Altiero Spinelli, le Club du Crocodile le Parlement européen, au centre de la stratégie fédéraliste

Crocodile / Le Club des hommes qui firent l’unité de l’Europe

, par Giampiero Gramaglia

Un libéral et un vert feront renaître, en septembre, à Strasbourg, le Club du Crocodile, sous l’appellation de Groupe Spinelli. Cette initiative, encore « masquée » (carbonara), fait vibrer des pulsions européistes, trente ans après que, le 9 juillet 1980, Altiero Spinelli, l’auteur du Manifeste de Ventotene, à l’époque parlementaire européen, réunit pour souper, au Crocodile, un restaurant de Strasbourg, 8 autres eurodéputés qui avaient accepté son invitation. Naissait ainsi le Club du Crocodile, destiné à s’élargir jusqu’à compter 180 parlementaires européens et à influencer la voie de l’intégration européenne qui, à la moitié des années 80, sortirait des étapes successives des crises énergétiques et du « problème britannique » et emprunterait la voie de l’accomplissement du marché unique, du Traité de Maastricht et de la monnaie unique. Aujourd’hui comme alors, l’européisme de Spinelli germe plus facilement en dehors des grandes familles politiques continentales, le Parti populaire et le Parti socialiste.

En effet, l’idée du Groupe Spinelli est de Guy Verhofstadt, 57 ans, libéral, Premier Ministre belge pendant près de 10 ans (1999/2008), aujourd’hui chef de groupe des libéaux-démocrates, et de Daniel Cohn-Bendit, 65 ans, « citoyen européen », le Danny le Rouge du Mai 68 Français, devenu Danny le Vert, chef de groupe des écologistes à Strasbourg. Le Club du Crocodile conduisit le Parlement, pendant l’hiver 1984, à la fin de sa première législature élue au suffrage universel, à lancer un projet de Traité qui fondait l’Union européenne : les gouvernements des 10 membres de cette époque-là ne s’approprièrent pas le Projet Spinelli mais, moins de 10 ans plus tard, l’Union était chose faite. L’anniversaire est passé un peu inaperçu, en ces temps où l’européisme est désuet, où le fédéralisme rappelle uniquement la plaine du Pô, et où l’Union traverse une nouvelle crise et est aux prises avec la réforme de la gouvernance de l’économie européenne et mondiale.

Mais à l’intérieur du Parlement européen, l’institution qui a le plus pris au sérieux les nouveautés du Traité de Lisbonne en vigueur depuis le 1er décembre, il y a des élans spinelliens. En attendant que l’initiative de Verhofstadt et de Cohn-Bendit fasse des adeptes, les chefs de groupe des quatre plus grands groupes parlementaires européens se sont unis, à la veille du Conseil européen de la mi-juin, pour déterrer la hache de guerre au sujet du budget UE 2011 : le Conseil des ministres des 27 et la Commission européenne sont avertis, l’Assemblée de Strasbourg est sur le pied de guerre ; et, comme au début des années 80, elle choisit le budget comme terrain de bataille. Mais, depuis ces temps-là, les pouvoirs du Parlement se sont considérablement accrus.

Les processus décisionnels de l’Union sont plus complexes, maintenant que le Parlement « a haussé le ton » grâce à des pouvoirs accrus de co-décision. Depuis le 1er décembre 2009, le Conseil européen a consolidé son rôle et son prestige ; son nouveau président stable, le belge Herman von Rompuy, a montré de précieux dons de médiation et d’équilibre. Par contre, la nouvelle mise en place de la politique extérieure et de sécurité commune, confiée à Lady Ashton, reste embryonnaire et peu efficace.

L’agenda de l’Union reste dominée par la crise économique et par ses contre-coups financiers et monétaires. Mais après un printemps plein d’embûches, l’UE s’est unie autour de la rigueur et du contrôle sur les banques. Dans l’obscurité de cette phase, pendant laquelle on a même de nouveau ouvert le débat sur l’irreversibilité de l’Union, les néo-spinelliens nous font espérer qu’une saison d’approfondissement de l’intégration puisse naître : l’objectif n’est plus la Fédération européenne du projet Spinelli mais les Etats-Unis d’Europe, évoqués le 1er juin par Joschka Fischer, ancien Ministre allemand des Affaires étrangères ; c’est cet objectif qu’il faut poursuivre sans timidité et sans compromis pour sortir de la crise globale.

P.-S.

Giampiero GRAMAGLIA

Membre de l’Istituto Affari Internazionali (fondé par Altiero Spinelli, http://www.iai.it/index.asp) - Article publié sur Fatto quotidiano, Rome, 13 juillet 2010

 

Traduit de l’italien par Ivanna GRAZIANI - Vienne

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