L’affaire Barroso

, par Jean-Pierre Gouzy

Les fédéralistes ont très généralement soutenu la Commission trop souvent dite de « Bruxelles » et le Parlement dit de « Strasbourg » par les médias « grand public ». Même si, dans nombre de cas de figure, il s’est agi d’un soutien critique à l’occasion de l’élargissement ou du renforcement de leurs compétences.

C’est pourquoi nous devons nous associer à celles et ceux qui ont dénoncé ces temps derniers l’attitude du prédécesseur de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. C’est-à-dire Jose Manuel Barroso qui en assuma la présidence entre 1984 et 1994. Le Portugais a décidé, en effet, d’agrémenter les avantages d’une déjà très confortable retraite en accueillant sans état d’âme les offres de « pantouflage » de la tristement célèbre banque américaine Goldman Sachs mondialement connue pour les responsabilités assumées lors du déclenchement de la violente crise financière des « subprimes », provoquant à partir de 2008 un clash sans précédent depuis les années 1930, ébranlant de ce fait les économies américaine, européenne et même mondiale, frappant de plein fouet la jeune et encore fragile zone euro, au passage.

Devenu, au début de Juillet dernier, président non exécutif de la branche internationale de Goldman Sachs sise à Londres, Barroso a fait savoir ses intentions en les annonçant à la cantonade, contribuant ainsi à mettre luimême « le feu aux poudres ». Par exemple, quand il a déclaré tout de go au « Financial Times » qu’il était prêt en prenant la tête d’une telle banque d’affaires, « à participer » au dénouement des conséquences financières du Brexit.

L’initiative de Barroso a, de toute évidence, plongé dans l’embarras la Commission Juncker, déjà empêtrée dans les bourbiers grec et migratoire, sans parler des redoutables conséquences potentielles du rejet référendaire de l’appartenance britannique à l’Union européenne. Même si, formellement, l’illustre Barroso fort de ses 32 doctorats « honoris causa » et bénéficiant d’une cinquantaine de prix et médailles, a respecté les « règles de décence » aujourd’hui prescrites au nom des textes statutaires de l’Union européenne, plus de 120.000 signatures faisant l’objet d’une pétition électronique auraient été recueillies l’été dernier à son encontre, en vue d’être soumise aux présidents en exercice de la Commission, du Parlement et du Conseil européen, pour requérir des « sanctions exemplaires ». L’eurodéputée Sylvie Goulard, bien connue en France pour son engagement européen, a appelé les chefs d’Etat et de gouvernements de l’Union, en tête desquels Angela Merkel et François Hollande, ainsi que les responsables actuels du gouvernement de Lisbonne, à exprimer publiquement « leur réprobation » suggérant
même qu’ils invitent M. Barroso à démissionner de ses nouvelles fonctions, alors que celui-ci s’estime victime « d‘allégations discriminatoires ».

Cependant, l’affaire Barroso a pris un tour nouveau quand la Médiatrice de l’Union, élue par le Parlement européen, l’Irlandaise Emily O’Reilly a fait savoir, le 6 Septembre dernier, qu’elle attendait très officiellement de Jean-Claude Juncker une « clarification » de la position de la Commission dans cette affaire. Le Luxembourgeois a répondu trois jours plus tard, en assurant son interlocutrice qu’il avait demandé que lui soit communiqué le contrat de travail liant désormais M. Barroso à Goldman Sachs. D’autre part, il a saisi la Commission d’éthique ad hoc du cas de figure que posait, en la circonstance, son prédécesseur. Cette réponse n’a, apparemment, pas entièrement satisfait Mme O’Rielly qui, en pleine connaissance des textes existants (y compris, l’article 245 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), a exprimé des doutes sur leur efficacité, tels qu’ils avaient été rédigés. En conséquence, la code de conduite devrait être révisé et inclure, selon elle, de nouvelles sanctions spécifiques. L’affaire suivra donc son cours… et continuera à nuire à l’image de la Commission tant qu’elle n’aura pas abouti à des conclusions moralement acceptables.

M. Barroso mérite notre attention particulière. C’est, en effet, à son initiative que s’est tenue aux îles Açores, le 15 Mars 2003 l’historique rencontre à l’issue de laquelle l’américain Bush, le britannique Blair, l’espagnol Azenar ont donné le « feu vert » de la guerre d’Irak. Comment, dès lors mieux le remercier de son virage atlantique , qu’en parrainant sa candidature à la présidence de la Commission européenne ? C’est ce que fit Tony Blair au détriment de celle, jugée « trop fédéraliste » du belge Guy Verhofstadt, aujourd’hui chargé par le Parlement européen de suivre les négociations qui s’annoncent avec Londres, à la suite du Brexit.

A la tête de la Commission, dix ans durant, le « Mérou » (surnom portugais de José-Manuel) a aussi assumé un deuxième virage notoire, : celui d’une « technocratisation » accélérée de l’exécutif européen, conformément aux vœux britanniques. Quoi qu’il en soit, les fédéralistes doivent, en la circonstance, soutenir les requêtes de Mme O’Reilly, de la même façon qu’il est de leur devoir de s’associer au combat de la danoise Margrethe Vestager, Commissaire européen en charge de la concurrence, aux prises avec le géant américain de l’informatique et du numérique, APPLE. Ne serait-ce que pour des raisons morales et éviter que la communauté des citoyens ne rejette une fois pour toutes une construction européenne appelée, par ailleurs, à fêter son soixantième anniversaire en mars 2017.

Si Schuman et Monnet étaient encore de ce monde, diraient-ils, « autre chose ?