De la guerre d’Algérie et de son indépendance… au Statut de Rome du Tribunal pénal international : dénonçons l’organisation du monde en Etats nationaux !

Ce nouveau numéro de Fédéchoses, qui précède de quelques mois seulement le 40° anniversaire de la parution de notre premier numéro en
mai 1973, est l’occasion de revenir sur deux évènements majeurs qui, tous deux, doivent être analysés au travers du prisme de la critique de
l’Etat national.

Il s’agit, pour l’un, de la guerre d’Algérie et de son indépendance mettant un terme, à la fin des années 50 et au début des années 60, au
processus de décolonisation des principaux territoires « français » situés hors d’Europe (nous reviendrons par ailleurs sur la nécessaire
décolonisation de larges parts de l’hexagone lui-même… qui reste à faire… !) ; pour l’autre, de l’entrée en vigueur du Statut de Rome du
Tribunal pénal international en juillet 2002. Ces deux sujets nous ont paru dignes, respectivement, de notre Focus et de notre Féd’actualité,
car ils sont au centre des réflexions sur des questions que (se) posent les fédéralistes : position de l’Europe dans son environnement
géographique, nationalité et citoyenneté, droits des minorités ou des peuples et cultures sans Etats, « justice internationale… et souveraineté
nationale »…

Ce faisant, et faute de place, nous avons dû malheureusement repousser à l’un de nos prochains numéros l’analyse, liée à la décolonisation
de l’Algérie, d’un autre sujet d’importance pour les fédéralistes : celui de l’avènement de la V° République et de sa constitution
« bonapartiste » qui a permis à de Gaulle « d’orienter souverainement la politique européenne de la France jusqu’à son départ en 1969. (Cette)
politique basée sur le concept d’une ‘Europe des Etats’ qui se substituerait à l’approche ‘intégrationniste’ de Jean Monnet et, a fortiori, à
l’approche fédéraliste » [1]. … Et ce n’est là que l’un des nombreux défauts de ce texte, malheureusement gravé dans le marbre en 1958 et peu
ou mal toiletté depuis lors par nos monarques républicains successifs !

Notre Focus, introduit par Michel Morin, présente aussi bien des analyses fédéralistes d’époque (Altiero Spinelli, Herbert Lüthy et groupe de
Lyon du Mouvement fédéraliste européen), qu’un témoignage d’un militant autonomiste breton sur la guerre d’Algérie et des textes actuels,
pas tous issus de la mouvance fédéraliste stricto sensu mais pouvant recouper nos propres réflexions ou nous permettre d’affiner et
d’enrichir nos commentaires (du kabyle Salah Hannoun, de François Alfonsi [député européen et autonomiste corse], du chercheur et
universitaire Jean-Robert Henry et enfin de l’avocat d’une « citoyenneté européenne de résidence », Paul Oriol, avec qui nous partageons
depuis la fondation de Fédéchoses le combat pour la reconnaissance des droits politiques des travailleurs immigrés, à commencer par le
droit de vote aux élections locales… proposition reprise par François Mitterrand en 2001 puis par François Hollande en 2012… sans garantie
que cette fois soit la bonne… tellement elle heurte de front la logique d’exclusion de l’Etat national… dont la France reste l’un des plus beaux
fleurons !

Notre Fed’actualité, est, lui, introduit par l’éditorial de la publication de la Coalition des ONG pour la Cour pénale internationale (CPI, nous
utilisons aussi le terme de Tribunal pénal international [TPI] employé en français) signé par son animateur William R. Pace. Rappelons que
Bill est également le Directeur exécutif du World Federalist Movement (WFM) pour insister sur le rôle fondamental des fédéralistes dans la
fondation de cette juridiction. Vous pourrez aussi trouver ci-après un témoignage de l’ancien procureur des procès de Nuremberg -le
fédéraliste Benjamin Ferencz, un article du secrétariat de la CICC faisant le point sur la situation actuelle de la CPI et trois articles de
fédéralistes (la canadienne Murielle Cuillerier et nos amis, italien, Lucio Levi, et, argentin, Fernando Iglesias) engagés fortement dans le
soutien au TPI ; les deux derniers textes replaçant la justice internationale dans le combat pour la paix dans un monde globalisé et mettant en
exergue les insuffisances actuelles du TPI et le long cheminement restant à parcourir en raison des résistances nationalistes et étatiques.
Pour en revenir à la critique de l’Etat national, pourquoi n’hésitons nous pas à affirmer qu’elle doit être au centre de toute analyse sérieuse de
ces deux thèmes ?

Parce que depuis qu’elle s’est développée dans l’Europe du 19° siècle, avec Constantin Frantz et Pierre-Joseph Proudhon plus
particulièrement, la critique de l’Etat national (et au-delà la culture fédéraliste : celle de la paix, par opposition au nationalisme qui est la
culture de la guerre, selon Mario Albertini) fait le procès de l’Etat national comme société fermée, oppressive, belliqueuse, et a mis en
évidence ses deux plaies : la centralisation et le nationalisme. La centralisation qui réduit à une formule juridique vide de sens la suprême
garantie de liberté : la séparation des pouvoirs, et, le nationalisme qui n’est pas autre chose que la conséquence du caractère artificiel des
Etats-nations modernes, sociétés politiques tendant à étouffer les groupes humains où les coutumes se forment spontanément (les « nations »
au sens étymologique du mot) et avec eux la diversité de la vie.
Proudhon et les fédéralistes du 19° siècle avaient déjà compris que l’idée selon laquelle les Allemands, les Français, les Italiens…
constitueraient des « races » n’est que le sous-produit de la centralisation politique et de la division politique du genre humain en Etats nationaux concurrents et rivaux.

Notes

[1Jean-Pierre Gouzy, dans, « Altiero Spinelli, les rapports avec le Congrès du peuple européen et les mouvements fédéralistes en France », dans Altiero Spinelli,
Manifeste des Fédéralistes européens (1957), coll. Textes fédéralistes, fédérop, 24680 - Gardonne, p. 124.