Le Billet de Jean-Pierre GOUZY

Grisaille européenne

, par Jean-Pierre Gouzy

Un Conseil européen s’est tenu les 27 et 28 juin dernier au cours duquel les « excellences » les plus représentatives des « nations souveraines » qui composent l’Union européenne (UE) ont eu tout loisir de faire le point de concert avec Jose-Manuel Barroso, Président de la Commission en fin de mandat, sur l’état de l’Union, en vue de donner, conformément à l’article 15 du Traité de Lisbonne, « les impulsions nécessaires à son développement » et de « définir les orientations et les priorités » du moment.

  • Premier constat : la réunion s’est déroulée dans l’indifférence quasi générale. Les media ne l’ont évoquée qu’à la marge. Les grandes chaînes de télévision en ont parlé fragmentairement. Dans la presse écrite, les quelques résultats positifs de la rencontre ont été à peine évoqués. Ainsi, le taux de chômage ayant atteint l’ampleur que l’on sait sous l’effet de la crise, l’annonce d’un budget de 6 milliards d’euros au niveau européen en faveur des jeunes dans les régions européennes où le taux de chômage des moins de 25 ans dépasse les 25 % de la population active, a été à peine mentionné. Pourquoi ? Parce que si l’effort est louable, il n’est pas à la mesure des enjeux. On estime, en effet, dans les cercles communautaires, qu’au moins 20 milliards d’euros seraient nécessaires ; 5,6 millions de jeunes se trouvant aujourd’hui concernés. De plus, « l’approche globale » choisie fera l’objet d’une procédure complexe (à Bruxelles, on ne sait pas faire autrement !).
  • Deuxième constat : Hermann van Rompuy, en tant que co-président pérenne du Conseil européen, avait annoncé en décembre dernier qu’il soumettrait une « feuille de route » à l’approbation de ses collègues pour cette rencontre de fin juin 2013, dans laquelle il aurait précisé quels devraient être les grands axes possibles des futures orientations communautaires. Il a été amené à renoncer de facto à ce projet jugé, dans la conjoncture politique détestable que nous traversons, comme ambitieusement prématuré. Toute décision, relative à l’Union économique et monétaire est renvoyée à décembre 2013, à l’exception d’une disposition favorisant le financement des petites et moyennes entreprises.
  • Troisième constat : l’Union bancaire européenne dont le projet est sur les rails depuis plusieurs mois, se trouve toujours en voie de finalisation, même si les ministres compétents de l’Union ont fini par s’accorder sur un texte prévoyant qu’à l’avenir les « investisseurs » (actionnaires, certains détenteurs d’obligations et les déposants, pour des sommes supérieures à 100 000 euros) supporteront les risques bancaires prioritaires, le recours au Mécanisme européen de stabilité (MES) agissant pour le compte des États n’étant plus envisagé qu’en « dernier ressort », et selon une approche restrictive. Si tout va bien, une sorte de fonds d’assurance interbancaire pourrait être mis en place avant la fin de l’année en cours, même si le volet « restructuration » du cadre financier intégré ne devrait être bouclé qu’au printemps prochain. Comme on le voit, les débats à haut niveau du Conseil européen sont faits pour passionner les foules…

Malgré tout, à défaut de régler les problèmes fondamentaux du temps, l’Europe en formation continue à s’élargir. L’Eurozone vient d’agréer la Lettonie comme nouvel État membre à partir du 1er janvier 2014. L’an prochain, la Lituanie voisine (qui va présider l’ensemble de l’Union au cours du second semestre 2013) suivra le mouvement. D’autre part, l’UE a accueilli, le 1er juillet, la Croatie comme nouvel État membre et, pour faire bonne mesure, en attendant le grand bazar turc, elle vient également d’approuver le lancement de négociations en vue de l’adhésion de la Serbie et d’un accord d’association avec le Kosovo, nouvel « État » balkanique albanophone qui, à l’instar du Monténégro voisin, s’est détaché de la Serbie telle qu’elle se profilait dans l’ancien cadre yougoslave. Ces « avancées » de l’Union ne nous importeraient guère si le « noyau dur » (comme on dit) des pays fondateurs donnait le sentiment de poursuivre l’objectif qui lui avait été fixé par Robert Schuman et Jean Monnet, à l’origine : la Fédération européenne.

Malheureusement, à mesure que le temps passe et que l’Union s’élargit, nous ne savons plus à quoi nous voulons aboutir. J’en veux pour [nouvelle] preuve, cette déclaration toute récente du gouvernement néerlandais : Les Pays-Bas sont convaincus que le temps d’une ‘Union toujours plus étroite’ dans tous les domaines d’action possibles est derrière nous. Comme les résultats du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel l’ont montré, la population néerlandaise était, et est toujours, mécontente vis-à-vis d’une Union dont le champ d’activité s’accroit constamment comme si cela était un objectif en soi.

Ces propos ont dû ravir David Cameron et les Tories qui ont déjà annoncé la couleur : en cas de victoire lors des prochaines élections législatives, ils ne resteront dans l’UE qu’à l’issue d’un référendum qui permettra aux Britanniques d’en fixer les conditions conformément à leurs seuls intérêts.

Pendant ce temps là, les Français pourront continuer à se quereller, s’ils le souhaitent, avec « Bruxelles », à propos de « l’exception culturelle » et du mandat de négociation avec les États-Unis sur le libre-échange atlantique ou encore des « recommandations » de la Commission concernant les réformes jugées indispensables à la réduction des déficits, qu’il s’agisse de François Hollande quand il fait savoir à la cantonade qu’il ne se laissera pas « dicter » ce qu’il a « à faire » pour rétablir les comptes publics ; de José Manuel Barroso pointant Montebourg (certains de ceux qui défendent l’exception culturelle disent être de gauche, mais sont en fait extrêmement réactionnaires) ; de Montebourg visant José Manuel (Barroso est le carburant du Front National) ; de Michel Barnier qui renvoie Montebourg dans ses cordes (Se défausser ainsi sur l’Europe et la Commission européenne est insupportable ... Ce que dit M. Montebourg est absurde et faux. Qu’il s’occupe de son travail qui consiste à redresser la compétitivité de la France). Passons sur les autres aménités du même tabac… Angela Merkel, cette fois, a été à peu près épargnée par les polémiques qu’elle n’a pas manqué cependant de susciter de ce côté du Rhin, pour se concentrer sur les élections législatives allemandes de septembre. C’est tout le sens de l’accord qu’elle aurait fini par conclure avec l’Élysée, au mois de mai dernier, en acceptant de souscrire à l’idée de l’éventuelle mise en œuvre d’un gouvernement « intergouvernemental » de la zone euro, nanti d’un double viatique : « Sommets » à cadence régulière et présidence à plein temps. Comme on le voit, entre collègues souverains de bonne compagnie, à défaut de toujours se comprendre, on finit néanmoins par trouver, au-delà des petites phrases assassines, des compromis de bon aloi. C’est-à-dire à leur commune convenance.