En Europe, divergence n’est pas synonyme de réduction

, par Sandro Gozi

C’est l’effet papillon version XXL. La Pologne meugle et une tornade s’abat sur Bruxelles. On vibrionne ici. On agite le spectre d’un Polexit là. Pourquoi ? Revenons sur les faits. Début octobre, la plus haute juridiction polonaise a estimé que certains articles du traité de l’Union européenne étaient « incompatibles » avec sa Constitution. Cette prise de position ouvre alors la voie à une politique qui ne respecterait pas les engagements de la Pologne à l’égard des Vingt-Sept. Un décryptage s’impose.
Depuis 1957, la construction européenne est fondée sur le principe de la primauté du droit européen dont l’ordre juridique communautaire est reconnu par la Cour de Justice dès 1963 et 1964. De facto, quand un pays adhère volontairement à l’Union européenne, il doit travailler et négocier lois et politiques avec les autres membres.
Si un pays membre décidait brusquement de refuser de respecter et d’appliquer une loi européenne en invoquant un principe interne ou en introduisant une loi nationale, la construction juridique de l’Union européenne s’écroulerait et le pacte politique fondamental de confiance réciproque à la base du succès européen disparaitrait enfoui sous les décombres.

Une attaque au marteau piqueur

C’est ce qu’il vient de se passer. En remettant en cause la primauté du droit européen, la Pologne, pourtant membre de l’UE depuis 2004, s’attaque au marteau piqueur à la clé de voûte de l’édifice européen. Clé de voûte qui, depuis 1957, a permis à la France, l’Italie ou encore l’Allemagne et aux autres membres la création notamment du Marché unique, la monnaie unique, la protection des consommateurs ou encore le droit de l’environnement.
Mais pourquoi la Pologne fait ça ? En fait, jusqu’en 2004 tout allait bien entre l’Union européenne et la Pologne, mais en 2005, le PIS, le parti politique (Droit et justice) conservateur fondé en 2001 arrive au pouvoir. Les relations entre Varsovie et Bruxelles vont dès lors considérablement se tendre. Une première fois entre 2005 et 2007 et depuis sa réélection en 2015. Car tout conservateur qu’il soit, le PIS est surtout eurosceptique… Et les Polonais eux, sont à plus de 80% attachés à l’Union européenne.
Bien entendu, depuis des années, nous, députés européens n’avons pas attendu ce nouveau coup de boutoir pour agir et réagir contre la dérive illibérale et extrémiste de Varsovie. Pour mémoire, nous avons poussé les communes et les régions polonaises qui s’étaient déclarées « LGBTIQ-free » à faire marche arrière. Nous avons condamné les restrictions au droit à l’avortement. Nous avons finalement introduit un lien juridique entre respect de l’état de droit et octroi des fonds de l’Union européenne, à commencer par le Plan de Relance « NextGenerationEU ».
Sans relâche nous luttons pour le peuple polonais, contre ce gouvernement qui ne se limite pas à violer les principes fondamentaux communs de son pays. Il porte aussi une attaque délibérée à notre Union des valeurs.

La Commission européenne, gardienne des traités

Dès lors, je soutiens la Commission, en tant que gardienne des traités, et je l’invite à urgemment saisir la Cour de Justice de l’Union européenne. Et comme le disait le stratège athénien Thucydide puisque : « L’argent est le nerf de la guerre », je souscris aux propos de Clément Beaune, le secrétaire français aux Affaires européennes qui a justement rappelé que « s’il n’y a pas le respect élémentaire des règles communes, des droits et libertés de l’Europe, il ne peut pas y avoir de plan de relance et de soutien à la relance en Pologne ».
Ce plan de relance constitue, je le rappelle, presque 10% du PIB de la Pologne. Concrètement, l’Union européenne n’a pas encore approuvé les 23 milliards d’euros de subventions et les 34 milliards d’euros de prêts bon marché prévus pour ce pays. Les warnings sont allumés. La crise déclenchée par la Pologne est d’une extrême gravité. Cela fait des années que le bras de fer ne fait que s’intensifier. Et dans ce contexte très tendu, certains en rajoutent. Encore. Les souverainistes. En France, à six mois de la présidentielle, Marine Le Pen a apporté son « soutien » à la Pologne. Éric Zemmour, lui, a dénoncé « un coup d’État fédéraliste » contre la Pologne. Plus surprenants, je dois l’avouer, furent les mots de Michel Barnier, mon ancien collègue à Bruxelles. L’ancien négociateur du Brexit défend maintenant la nécessité d’une « souveraineté juridique ».
De l’autre côté des Alpes, l’Italie, elle aussi en pleines élections municipales n’est pas en reste : la post fasciste Giorgia Meloni et le néo-lepeniste Matteo Salvini montent au créneau en défense de la souveraineté des leurs alliés nationalistes polonais.
Je dis stop aux pantalonnades des uns et des autres qui en rajoutent à des fins purement électoralistes.

Le défi des valeurs

L’Europe utilise les mécanismes et les outils à sa disposition pour protéger la primauté du droit européen et contrer toutes velléités de gouvernements illibéraux. Pas besoin d’agiter une muleta. C’est en ce moment de crise majeure, que je pense plus encore à mon ami Bronislaw Geremek, grand historien médiéviste et homme politique polonais, disparu en 2008. Je peux encore moins me résigner à tourner le dos au peuple polonais en laissant ce grand pays dériver entre les mains nationalistes de Jarosław Kaczyński et autres extrémistes.
L’Europe doit être du côté des solutions. Nous le sommes. La divergence ne doit pas être synonyme de réduction. Cela serait une erreur. Je m’inscris en faux contre toute nostalgie du passé, y compris contre ceux qui disent qu’après tout on était mieux à 6, 9 ou 12 dans l’Union européenne.
Nous devons travailler encore plus avec la société civile, avec de nouvelles forces d’opposition comme Polska 2050, avec toutes celles et tous ceux qui veulent ramener la Pologne au cœur de l’Union. À la veille de la présidence de l’Union européenne par la France, je voudrais mettre en exergue les mots d’Emmanuel Macron. « L’Europe ne doit pas être un projet qui règle ses problèmes ou ses désaccords en excluant. L’Europe est un projet qui crée de la convergence ».
C’est le grand défi de valeurs, démocratique et géopolitique est devant nous.