USA - Républicains vs Démocrates : Grandeur ou décadence du fédéralisme

, par Jean-François Richard

Il y a presque cinquante ans Bernard Barthalay écrivait dans Fédéchoses « l’histoire des États-Unis est celle d’une société politique qui a vu la naissance et la décadence du fédéralisme. » [1]

Aujourd’hui après le psychodrame de l’élection du démocrate Joe Biden que reste -t-il du fédéralisme des pères fondateurs ?
Je pense que Bernard avait raison à l’époque où l’on sortait d’un demi-siècle de grandes présidences démocrates (Roosevelt, Kennedy -Johnson) qui avaient mis en place le New Deal, gagné la seconde guerre mondiale et fait un grand pas en avant contre la ségrégation raciale. Mais le paradoxe cinquante ans plus tard est que le fédéralisme a plutôt été l’apanage des Républicains. Les démocrates apparaissant parfois comme plus centralisateurs.
L’accession au pouvoir de Ronald Reagan, nourri d’idéologie ultra-libérale, marque une rupture presque radicale. Les décisions de la Cour suprême des États-Unis, à majorité conservatrice (déjà !...), ont défait petit à petit les avancées législatives du demi-siècle précédent. Et ont notamment consacré un retour à la défense des « droits des États » face au gouvernement fédéral de Washington.
Avec l’élection de Joe Biden les américains ont pris – consciemment ou non – une option sur la structuration des États-Unis et l’interprétation de la Constitution. Alors qu’une partie importante des conservateurs souhaitent maintenir et approfondir le fédéralisme dans une interprétation historique de la Constitution, le mouvement démocrate est davantage sur une ligne centralisatrice qui retire du pouvoir aux États fédérés et dans une interprétation actualisée de la Constitution fédérale (adoptée à la Convention de Philadelphie de 1787), notamment concernant quelques grandes questions de société , par exemple : le port d’armes, la liberté d’expression et la liberté religieuse.
Ces débats-là nous échappent complètement en Europe (et surtout en France, État le plus centralisé du « vieux continent ») parce que nous n’avons pas la mentalité des Américains qui sont pétris de juridisme. À l’inverse, les Américains ignorent ce que signifie un État qui intervient dans de nombreux secteurs de la vie sociale et Trump n’a eu de cesse de détricoter l’Obamacare.
La lecture de la presse américaine fait comprendre que la position non-interventionniste de Donald Trump depuis le début de l’épidémie de coronavirus repose surtout sur sa conviction que la gestion de la crise sanitaire n’était pas de son ressort (le pouvoir central) mais de celui des États fédérés.
Les Européens ne comprennent pas pourquoi non plus les États-Unis n’élisent pas leur Président au suffrage universel direct mais utilisent le système indirect des grands électeurs.
C’est une des conséquences directes de la Convention de Philadelphie : Chaque État fédéré organise son élection présidentielle avec ses propres modalités de vote, de ses propres machines à voter et son propre système de contrôle.
Déjà en 2000, l’imbroglio de la Floride - le mauvais fonctionnement de machines à voter - était remonté jusqu’à la Cour suprême fédérale qui avait envoyé le Républicain Georges W. Bush à la Maison Blanche un mois après le jour de l’élection. Bush battu au seul suffrage universel (puisque ayant recueilli environ 500 000 voix de moins que son concurrent Al Gore sur l’ensemble du territoire) avait été jugé majoritaire d’une voix en termes de « Grands électeurs ».
Le système électoral institué par la Constitution n’a été modifié que par deux amendements. Le XIIème (1804) pour séparer l’élection du Président et du Vice-président et le XXIIIème pour attribuer trois Grands électeurs au District de Columbia où se situe la capitale fédérale Washington. Toutefois, les modifications résultent de changements dans les lois électorales de chacun des États et non d’une modification de la Constitution fédérale. Le système de pondération des « Grands Électeurs » permet de ne pas rayer de la carte électorale l’influence des États peu peuplés. La règle est que chaque État se voit attribuer un nombre de grands électeurs équivalant au nombre de ses représentants au Congrès : soit deux sénateurs, quel que soit son poids démographique, auquel s’ajoutent les élus à la Chambre des représentants, dont le nombre est déterminé en fonction de sa population.
La convention de Philadelphie a doté les États-Unis d’une Constitution fort originale. Les institutions américaines, ont mêlé pour la première fois dans l’Histoire deux types de séparations des pouvoirs.
D’abord, les fonctions de l’État fédéral sont divisées en trois : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. S’y ajoute une séparation verticale et capitale : le fédéralisme, qui relie des États fédérés à un gouvernement fédéral.
Avec ce partage de la souveraineté entre les niveaux fédéral et fédéré, le fédéralisme permet un meilleur fonctionnement de la démocratie en instituant un dialogue efficace entre chaque échelon de gouvernance.
Le fédéralisme garantit l’État de droit car il favorise l’autonomie des niveaux inférieurs, la subsidiarité et la superposition des règles de droit.
« Le système mondial des États a fait disparaître tous les phénomènes d’insularité politique. » écrivait aussi Barthalay. La présidence Trump dont le slogan de campagne était « America First », l’a appliqué sur la scène internationale. Les États-Unis se sont retirés de nombreux accords commerciaux ou politiques. Il a donc effectué un retour vers « l’insularité politique »
Cependant cet isolationnisme ne s’est pas traduit en matière militaire et la volonté d’user de la force qui a caractérisé les dernières administrations américaines a perduré pendant tout le mandat de Donald Trump. Curieusement, mauvais perdant, il va cependant tenir partiellement un de ses engagements de campagne en réduisant drastiquement la présence militaire des États-Unis en Irak et en Afghanistan d’ici le terme de son mandat sans ordonner cependant un retrait total des forces américaines
Si la décadence du fédéralisme aux États-Unis a été freiné lors du dernier demi-siècle, par la pratique conservatrice des Républicains tendant à limiter ou réduire les prérogatives de l’État fédéral, il se pourrait bien qu’une certaine recentralisation du pouvoir à Washington, pourrait bien être tentante pour l’administration démocrate de Joe Biden, confrontée à une situation sanitaire inédite ?

Notes

[1B. Barthalay, « La décadence du fédéralisme aux États-Unis », in Fédéchoses, 2° année, 1974, n° 6, deuxième trimestre.

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