Luigi V. Majocchi dit Gino

, par Jean-Francis Billion

Luigi V. Majocchi (Gino), est né à Vigevano (province de Pavie), le 11 octobre 1937 et décédé le 12 mars 2021. Nous publions ci-après des textes d’hommage prononcés à l’occasion de ses obsèques par deux de ses anciennes étudiantes, nos amies Daniela Preda et Antonella Braga. Ces deux textes sont profondément humains et profondément fédéralistes. Ils se recoupent et parfois se complètent. Je n’ai rien à y redire et n’y reviendrai pas. Par contre je souhaite ajouter une touche personnelle pour « enfoncer le clou » sur des points qu’elles mettent en exergue et qui me paraissent de la première importance pour un mouvement politique trans-partisan et désireux « de faire de la politique autrement », dont la raison d’être n’est pas de gérer les institutions politiques existantes (nationales, régionales et aujourd’hui européennes, demain mondiales), de se présenter aux élections mais au contraire d’essayer d’unir la classe politique traditionnelle, de l’extrême gauche non souverainiste à la droite civilisée, dans une perspective constituante pour construire des institutions nouvelles sur des territoires nouveaux. Un mouvement politique qui ne sera jamais en mesure de proposer des places au soleil ou des honneurs (autres que moraux) à ses membres, et ne leur offre qu’une action dans le temps long dont ils ne seront jamais certain.es de voir l’aboutissement (la Fédération mondiale) et leur demande de faire des différences entre les faits et les valeurs une affaire personnelle.

Gino s’était engagé dans le mouvement fédéraliste en 1957 et je l’ai rencontré début des années 1970 peu après ma propre adhésion. Le MFE lyonnais était historiquement proche des fédéralistes italiens, de Spinelli et / puis d’Albertini. Nous organisions souvent des « écoles cadres », terme employé par Daniela, et des militants italiens, principalement de Pavie, Turin et Gênes, souvent universitaires (mais pas tous, Francesco Rossolillo était notaire, Antonio Longo serait banquier…) étaient mis à contribution. Un exposé long puis une discussion, sur une demi-journée ou en soirée, sur un thème unique. L’histoire du mouvement, Ventotene et le fédéralisme de la Résistance, Federal Union et l’école fédéraliste anglo-saxonne des années 30 (Lord Lothian, Lionel Robbins, Barbara Wootton…), la critique de l’État national (Pierre-Joseph Proudhon et Constantin Frantz…), La paix perpétuelle et la Fédération mondiale (Immanuel Kant), la théorie de l’État fédéral et la Convention de Philadelphie (Alexander Hamilton, John Jay et James Madison), la Nation, fédération et / ou confédération, composantes fédéralistes des Révolutions française et Russe, limites de l’internationalisme, mais aussi d’autres concepts comme la théorie allemande de la Raison d’État, le matérialisme historique ou le cours de l’histoire… D’autres rencontres portaient sur les lignes politique (refus de l’État national) ou stratégique (élection directe du Parlement européen, puis monnaie européenne etc.).
Plus tard j’ai eu l’occasion de rencontrer souvent Gino à l’automne 1974 lorsque, pour m’initier à l’italien, je suis resté deux mois à Pavie pour suivre en « auditeur libre » les cours d’Albertini avant quelques semaines à Turin où je me suis aussi lié avec Grazia et Lucio Levi.
Près de quinze ans plus tard, après avoir publié une note dans la revue Il Federalista, sur la reprise de contact entre les fédéralistes européens et mondiaux à l’initiative d’Albertini après la fin de la Guerre froide (« Vers l’unité mondiale des fédéralistes », Le Fédéraliste, 29° année, 1987, n°2, éd. fr. pp. 147 et ss.), Sergio Pistone (autre brillant historien fédéraliste, turinois), m’a demandé de prendre part à un Colloque sur « Les mouvements pour l’unité européenne – 1945-1954) ». J’avais auparavant été tenté de suivre des études d’histoire avant de m’orienter vers le commerce international... Mon exposé sur « Les fédéralistes européens et mondiaux » jugé intéressant, trois autres colloques ont suivi (Milan, Sienne et Gênes) ayant débouché sur la publication de mon livre (Mondialisme, fédéralisme européen et démocratie internationale, Lyon, Fédérop, Institut Altiero Spineli d’études fédéralistes, Ventotene, 1997, 218 p., diff. Presse fédéraliste) peu avant la célébration à Montreux des Congrès parallèles de l’UEF et du Mouvement universel pour la confédération mondiale en 1947. D’autres colloques, encore, sur l’histoire du fédéralisme (Pavie, Assise et Pérouse, Gênes… pour ne pas parler de colloques associatifs).

J’en viens maintenant à mon dernier point, sans l’aide de Daniela et de notre amie commune Cinzia Rognoni Vercelli (décédée il y a quelques années et elle aussi ancienne étudiante de Gino) qui ont à l’occasion de mes déplacements professionnels passé des soirées dans le hall de l’hôtel Ariston, proche de l’université de Pavie, à me pousser dans mes retranchements, à écrire clairement, à rédiger des notes de bas de pages… pour la publication des Actes, je pense que je n’aurai pas eu la capacité ni la force de persévérer.
Merci à elles, bien sûr, je leur serais éternellement reconnaissant. Merci à Sergio qui après avoir lu quelques pages dans Il Federalista, m’avait « forcé » à me jeter dans le bain, mais aussi et peut-être encore plus merci à Gino qui a formé comme nous l’expliquent Daniela et Antonella, à Pavie, une myriade d’historien.nes dont nombre travaillent encore sur le fédéralisme et l’intégration européenne et militent dans nos rangs des années plus tard. L’une des plus jeunes chercheuses de la filière fondée par les professeurs Guderzo et Majocchi, que je viens de découvrir, étant Silvana Boccanfuso, auteure de Ursula Hirschmann. Une femme pour l’Europe que nous allons publier…
À la lecture des deux textes qui vont suivre j’ai compris pourquoi Daniela et Cinzia prenaient, malgré leurs travaux et leurs familles, du temps pour m’aider et me former à chercher, exploiter des archives et écrire. Ce dont, depuis quelques années, je ne pourrais plus me passer. Qu’elles en soient remerciées une fois encore mais aussi un grand merci à Gino.
J’invite enfin également nos lectrices et lecteurs à bien lire ces textes, plus particulièrement celui de Daniela qui insiste aussi avec raison sur l’importance de la vie de section mais encore et toujours de la formation politique des militant.es fédéralistes.