BREXIT : le grand chambardement

Nul doute que – s’il était encore de ce monde – le Général Cambronne aurait prononcé, à l’annonce des résultats du référendum britannique du 23 Juin dernier, le célèbre mot de cinq lettres qu’il a immortalisé.

En confirmant sa volonté, après une mûre réflexion de plus de quarante années dans les cercles tories, David Cameron a cru devoir poser, en substance, et par la voie référendaire, la question « Brexit or not Brexit ? » Ceci, après avoir négocié, au nom des peuples de Grande-Bretagne, des aménagements aux traités existants qui les autorisaient à rester éventuellement membres de l’Union européenne (UE), en échange de nouveaux accommodements destinés à permettre aux insulaires de se soustraire aux règles communes imposées aux autres pays partenaires, avec la bénédiction de « Bruxelles ». Ni ces « bricolages », comme les a qualifiés le leader travailliste Jeremy Corbyn, ni l’assassinat de l’anti-brexit députée Jo Cox, le 16 juin dernier, dans le Yorkshire ; ni les avertissements du Président des Etats-Unis, du Ministre allemand des finances, Wolfgang Schaüble, ou des représentants des grandes institutions internationales, n’ont contrarié la décision britannique d’opter pour le « Brexit » à près de 52 % des suffrages exprimés, convaincus comme ils l’étaient que désormais leur pays n’avait plus d’intérêt à demeurer au sein d’une UE frappée de plein fouet par la crise depuis 2008, encombrée de pays peu fiables (à leurs yeux) comme la Grèce : incapable au surplus de maîtriser les problèmes migratoires, etc. Dès lors, les europhobes avaient le vent en poupe pour prendre le grand large. Sans même percevoir le fait qu’en contrepartie, le Royaume réunissant l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Ulster apparaîtrait singulièrement désuni dès la proclamation des résultats : 62 % des Ecossais, et 55,8 % des Irlandais du Nord, s’étant ouvertement opposés au « splendide isolement » sauce Brexit. La menace latente d’une éventuelle sécession écossaise a d’ailleurs déjà par la même occasion refait surface.

Inversement, sur le continent européen, la vague populiste, eurosceptique et nationaliste qui n’a cessé de grossir ces temps derniers dans la plupart des pays d’Europe occidentale, centrale et même méridionale, a reçu un sérieux coup de pouce. Marine Le Pen n’a pas été la seule à « exulter ». La question d’un référendum susceptible d’avoir les mêmes effets stato-nationaux qu’en Angleterre se pose désormais, même dans les pays fondateurs. Aux Pays-Bas, le « Nexit » est désormais à la mode. Les partis parlementaires traditionnels sont un peu partout sur la défensive. Les Pays-Bas, la France, l’Allemagne seront confrontés à des échéances électorales majeures en 2017 et le risque d‘un effet domino dont le Brexit est porteur, s’en trouve naturellement accru.

Dans une telle conjoncture, les forces centrifuges s’en donnent à cœur joie. « L’art de détricoter l’Europe » ou plutôt « le peu d’Europe » qui subsiste vraiment sera bientôt entre toutes les mains.

En France, la situation demeure potentiellement explosive alors
que les prémices de la campagne pour les élections présidentielles vont se manifester dès la prochaine « rentrée ». Le « Brexit » ayant fini par s’imposer, le couple Mélenchon – Le Pen mène la sarabande souverainiste. Ils se veulent, par excellence, les candidats de la « sortie des traités ».

Dans le camp de la gauche gouvernementale, on attend toujours un projet européen cohérent et porteur d’avenir. En dehors d’Emmanuel Macron, porteur, à ses risques et périls, de perspectives qui font sens, jusqu’ici rien de bien nouveau n’est sorti des arcanes de la rue Solferino où « l’Europe », là encore, est considérée comme un facteur exogène de divisions internes. Issue de la mouvance libertaire des manifs de mai 1968, un homme seul, mais qui garde une forte audience populaire, se débat comme un beau diable, en exposant dans les médias, les raisons de son choix sans ambiguïté en faveur d’une Europe fédérale : Daniel Cohn-Bendit.

Du côté de la droite dite « républicaine », on voit s’accumuler depuis le coup de Trafalgar du « Brexit », des appels en faveur d’une « refondation » et d’une « rénovation », de l’UE, sans annoncer le moindre projet, du moins, jusqu’ici. Ces déclarations dans le vide masquent un certain désarroi, dès que la question des transferts de souveraineté dans les domaines régaliens de la défense, de la politique étrangère et de la fiscalité sont abordés. Quand François Fillon, par exemple, s’en prend au « fédéralisme administratif » auquel les Etats membres se sont toujours efforcé de réduire le rôle de la Commission, il ne nous dit pas au profit de quoi, sinon d’une « Europe politique » indéfinie. M. Fillon se garde bien d’évoquer l’idée d’un « fédéralisme politique » par exemple.

Face au jeu de farces et attrapes auquel nous sommes à nouveau confrontés, les partisans d’une Fédération européenne doivent sortir de leur torpeur, à moins qu’ils ne se soient volatilisés. Il faut de plus qu’ils reprennent la main au sein du Mouvement Européen, dans la perspective cruciale des élections présidentielles françaises. Les « faux culs de l’Europe » doivent être dénoncés pour ce qu’ils sont. Ces gens-là n’ont qu’un objectif dont la dernière déconvenue britannique nous rappelle la réalité prégnante : empêcher à tout prix que n’émerge du chaos ambiant, une Europe enfin capable d’assumer son destin. Curieusement, une Europe enfin souveraine leur paraît plus à redouter que de devoir s’en remettre pour la gestion des affaires mondiales aux maîtres des superpuissances dont les jeux déterminent les rapports de forces dans le monde d’aujourd’hui : les Etats-Unis (le candidat républicain à la présidence vient de se gausser publiquement de la décomposition de l’Union européenne) : la Russie de Wladimir Poutine et de Gazprom ; la Chine de Xijing Ping et d’Ali baba ; même si les uns et les autres se détestent cordialement.