Hommage à Tommaso PADOA-SCHIOPPA

, par David Soldini

Trop peu connu en France, Tommaso Padoa-Schioppa est considéré comme le père de l’euro, la devise officielle de l’Union européenne. Directeur général pour l’Économie et les Affaires financières à la Commission européenne, il fut aussi ministre de l’Économie et des Finances du second gouvernement Prodi, président du comité directeur du FMI, membre du directoire de la Banque centrale européenne, et président du think tank « Notre Europe ». Padoa-Schioppa s’est éteint le 18 décemcembre 2010 à l’age de soixante-dix ans. Le Taurillon a voulu rendre hommage à ce grand acteur de la construction européenne.

Notre début de siècle est marqué par le triomphe apparent de l’inconstance politique, de la plasticité des idées, par le succès de ceux capables de changer d’opinion au rythme de Mme. Michu, de se plier, se courber, s’échiner jusqu’à se fondre en elle. La politique est devenue affaire superficielle et pour durer il faut l’être.

Tommaso Padoa Schioppa n’était pas de ceux-là. Pour autant, il n’était pas rigide, borné ou buté. Il était simplement constant et fidèle aux idées qu’il retenait justes. Un de ces hommes convaincu qu’un idéal politique sert à autre chose qu’à gagner une élection ou faire monter une côte de popularité ; convaincu que pour espérer voir l’humanité progresser il convient de faire autre chose que simplement se faire élire ; convaincu aussi que pour se forger ces idéaux nécessaires et durables l’homme politique doit faire preuve de raison et de tempérance, résister aux sirènes du populisme. En un mot, il était un homme rare.

Tommaso Padoa-Schioppa cultivait par dessus tout un idéal : le fédéralisme ou le rêve d’une Europe et d’un monde unis pour affronter le pire et construire le meilleur. Cultiver un idéal voulait dire pour lui œuvrer chaque jour pour le voir grandir, se développer, au risque d’affronter des géants et des molochs, même au risque d’échouer et de devoir douloureusement se relever après chaque défaite. Ces traits de caractère ont fait de lui un homme qui a changé le monde et qui continue par delà sa disparition physique à le changer encore et pour toujours.

Le lecteur français pourra être surpris d’un tel hommage à un homme si peu connu en France. Pourtant, Tommaso était véritablement un Hercule même s’il se plaisait à cultiver la discrétion. Si aujourd’hui nous vivons dans un continent apaisé, nous le devons à des hommes comme lui. Tommaso fut le Jean Monnet de l’euro, un architecte affable autant que tenace, un guide et un inspirateur pour une classe politique toujours plus tourmentée par ses démons électoralistes. Conscient de participer à la plus grande œuvre politique du vingtième siècle, il a consacré sa vie et toute son énergie à la construction européenne et peu importaient la gloire et les hommages. Peut être n’aurait il d’ailleurs pas aimé le mien. Qu’à cela ne tienne, il le mérite et bien plus encore.

Pour comprendre la grandeur d’une oeuvre telle que la vie de Tommaso, il convient de comprendre son rapport à la politique. Bien qu’il n’ait jamais fuit les responsabilités, y compris la lourde tâche de Ministre de l’économie italienne, Tommaso n’était pas un homme politique au sens moderne et presque vulgaire du terme.

Etait-il alors un technocrate ou un « tecnico » comme disent moins péjorativement les italiens ? Il n’est pas sûr que ce terme ait véritablement un sens en politique.

Padoa-Schioppa était avant tout un bâtisseur, un constructeur de démocratie, c’est à dire, comme il aimait à le rappeler, l’alliance du Demos, le peuple, et du gouvernement, le Kratos, le pouvoir.

Conscient que « le hiatus entre les besoin du Demos et l’action du Kratos constitue aujourd’hui un des dangers majeurs pour la survie de la démocratie comme forme de gouvernement fondée sur les principes de responsabilité, autonome et égalité », il opposait au retour triomphant du nationalisme populiste un sage réalisme fédéraliste.

Pour soigner la démocratie malade il faut « agir de manière simultanée sur les différents niveaux de pouvoir (municipal, régional, national, européen et mondial) ». Car, « pour la personne qui aspire à la liberté et à la responsable participation à vie de la polis, la démocratie en un seul pays est non seulement incomplète, elle est aussi précaire, constamment exposée au danger de mort. » Voilà la leçon de démocratie que nous laisse Tommaso, outre sa vie exemplaire consacrée aux autres, à la Cité.

Pour ma part, j’entends encore ses paroles résonner sur l’île de Ventotene, sa voix calme et posée qui faisait si merveilleusement écho aux voix qui, des décennies auparavant, en 1941, avaient contribué à faire naître le rêve d’une Europe unie se soulevant les cendres encore fumantes des destructions nationalistes. Il représentait à mes yeux la génération de la sagesse, qui avait contemplé l’horreur et avait su, patiemment, élaborer une pensée politique capable de transformer le prophétique et vain « plus jamais ça » en réalité. Il ne nous reste qu’à poursuivre son œuvre.

« S’il y aura ou non un jour une fédération européenne, il ne nous est pas donné de le savoir. Nous savons seulement que cela est souhaitable, que le futur est ouvert, que l’union politique de l’Europe est possible, que sa réalisation dépend aussi de nous et que sans elle notre démocratie restera inachevée. »

Grazie Tommaso.

Mots-clés