L’Alsace-Lorraine après 1870 : l’émergence de l’autonomisme ou la conquête de droits fédéraux

, par Hervé Moritz

1870. La guerre franco-prussienne éclate dans une Europe déjà en proie aux nationalismes. Le théâtre de la guerre se joue dans les régions du Nord et de l’Est de la France. Les batailles et les sièges éprouvent les populations locales, qui sont les cibles nouvelles d’une guerre de terreur.
Le 26 janvier 1871, un armistice est signé entre la toute jeune République française et le nouvel Empire allemand, proclamé quelques jours plus tôt dans la galerie des glaces du château de Versailles. La défaite crée de vifs troubles dans toute la France. Les territoires occupés attendent le sort qui leur sera réservé.
Le 1er mars 1871, l’Assemblée nationale vote la cession de l’Alsace-Lorraine à l’Empire allemand. La cession est entérinée par le traité de Francfort, le 10 mai 1871. L’Alsace-Lorraine devient un Reichsland du nouvel Empire allemand, c’est-à-dire une possession de l’Empire et des États fédérés qui le composent. Elle ne bénéficie pas d’une constitution, ne dispose pas des mêmes droits et prérogatives que les États fédérés du jeune Empire. L’histoire politique de l’Alsace-Lorraine devient dès lors une histoire de conquête : la conquête de droits fédéraux, des prérogatives et des droits d’un Land de l’Empire à part entière, en somme l’émancipation par la conquête de l’autonomie des États fédérés.
Dès l’annexion, les Alsaciens-Lorrains témoignent de leur volonté d’obtenir un statut d’État et les prérogatives qui en découlent. Des mouvements autonomistes, souvent restés francophiles, naissent au sein des milieux intellectuels, politiques et religieux en Alsace et dans la partie de la Lorraine annexée. À la fin des années 1870, les Alsaciens-Lorrains obtiennent la création d’une assemblée consultative régionale pour dialoguer avec le gouverneur, le Statthalter, nommé par l’empereur. S’y expriment largement les revendications autonomistes, voire indépendantistes. Des représentants du Reichsland Alsace-Lorraine siègent également au Reichstag, le parlement impérial.
Cependant, il faut attendre la veille de la Première Guerre mondiale pour que l’Empire allemand engage les réformes nécessaires. La nouvelle constitution votée le 31 mai 1911 par le Reichstag accorde plus d’autonomie à l’Alsace-Lorraine et entérine un statut qui se rapproche de celui d’un Land. L’Alsace-Lorraine obtient de nouvelles prérogatives similaires aux autres États fédérés allemands, par exemple dans le domaine de l’éducation, et lui est en partie reconnu des droits équivalents. Concours de circonstance, cette constitution n’entre jamais en vigueur : les combats de la Première Guerre mondiale suspend sa mise en œuvre. Au sein de l’Empire allemand, l’Alsace-Lorraine n’a donc jamais accédé au rang d’État fédéré et à l’autonomie qu’ont réclamé ardemment ses élites locales.
Ainsi, l’autonomisme alsacien-lorrain qui émerge dans la conquête d’un statut fédéral, dans la conquête d’une égalité de droits pour un territoire et sa population au sein du Reich allemand, prend des allures de revendications fédéralistes. Il nourrit durablement les idées politiques de l’Alsace-Lorraine cédée, et plus tard de nombreux mouvements régionalistes en Europe. L’autonomie, les prérogatives et les droits d’État fédéré sont au cœur des débats sous le Reich allemand, tout en cultivant une autre idée, celle du rôle de l’Alsace-Lorraine dans la réconciliation franco-allemande. Certains rêvent d’un État indépendant, ciment de la paix entre les deux belligérants de 1870-1871. Au pays de « l’entre-deux », comme le surnomme l’historien Alfred Wahl, ce projet ne voit jamais le jour.