Les Rroms et le Peuple européen
« VROOM ! VROM ! ROM ! »…..Rom ? Rrom ? Romanichels ? Romanos ? Roumanie ?
Le « vroom-vroom » médiatique s’emplit d’un son venu du fond des âges et qui enfle au gré des provocations, des agressions et des illégalités, orchestrées par le clan qui contrôle l’État national français au cœur de 2010.
Mais cette tentative de mobilisation de très vieux réflexes, peut-être nichés au fond de l’inconscient de quelques individus, est contraire aux valeurs fondatrices de l’unité européenne et les institutions en charge de l’Union le font savoir, haut et fort.
Mais peut-être aussi le travail culturel et politique engagé depuis des années, de façon discrète mais profonde, a-t-il désarmé, au moins partiellement, la portée d’une pratique du bouc émissaire contre un autre peuple, outil classique des pouvoirs nationaux pour surmonter leurs difficultés internes et politiciennes. « Ah !!! Où sont les Boches d’antan ? ». « A défaut d’Ritals, t’aura du Rom ! ».
Depuis plus d’une décennie, les rencontres et les réflexions sur le peuple rom, ou rrom comme la phonologie de la langue rromani l’exigerait [1], ont permis une meilleure connaissance et reconnaissance de ce segment du Peuple européen. Cela explique peut-être la vigueur des réactions contre leur instrumentalisation.
En complément à d’autres articles de notre dossier, mon approche géographique souhaite apporter des éclairages complémentaires à ceux de nos outils habituels.
Le point d’orgue, et départ, de ce regard peut paraître une provocation. Il a été posé par des géographes de renom, Michel Foucher et Henri Dorion, et l’équipe réalisatrice de l’exposition « FRONTIERES », organisée par le Musée des Confluences, en gestation à Lyon, et présentée dans l’ancien Musée Guimet en 2006.
Le titre de l’espace consacré aux Roms était « LE PEUPLE EUROPEEN ». Dénomination qui ne peut qu’interpeller tout militant européen et fédéraliste, tant nos lectures et nos écrits reflètent la recherche de ce Peuple européen auquel nous nous référons.
Ainsi ce Peuple rrom, avec de multiples dénominations souvent perçues comme péjoratives (Gitans, Tsiganes, Manouches, Roms, Romanichels), serait la quintessence de l’aspiration des Européens ? En traduisant dans une formule choc la pensée de Günther Grass, « ce peuple est ce que nous cherchons tous à devenir : de véritables Européens », les géographes sont à leur poste. Ils observent et analysent les relations entre les hommes et l’une de leur création : les frontières. Le peuple rom bouscule les perceptions et les usages des frontières. « Notre seul ennemi est la frontière qui coupe l’étendue de la terre ! La frontière est pour les loups, les chiens, les moutons, pas pour nous ! ». [2]
Le travail géographique sur les frontières est redevenu possible en France grâce à la réhabilitation de la géopolitique, arrachée par les géographes promoteurs et fondateurs d’Hérodote [3] au milieu des années soixante-dix. Mais le cas des Roms perturbe également la distinction construite entre la géopolitique externe (les frontières pour faire court) et la géopolitique interne (l’organisation des pouvoirs dans les États pour faire tout aussi court). En effet, les Roms relèvent des deux dans l’espace européen, d’où le drame actuel avec les contradictions entre les politiques européennes, les politiques nationales et en particulier française et même, dans le détail, entre les politiques locales et celle du gouvernement français. L’invention de la « reconduite à la frontière » alors que la frontière n’existe plus matériellement, alors qu’elle n’est même plus franchie physiquement, puisque les départs se font à partir d’aéroports implantés au cœur du pays expulseur, n’est pas le moindre paradoxe. [4]
Mais l’identité des Roms ne peut pas être réduite à ce seul trait culturel, pour sympathique qu’il soit pour les fédéralistes. En effet, plus de dix millions de personnes, après que 500 000 d’entre elles aient été inscrites au panthéon des peuples martyrs victimes du nazisme, portent une longue histoire, une langue, un mode de vie, des valeurs et constituent une « nation sans territoire compact » [5].
