En mémoire de Gino Majocchi

, par Daniela Preda

Gino Majocchi avait gravé de façon indélébile dans sa mémoire certains épisodes vécus au cours de son enfance, pendant la guerre : le premier bombardement sur Milan, dont les échos arrivaient à Vigevano de façon lointaine, et le bombardement sur le pont du Tessin, à Pavie. Il disait qu’il les avait, dans le temps, associés d’abord à la conscience et à la peur de la mort et ensuite à une aspiration à la paix. Il avait ensuite recherché un principe directeur permettant de surmonter les erreurs du passé dont ces épisodes témoignaient.
Le fédéralisme et ce lien que Kant avait formulé entre paix, droit et institutions, répondaient naturellement à son désir de paix.
Son premier contact avec le fédéralisme eut lieu pendant sa deuxième année de Liceo Classico, à Vigevano, à l’occasion de la Journée européenne des Écoles. Ceci explique aussi, du moins en partie, au-delà de l’esprit de service qui le distinguait, son empressement à répondre positivement aux demandes de participation à des conférences, des débats, des séminaires en provenance des écoles, des associations, des groupes de la Gioventù Federalista Europea et du Movimento Federalista Europeo un peu de partout en Italie. Et il était toujours prêt à prendre sa valise pour aller parler d’Europe.
Vint ensuite la première étude sur les problèmes européens ; ce fut l’occasion de lire le journal Giovane Europa de Ivo Murgia et de faire des recherches sur la section fédéraliste de Vigevano, fermée suite au déménagement à Milan de son secrétaire, Giulio Cesoni. C’est là le premier impact avec un monde volontariste, celui des sections du MFE et, plus encore, celui de la GFE, qui avancent par des relances permanentes. Une section naît lorsqu’il y a des personnes convaincues par l’idée et disposées à sacrifier une partie de leur temps libre pour garder les contacts, organiser des réunions et des conférences, s’occuper du fonctionnement. Gino Majocchi était prêt pour assumer ces engagements.
Ainsi, en 1957, il se consacrera à la reconstruction de la section fédéraliste de Vigevano qui, sur le modèle du « nouveau cours fédéraliste » écrit par Altiero Spinelli et Mario Albertini, deviendra très active, dans les années qui suivront, aussi bien lors du Congrès du Peuple européen et d’Autonomie fédéraliste que lors de l’organisation de rencontres culturelles ouvertes à tous les citoyens et de véritables écoles-cadres pour jeunes fédéralistes.

La certitude que la section constitue un centre culturel de première importance, un lieu de débat politique et théorique, une cellule vivante du Mouvement et de son histoire, restera toujours très ancrée en lui. En 2009, la section de Belgioioso vit le jour et il y milita jusqu’aux derniers jours de son existence.
Entretemps, en 1955, il était entré au Collegio Ghislieri où la perspective du fédéralisme européen suscitait, autour de Mario Albertini, des sympathies et une adhésion massive des jeunes étudiants universitaires ; de ces années-là datent aussi les contacts avec la GFE de Pavie, par l’intermédiaire de Domenico Maselli. La plupart de ces jeunes étudiants – dont Majocchi – assumeraient dans les années qui allaient suivre des fonctions déterminantes au niveau national et européen au sein du MFE ; ils étaient attirés par une proposition politique et culturelle nouvelle et convaincante, qui constituait une alternative à la proposition traditionnelle (qu’elle soit laïque, socialiste ou catholique) encore fondée sur l’État national, et qui les projetait dans une perspective européenne. Un groupe soudé, celui des élèves du Collegio Ghislieri, qui, bien que composé essentiellement d’intellectuels, s’engagera très vite et avec enthousiasme dans le travail ingrat d’une organisation politique, tâche rendue encore plus difficile par l’adhésion à un mouvement qui, avec fierté, se targuait de n’appartenir à aucun parti. Lorsque Albertini théorisera la nature du militant fédéraliste, c’est à ces jeunes-là qu’il fera concrètement référence.
Gino Majocchi a pris la décision, définitive, de devenir un militant fédéraliste, en 1957, justement après une longue conversation avec Albertini ; dans les années qui vont suivre, il participera avec enthousiasme à toutes les batailles politiques du Mouvement, du Congrès du Peuple européen au Recensement volontaire du peuple fédéral européen, de la lutte pour les élections directes au Parlement à celle pour la monnaie unique. Et il restera un militant fédéraliste toute sa vie durant.

