être confié la Banque Européenne d’Investissement (BEI), appelée à devenir la Banque du climat selon le président von der Leyen. Un deuxième canal de financement concerne les niveaux inférieurs de gouvernement, en particulier les communes qui joueront un rôle décisif dans la mise en place du Green Deal (voir les transports publics, la transformation énergétique des bâtiments, la « mobilité douce », les pistes cyclables, l’urbanisme). Dans ce cas, le financement reviendra au Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui émettra des « titres écologiques » (Sustainable Bonds et non plus des Stability Bonds) qui ne seront donc plus destinés à sauver des États faillis mais à réorienter l’économie sur la voie du développement durable. Les fonds récoltés serviront à faire des prêts à un faible taux. La seule conditionnalité portera sur la compatibilité écologique des investissements ainsi financés. Le MES se financera lui-même sur le marché en émettant des titres assortis de la clause du « senior creditor ». Ces titres seront des actifs financiers sûrs, aptes à satisfaire les besoins toujours croissant du marché mondial des capitaux.

La sortie de la pandémie coïncidera avec le début de la mise en place du modèle économique envisagé dans le Green Deal, lequel exigera des investissements énormes. L’émission des titres qui serviront à les financer sera soumise à deux conditions : a) les investissements devront accroître les actifs publics de telle sorte que les revenus qui en résulteront puissent à la fois rembourser la dette et générer une richesse nouvelle qui servira au bien-être futur de la population européenne (comme le Fonds souverain norvégien basé sur les ressources pétrolières du pays) ; b) l’émission des titres devra être garantie par une capacité fiscale autonome de l’UE. Le plus raisonnable consisterait à étendre le marché des droits à polluer (taxe carbone) à des secteurs dont il est actuellement exclu. Les nouveaux permis mis aux enchères abonderaient le budget de l’UE. En outre, une taxation carbone des produits importés devrait être introduite aux frontières de l’UE, abondant également le budget puisque les droits de douane sont déjà une ressource de l’UE.

Le tsunami du coronavirus devrait ainsi déboucher sur une nouvelle organisation économique et financière de l’UE, orientée prioritairement vers la mise en place du Green Deal et financée principalement par des titres garantis sur ses ressources propres, renforçant ainsi sa capacité financière autonome.