Tandis que le traité sur le Pacte budgétaire a suscité une analyse et des évaluations précises, celui sur le Mécanisme européen de stabilité, approuvé par les gouvernements le 30 janvier 2012, a été l’objet de beaucoup moins d’attention. Cependant le MES est d’une grande importance pour l’avenir de l’euro, et par conséquent pour toute l’Union européenne (UE). Mettre en place une organisation permanente pour assurer la stabilité de l’eurozone est, sans aucun doute, une décision positive. Il est correct de donner à ce nouvel organisme les atouts nécessaires, un pouvoir de décision indépendant et une structure solide. Et il est raisonnable que les ressources ne soient attribuées aux pays membres en difficulté qu’en des termes très stricts (« sujets à une conditionnalité très stricte ») comme cela est répété dans le texte de façon quasi obsessive. La reprise et la stabilité sont des valeurs de base pour toute une communauté, dont il est correct de mettre en place des garanties, même en limitant la souveraineté nationale, si nécessaire. Il faut donc espérer que le nouveau traité sera rapidement approuvé par chacun des pays de la zone euro.
Ceci dit, les remarques qui suivent ont pour but de noter quelques défauts du traité ; en vue du futur, comme la dynamique des pas en avant est une constante dans l’histoire de l’UE. A mos avis, il y a deux problèmes principaux avec le traité MSE. Le premier a trait à la procédure de prise de décision, le second à la base constitutionnelle du nouveau mécanisme. Pour les décisions et les actions de ce nouvel organisme, le traité applique la triple procédure des Traités européens :
accord, majorité qualifiée, majorité simple. Le quorum requis pour prendre les décisions est, au moins, des deux tiers des membres représentant au moins deux tiers des quotas des Etats membres individuels.
Toutes les décisions importantes ne peuvent être prises sans l’accord mutuel du Conseil des gouverneurs (art. 5.6), et donc à l’unanimité, cependant l’abstention ne bloque pas l’accord des autres membres du Conseil, ainsi, l’accord mutuel est requis pour instituer de nouvelles parts, pour effectuer des appels de capitaux, fixer des volumes de prêt maximum, établir la conditionnalité de la politique économique, pour les prêts, pour le mandat de la Commission, pour négocier toutes les questions cidessus, pour les transferts de fonds du FESF (Fonds européen de solidarité financière) au MES, pour donner des pouvoirs au conseil des Directeurs, pour la décision du mode de choix du Président (qui peut-être le Président de l’eurogroupe ou l’un des membres du Conseil des gouverneurs) et pour d’autres sujets de base (art. 5.6, lettres a - m). Pour les décisions à prendre par un vote à la majorité qualifiée, le pourcentage de voix pondérées est différent suivant chaque Etat membre de l’eurozone, qui va de 27,4 % pour l’Allemagne à 0,07 % pour Malte, à 20,38 % pour la France et 17,91% pour l’Italie (Annexe I). Comme la majorité qualifiée se monte à 80 % des parts de vote (art. 4.5), l’Allemagne et la France sont les seuls capables d’exercer un droit de veto.
Cette procédure a deux inconvénients. Le premier c’est qu’un vote à l’unanimité est nécessaire dans les décisions essentielles, le second c’est d’avoir un vote pondéré au lieu d’un vote par tête. Quand le Traité de Maastricht, établit pour la future Banque centrale européenne (BCE) une procédure de décision vraiment efficace, il appliqua le principe de la majorité sans exception. De plus il adopta le vote par tête et non par quotas : ce qui est essentiel c’est la qualité des arguments, pas le poids du pays du gouverneur qui les promeut. Sur ce second aspect on pourrait peut-être argumenter que le MES est d’une nature un peu différente. Mais, sur le premier point, comment soutenir que quand un Conseil veut décider il n’y a pas d’autre façon que de compter des voix ? Le pouvoir de veto -et nous avons vu qu’il ne peut être exercé que par l’Allemagne et par la France même dans toutes les matières qui demandent une majorité qualifiéesignifie ni plus ni moins qu’un refus de facto d’une union réelle, aussi bien qu’une procédure qui fonctionne très mal. Bien sûr il serait nécessaire d’équilibrer soigneusement (et de rééquilibrer) la dimension et les quotas des majorités qualifiées pour les divers types de décision.
