Les vues de l’extrême-droite sur la « Commune »…

, par Jean-Francis Billion

L’historien Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême-droite a eu la bonne initiative de mettre en ligne le 20 mars une courte analyse, « Comment les extrêmes droites tentent de se réapproprier la Commune de Paris » (http://www.state.fr/story/205979/histoire-france-paris-gauche...-droites-la-commune-de-paris-antisemites-fascistes-revolution).
Il termine son introduction en rappelant que : « les gauches […] ont toujours ignoré comment l’extrême droite radicale française la considérait (la commune) également comme un mouvement fondateur » ; les gauches ayant tendance à considérer que les mouvements communards de Paris, voire de province quand elles en perçoivent l’existence pourtant réelle et parfois pionnière, leur appartiennent en propre comme un « épisode central du mouvement ouvrier » et pour lui avoir fourni des « martyrs », ceux de la répression versaillaise. …
Alors, questionne Lebourg, « que viendraient faire des radicaux de droite dans cette histoire ? »
Il signale qu’il n’y a là rien de nouveau sous le soleil car « ce sont d’abord les agitateurs antisémites qui se revendiquent de la Commune ». Le premier, Édouard Drumont, « le plus fameux polémiste antisémite français de la fin du XIX° » qui tire de la Commune un portrait sans appel. « La Commune eût été le vrai peuple français, Versailles aurait été la République juive l’écrasant […] Autrement dit : la Commune ne serait pas une révolution socialiste mais une révolution nationaliste devant épurer le pays, ce qui en ferait par là-même une révolution sociale puisque ce seraient les juifs les maîtres du capitalisme ».
Plus près de nous, à la fin des années quarante du siècle dernier et durant la Seconde Guerre mondiale, certains cadres de gauche devenus fascistes, nazis et collaborationnistes, le plus connu étant Jacques Doriot leader communiste puis fondateur du Parti populaire français (mais l’on pourrait aussi citer le socialiste Marcel Déat, et son Rassemblement national populaire ou Pierre Clementi et son groupusculaire Parti français national collectiviste ou bien d’autres…) « emporte(nt) la Commune d’un camp à l’autre en considérant désormais que le marxisme est précisément la trahison du socialisme national et populaire des révoltés ». Lebourg poursuit en citant l’écrivain collaborationniste Robert Brasillhac qui « représente bien la suite de ce raisonnement », quand, il se rend en 1938 au mur des Fédérés pour rendre hommage aux « premières victimes du Régime », même s’il n’appréciait pas tous les aspects politiques de la Commune. Brasillhac, encore, qui écrit dans Je suis partout en 1943, « Pour nous, les communards fusillés étaient les victimes de la République (…) notre cœur, comme celui de Drumont, avait toujours été plus proche d’elle (la Commune) que des Versaillais ». Lebourg concluant que « De là, il considère la révolution écrasée comme une étape amenant à l’Ordre nouveau » (nazi, ndlr), le citant encore « il faudra attendre le fascisme pour que le contenu social soit réellement réintégré dans le contenant national ». Signalons enfin qu’en sus de la Commune, des penseurs socialistes français « pré-marxistes » sont souvent cités en référence dans les écrits ou la propagande de nombreuses chapelles d’extrême droite radicale, comme Louis-Auguste Blanqui ou Pierre Joseph Proudhon37 par exemple.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cet engouement n’a pas cessé et en 1966 a vu le jour une association existant encore, les Amis du socialisme français et de la Commune, fondée souvent par d’anciens collaborateurs se spécialisant dans les hommages annuels sur la tombe de Blanqui et/ou au mur des Fédérés. Lors de sa constitution elle affirmait vouloir « faire renaître un socialisme national, incarné par Proudhon, Blanqui, Sorel, Fourier, Saint-Simon et Le Play, une doctrine qui ‘fut tuée avec la Commune’ puis étouffée, falsifiée, détournée par le courant marxiste ».38 De nombreux groupes français mais aussi des belges par exemple participant depuis lors39 ; pour le 10ème anniversaire de l’association, où Lebourg signale « tant les néonazis belges que les français de la Fédération d’action nationaliste européenne (dont on traita sur Slate à propos de l’attentat de la Rue Copernic), et plus tard dissoute par le gouvernement (ndlr), mais aussi un représentant de Jean-Marie Le Pen ». Plus proche encore de nous, l’écrivain Alain Soral, ou les jeunôts de Projet Apache (proches du Bloc Identitaire)40...
Beaucoup des groupuscules proches des Amis de la Commune et du socialisme français et/ou se réclamant de la Nouvelle droite dans les années 1970 et depuis lors, en particulier du Groupement d’études sur la civilisation européenne (GRECE), participent en fait à une tentative de réhabilitation du nazi-fascisme tout en se proclamant pro-européens, pour une Europe ethnique et se réclament parfois carrément du fédéralisme. Des groupes que nous n’avons cessé de dénoncer et de combattre depuis la création de Fédéchoses en 1973 41.

NOTES DE FIN

  • 37 - Un article de P. Clémenti, « Actualité de Proudhon », p. 3, de la feuille L’Action européenne, organe du Combat national-révolutionnaire, dont il est le directeur politique, n° 1, du 15 septembre au 15 octobre 1971, par exemple.
  • 38 - « Amis du socialisme français et de la Commune », http://fr.metapedia.org:wiki/Amis_du_socialisme_français_et_de_la_commune, consulté le 4 juin 2021.
  • 39 - Cf. compte-rendu in L’Europe réelle, périodique de combat pour un nouvel ordre européen, n° 147, XVII° année, juin 1974.
  • 40 - http://www.mondialisme.org/spic.php?article1745, citant Ni patrie ni frontières, « Inventaire de la confusion ».
  • 41 - J.-F. Billion, « L’extrême droite et l’Europe », Fédéchoses, n° 2, août 1973, et, « Pierre Vial… la culture Rhône-Alpes dans la gueule du Saint-Loup », Fédéchoses, n° 100, 2° trimestre 1998.