« Faire l’Europe dépend aussi de toi » : je crois que l’appel lancé aux citoyens pendant la campagne pour le Recensement résume de façon forte l’engagement total d’une vie consacrée à un idéal qui ne se limitait pas aux aspects idéologiques et politiques mais qui savait se concrétiser dans la vie quotidienne. Une culture, celle du fédéralisme qui, pour Gino Majocchi, s’alliait étroitement à l’affirmation de la démocratie à tous les niveaux, du quartier à la ville, de la région à l’État, de l’Europe au monde, dans la promotion du développement économique et de la qualité de vie.
Au début des années 80, il devient Secrétaire général du MFE et, de 1984 à 1987, du Mouvement européen international : il participe activement, au cours de ces années, à l’action de Spinelli au Parlement européen qui, en février 1984, conduira à l’approbation par le Parlement du projet de Traité instituant l’Union européenne. Je me suis toujours demandée comment il avait trouvé le temps pour suivre pas à pas, mot après mot, avec le professeur Guderzo, ma propre thèse de doctorat ! Il me recevait au Cesfer, le Centre d’études sur le fédéralisme, le régionalisme et l’unité européenne ; qu’il avait créé en 1971 et où avait été transférée la section de Pavie, dans la Casa degli Eustachi, un lieu qui le représentait très bien. Ce petit palais médiéval en briques apparentes lui rappelait peut-être un peu sa Toscane bien-aimée. À l’entrée, à droite, il y avait les archives, le lieu de l’histoire du Mouvement fédéraliste, dont les ouvrages lui étaient chers. Au premier étage, à gauche, l’hémérothèque, le lieu de la lecture silencieuse, mais aussi de la réflexion commune, du débat, de l’élaboration des idées ; à droite, le grand salon de la politique et des stratégies. Tout autour, le jardin. Je me rappelle que le Professeur rêvait que la petite communauté fédéraliste prendrait soin de ce jardin, comme s’il s’était agi d’une res publica des citoyens, à partir véritablement du quartier. Dans le hall d’entrée, les vélos bien-aimés. Entrer dans ce lieu était un peu comme s’éloigner de Pavie, de son agitation, de ses bavardages et être projetés dans un monde différent, dans le monde de Hegel, où on essayait de donner une concrétisation à la citation « tout ce qui est rationnel est réel », à savoir qu’il doit le devenir et qu’il faut donc œuvrer dans ce sens.

Pour tous ceux qui, comme moi, ont suivi le doctorat en « Histoire du fédéralisme et de l’unification européenne », coordonné par le professeur Giulio Guderzo et ouvert à l’Université de Pavie depuis 1988, le studiolo qui s’ouvre du premier étage de l’ex couvent de Saint Thomas sur la place du Lino était devenu le point de référence du contact quotidien avec le professeur Majocchi ; en 1989, il avait obtenu la Chaire européenne Jean Monnet en Histoire de l’intégration européenne et, à la fin des années 70, il avait été appelé par Guderzo pour justement suivre l’axe de recherche sur l’histoire de l’intégration européenne. C’est là, dans ce studiolo, que de nombreux jeunes gens se sont nourris de ce contact avec Majocchi et en ont pris de la force. Comme dans une forge très active dans laquelle se façonnaient des idées, des esprits et des personnalités, c’est là que nous passions nos journées plongés dans les études, dans l’écriture de textes, dans la recherche et dans la collecte de documents (pour la plupart conservés aujourd’hui aux Archives historiques de l’Université de Pavie) ; mais aussi dans la recherche de la forme la plus appropriée pour communiquer les contenus, en formulant encore et encore les idées et la façon de les exprimer jusqu’à ce qu’elles deviennent d’une compréhension claire et accessible à tous. Jour après jour, le Professeur ne se limitait pas à nous transmettre ses grandes connaissances mais il nous poussait à un effort de clarification difficile et fructueux, en nous apprenant une méthode qui correspondait, en même temps, à un style de vie. C’est ainsi qu’est née une véritable École d’études sur l’histoire de l’intégration européenne, novatrice, une génération de spécialistes aujourd’hui dispersés dans différentes Institutions et Universités mais ayant les mêmes racines.
De la même manière, dans les années 60 et 70, en tant que professeur d’Histoire et de Philosophie au Liceo Scentifico « Taramelli » de Pavie, le professeur Majocchi a formé des générations d’étudiants, en adoptant la même méthode. Il était théoriquement convaincu que la vérité réside essentiellement dans le dialogue et il considérait le dialogue comme le moyen le plus efficace pour prendre conscience et donner une forme finalisée à sa propre réflexion ; il n’économisait jamais son temps dans le dialogue avec les jeunes.
Il avait une profonde empathie avec tous ces jeunes qui l’entouraient ; elle ne dépendait pas seulement de sa culture extraordinaire et de son talent à communiquer mais aussi de sa capacité à écouter, à se remettre en cause quotidiennement, à être le Maître dans le sens le plus élevé, socratique, du terme.
Pour tout cela, nous lui sommes reconnaissants et nous savons qu’il restera encore avec nous.