Le double niveau du Conseil des gouverneurs (Ministres des finances de l’eurozone ou leurs représentants personnels) et le Conseil des directeurs, présidé par un Directeur général, comme le stipule le traité, est raisonnable. Mais il aurait été préférable que le nombre des directeurs soit plus réduit, et non, comme actuellement, composé de personnes nommées individuellement par chaque gouvernement (art. 6.1) : les gouvernements sont déjà représentés dans le Conseil des gouverneurs, tandis qu’il serait préférable que les directeurs soient nommés par le Conseil dans son ensemble. Ici encore, le statut de la BCE dans laquelle il y a six membres au Conseil avec les gouverneurs de chaque banque centrale nationale, offre un modèle de gouvernance plus efficace.
Le deuxième inconvénient de base du traité du MES est d’un ordre différent. Le traité a établi tout à fait correctement des rôles importants pour la Commission européenne (qui mériteraient cependant une définition plus précise) et pour la Cour de justice. Le système intergouvernemental qui a prévalu et dominé (avec de sérieux défauts) a donc été surmonté et corrigé. Mais le traité oublie toute mention du Parlement européen (PE). Cela semble peu raisonnable et injustifié. Les récriminations des citoyens, qui ne se sentent pas représentés par les institutions de l’Union sont de plus en plus fréquentes et fortement soutenues et répercutées par les médias. Par conséquent, négliger complètement le seul organisme qui ait une légitimité directe et démocratique au niveau européen est pire qu’une faute par omission : c’est une erreur politique. Il ne faudrait pas oublier non plus que certains jugements de la Cour constitutionnelle allemande ont porté, très justement, sur cet aspect, même si certains arguments avancés par la Cour de Karlsruhe sont sujets à caution.
Il y a au moins deux domaines dans lesquels le PE devrait avoir un rôle dans le MES. Le premier, c’est le pouvoir de confirmer par un vote les nominations du Directeur général et des autres membres du Conseil d’administration ; encore une fois, comme pour la BCE.
Le second point concerne les futurs développements potentiels de la gouvernance économique de l’Union qui devrait inclure le nouveau système du MES. Il est essentiel de ne pas oublier l’objectif stratégique de la création d’un véritable système d’union fiscale européenne (en plus du « paquet fiscal » maintenant en place, qui est une étiquette tout à fait inadéquate), en tout cas entre les pays de l’eurozone. De nouvelles réformes sont nécessaires et de nouveaux traités : entre autres, la mise en place de taxes sur les transactions financières et sur le carbone, une réorganisation des ressources de l’Europe, l’établissement de la BCE comme prêteur de dernier recours, la création d’eurobonds, l’approbation d’un vaste plan de développement pour les infrastructures, l’augmentation du budget de l’UE par le transfert de ressources nationales comme cela est demandé par le principe de subsidiarité. Tous ces objectifs devraient être atteints progressivement de façon à assurer la stabilité et garantir les conditions de la croissance, ce qui, en retour, a un effet direct sur la stabilité, comme les économistes (pour une fois d’accord les uns avec les autres) l’ont montré. Dans ce processus le MES doit devenir un élément du gouvernement économique et financier de l’Union.
L’augmentation et les garanties du Fonds de stabilité, actuellement fixés à 700 milliards d’euros, devraient être également établies à l’avenir à un niveau européen et pas simplement au niveau intergouvernemental : et donc, avec la contribution et la décision communes des institutions de l’Union, y compris du PE. A ce point, l’UE en tant que telle, devrait, à travers la Commission, être membre du Conseil des gouverneurs, avec sa part proportionnelle dans les contributions fournies par le Fonds. Deux remarques finales. En premier, le principe de solidarité ne devrait pas être oublié, car il est un pilier de l’intégration européenne, dont les avantages ont été et sont encore considérables pour tous, même pour les plus riches et les plus efficaces de l’Union. En second, la seule coopération intergouvernementale ayant montré clairement ses limites et ses inconvénients ces dernières années pour un développement ultérieur de l’Union, et en tout cas de l’eurozone, une approche supranationale plus forte est de plus en plus urgente et nécessaire.