Lettre ouverte à M. Monsieur Yves Leterme Premier ministre de Belgique

, par Bernard Barthalay

Paris, le 25 juin 2010

Monsieur le Premier ministre,

En dépit des échafaudages gouvernementaux, l’euro n’a qu’un gouvernement crédible : la BCE. Il est monétaire et fédéral, car la monnaie est unique. Le Conseil européen en formation réduite, ne peut prétendre, quoi que décident les États membres, faire figure de gouvernement de l’euro, ni aux yeux des marchés, ni aux yeux des États-Unis ou de la Chine. La Commission européenne non plus. Seul un pouvoir fédéral de la zone euro peut satisfaire l’exigence d’un policy mix équilibré et fiable.

La présence d’un ancien Premier ministre belge à la présidence du Conseil européen et la présidence belge du Conseil de l’Union à partir du premier juillet sont une chance pour l’Europe et pour la Belgique. L’unité fédérale des Belges ne peut être sauvée sans unité fédérale des Européens. Les États d’Europe se sauveront ensemble s’ils s’unissent, ou s’abîmeront divisés dans l’impuissance et l’insignifiance.
Puissance Europe ne croit pas qu’on puisse sauver la fédération monétaire sans fédération budgétaire, et donc sans fédération tout court. Supposer que la survie de l’euro serait assurée par un dispositif de prévention et de résolution des crises et par un contrainte budgétaire forte est tout aussi hasardeux que l’était la croyance en la pérennité de l’unité du marché commun sans fixité des changes ou de la discipline budgétaire selon le Pacte de stabilité : ce dispositif durera tant que les États respecteront leurs engagements financiers et tant que les peuples ne le tiendront pas pour arbitraire et insupportable. Pour comprendre, les citoyens ont besoin d’abord de savoir où va l’Europe.

S’agit-il de se contenter, comme le Royaume-uni, de la liberté de circulation des produits et des facteurs de production ? Alors, il faut dire aux Européens que l’euro ne tiendra pas, que le retour aux monnaies nationales les exposera à la volatilité des changes et à la désinflation compétitive, jusqu’au moment où les peuples épuisés seront tentés par le protectionnisme et la fermeture des frontières à tout ce qui prétendrait circuler. Mais c’en serait alors fini de l’indépendance et de la liberté tout court.

S’agit-il d’induire à partir de l’euro une dynamique de consolidation et de renaissance, prélude à l’affirmation de l’Europe comme puissance continentale et comme architecte d’un ordre mondial multipolaire ? Alors il faut dire aux Européens que l’euro n’a aucun avenir en dehors de la perspective tracée en 1950 par Jean Monnet et Robert Schuman et alors acceptée par Gaston Eyskens et son gouvernement. La fédération, soixante ans après, reste pour demain une condition sine qua non d’un modèle social durable et d’une démocratie vivante.
Sauf catastrophe, le point fort de cette année européenne sera la présentation en octobre desrecommandations de la task force Van Rompuy.

« Dans le choix que les gouvernements vont faire pour nous, ce qui importe est moins l’étape qu’ils conviendront de franchir que la direction dans laquelle ils nous engageront. S’ils s’en tiennent aux formules purement nationales qui dans le passé ont si tragiquement échoué, puisqu’elles n’ont pas empêché les guerres, nous entendrons les gouvernements parler de coopération. Si au contraire les gouvernements se décident à faire du neuf, alors nous apprendrons qu’ils sont d’accord pour transférer à une autorité commune les pouvoirs qu’ils ne peuvent plus exercer séparément au bénéfice de chacun de nos pays. C’est de ce changement seul que peut venir notre salut.  » (Jean Monnet, Le Monde, 16 juin 1955).

Il existe, dès le premier juillet, pour la Présidence belge un moyen d’engager les gouvernements, et du même coup la task force, dans la bonne direction, c’est de leur poser les bonnes questions en retenant la méthode pratiquée, à l’époque de la Déclaration de Laeken, par Guy Verhofstadt et son groupe de conseillers : en l’occurrence, leur poser, dès l’été, une seule question : « Etes-vous prêts maintenant, pour sauver l’euro, à tenir (ou à reprendre à votre compte) la promesse d’une fédération, en scellant un pacte détaillant les étapes à franchir pour l’accomplir d’ici à 2014 ? ». Les gouvernements ayant répondu « oui » à la question pourraient alors « faire du neuf », et sceller un pacte fédéral, avant l’automne, de nature à signifier au monde que l’Europe se réveille enfin, prête à contribuer activement à l’émergence d’une gouvernance planétaire.

Ce ne sont pas les peuples qui font obstacle à l’unité. C’est le refus des gouvernements devant l’obstacle qui tue le rêve. La formation d’une volonté européenne pourrait renaître dans l’opinion, au delà des premiers résultats tangibles dans la gestion des finances publiques, de la simple décision d’associer enfin les citoyens à l’entreprise. La perspective ouverte par le pacte d’un chantier constitutionnel représentatif et participatif changerait du tout au tout la donne politique européenne et belge.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre haute considération.

P.-S.

Bernard BARTHALAY
Président de Puissance Europe/Weltmacht Europa - Paris

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