Le projet politique de cette nation, inscrit entre autre dans le préambule de sa « charte morale », confirme que sa revendication n‘est pas l’espace, ni l’attribution d’un territoire. « Le peuple rrom est un élément constitutif de l’Europe, à laquelle il a apporté une contribution humaine, matérielle, artistique, économique, militaire et morale trop souvent négligée. Il souhaite se positionner dans une dynamique progressiste orientée vers l’intégration sociale, l’égalité des droits, le refus de l’exclusion et le respect mutuel de toutes les identités représentées en Europe. »
Ce peuple se trouve éparpillé dans toute l’Europe et la majorité de ses membres est titulaire de la nationalité du pays où ils résident. Ainsi en France, la population rom est-elle estimée à 400 000 français pour un peu plus de 12 000 Roms roumains et bulgares. De plus il est sédentaire à 90 %, contrairement à ce que laissent entendre les décisions du pouvoir français actuel, lequel stigmatise le nomadisme comme s’il était criminogène.
Et c’est là le point où un regard géographique sur l’usage de l’espace et les territoires fait par ce peuple est à rapprocher de celui du Peuple européen.
En effet, l’un des fondements de la création de l’Europe c’est le droit à la MOBILITE, laquelle est devenue une valeur sinon une obligation pour être un bon Européen : mobilité des travailleurs, mobilité des étudiants avec des programmes ERASMUS et LEONARDO flamboyants. Qui n’a frémi de bonheur aux images de « l’Auberge espagnole » ? Mais aussi mobilité pour les échanges culturels ou touristiques qui pèsent très, très lourd dans les activités économiques.
L’hédonisme a été mobilisé. Les vagues de touristes avec leurs caravanes parcourent l’Europe, pour le bonheur de leurs occupants et même s’ils embouteillent et ralentissent les déplacements, ce n’est pas grave, car leur nomadisme est « marchandisé ». Celui du peuple rom ne l’est pas. Est-ce là son tort et sa tare ? Comment les tenants du marché vont-ils digérer cette nouvelle cible ? [6]
De plus les niveaux de vie des familles roms ne sont pas plus homogènes que ceux des autres peuples ou ethnies en Europe. C’est pourquoi la remarque « vroum, vroum » du ministre de l’époque, « Comment se fait-il que l’on voit dans certains de ces campements tant de si belles voitures, alors qu’il y a si peu de gens qui travaillent ? » [7] relève exclusivement du préjugé et non des réalités que la géographie sociale permet d’identifier.
Il est certain qu’une partie des Roms, mobiles dans les pays européens et donc en France, font partie des pauvres parmi les pauvres, et leur nationalité est bien secondaire par rapport à la situation d’urgence économique dans laquelle ils se trouvent. Leur mobilité relève des processus migratoires et des exils les plus universaux : partir pour survivre. Les réponses sont dans les politiques européennes et nationales de solidarité.
Mais pour les Roms, sédentarisés ou non, s’ajoutent les déplacements, les regroupements ponctuels liés aux rituels culturels, familiaux, religieux qui sont vitaux dans la culture rrom. Des convergences vers des regroupements très divers et totalement temporaires, qui rendent impossible une programmation durable d’installations adaptées à l’accueil de grands ou très grands groupes. Seule une volonté de coopération et une ouverture d’esprit de part et d’autres permettent de répondre, au cas par cas, à ces besoins respectables et perturbateurs à la fois. Plus ou moins qu’un grand concert ou qu’une rave party ?
Pour prolonger la comparaison, le film « Les Poupées russes », suite de « l’Auberge espagnole » de Cédric Klapisch, illustre cette seconde étape dans la construction de l’identité d’un groupe du Peuple européen. Une fois un clan constitué par un vécu commun (ici l’année Erasmus), tous les membres convergent vers un tiers lieu pour se retrouver, pour partager un nouveau temps commun et fort, et continuer à exister par delà le temps, les frontières, les ruptures.
La provocation à la réflexion consistant à affirmer : « le Peuple européen : les Roms », ouvre des perspectives pour un chantier culturel autour de la devise « l’unité dans la diversité ». Comment concilier éléments spécifiques et éléments fédérés dans la constitution d’un Peuple ? Quels principes et quelles valeurs de base doivent guider le processus de construction d’un Peuple ?
S’interroger sur ce Peuple de « Fils du vent sans pays » [8], sert à alerter l’Europe fragilisée quand certains de ses membres perdent le sens du vent de l’histoire et la mettent en danger en jouant les partisans de « Autant en emporte le vent… ».