France : vers une République fédérale

, par Chloé Fabre

Le samedi 17 octobre, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, j’ai représenté l’UEF à la convention du Parti Radical de Gauche. Cette journée de retrouvailles de leurs militants se tenait à Saint-Denis et s’articulait autour de trois tables-rondes, dont une, intitulée "Vers une République fédérale autour des Régions". Le simple fait qu’un parti politique ose poser la question du fédéralisme en France constitue un indice de la lame de fonds qui traverse ce pays - d’autant plus quand ce parti est l’un des héritiers des grandes lois de la IIIème République et de l’enracinement de l’État-nation.

L’intervention de l’UEF a été l’occasion de rappeler quelques éléments essentiels au débat sur le fédéralisme en France. En effet, peu de gens savent que (la majorité des États) près de 40 % de la population dans le monde (sont) est organisée de manière fédérale et ce sur tous les continents. Il existe ainsi différentes sources d’inspiration pour définir un fonctionnement fédéral. La Suisse ou l’Allemagne, proches de chez nous, ont agrégé des entités différentes au sein d’une fédération. L’Autriche est héritière d’un empire multinational pour qui le fédéralisme a également été une réponse à la diversité. Le Canada et la Belgique ont aussi choisi le fédéralisme, dans des conditions différentes et avec plus ou moins de réussite, pour résoudre des conflits liés à la diversité culturelle. Enfin, la mise en place du fédéralisme en Amérique latine a été un moyen pour ces États d’organiser la redistribution des ressources entre de grands propriétaires agricoles et des villes industrielles.

Le fédéralisme en France, une bataille culturelle

Ce qui est essentiel de comprendre, et notamment dans le cas français, c’est que le fédéralisme est le renversement de la logique du pouvoir : d’un pouvoir qui descend, donné par Dieu à un roi ou un président, alors que le fédéralisme considère au contraire que le pouvoir est détenu par chacun-e des citoyen-ne-s qui décident de le mettre en commun pour l’exercer. Comme le dit très bien Bernard Voyenne dans le Tome 1 de L’histoire de l’idée fédéraliste (Nice, Presse d’Europe) :
"En vérité, ce n’est ni l’ambition unitaire, ni les dimensions - ni même bien souvent les institutions - qui distinguent les États-nations des ensembles de caractère réellement fédératif, mais la conception que les uns et les autres ont du pouvoir. Dans un cas, il a un caractère absolu - qu’il soit d’essence proprement religieuse ou procède d’une de ces laïcisations qui n’en sont que le retournement - et ne saurait être divisé, comme la divinité elle-même. Dans l’autre, il est relatif, instrumental, et ne se justifie que par les objectifs qu’il poursuit : non plus le Pouvoir, mais les pouvoirs." (p. 21)

Le fédéralisme s’appuie sur un pouvoir qui remonte. La mise en place d’un fédéralisme en France ou en tout cas le combat culturel en faveur de l’idée nécessite donc de remettre en question ce pouvoir transcendantal, alors que cette conception a marqué l’histoire politique et institutionnelle du pays. Cette remise en question émerge en cette période de crise sanitaire avec ceux qui ne supportent plus l’infantilisation dont fait preuve l’État et ceux qui remettent en cause des décisions centralisées qui ne prennent pas la peine d’associer les pouvoirs locaux.

Fédéralisme et équité de traitement

Face aux amalgames d’autres intervenants, j’ai dû rappeler également que la différence entre le fédéralisme et la décentralisation réside justement dans l’autonomie des collectivités locales, capable de lever l’impôt et de décider de manière autonome dans leur champ de compétences. Comme le dit encore Voyenne :
"Décentraliser, c’est retirer un certain nombre de prérogatives au centre pour les confier à la périphérie. Ce n’est pas mettre en question ni l’existence, ni surtout, le caractère, de ce pouvoir central." (P.300)
Ainsi, en France, les collectivités tiennent leur argent de dotation de l’État et pour beaucoup appliquent une législation qu’elles n’ont pas décidée. Par exemple, les Départements, chefs de file de l’action sociale, ne maîtrisent pas le montant des prestations en faveur de l’autonomie des personnes, ni les conditions d’attribution. Ils se contentent d’appliquer le droit et de verser les prestations (qui augmentent parfois plus vite que les dotations de l’État). Quelle est alors leur marge de manœuvre pour mettre en place la politique publique sur laquelle les responsables politiques ont été élu-e-s ?

Une autre des remarques, issue d’élus locaux du panel, portait sur la question de l’équité de traitement entre les habitant-e-s du territoire français. La crainte de ces élus est que l’autonomie et la gestion de ressources propres n’entérine et n’aggrave les disparités socio-économiques territoriales. Le choix du système fédéral ne tranche pas la question. En Suisse, les cantons lèvent l’impôt et décident du montant des impôts. Ceci crée effectivement des inéquités territoriales et les renforce par le jeu des mobilités. En revanche, en Allemagne, un mécanisme de péréquation entre les Länders est mis en place, la méthode de calcul est même inscrite dans la Loi fondamentale.
La structure fédérale n’implique donc pas les choix politiques qui sont faits dans l’organisation du système.

Le fédéralisme en France, une opportunité pour rénover la démocratie

Le mouvement des gilets jaunes a posé, entre autres, la question du fonctionnement de nos démocraties, de la participation des citoyen-ne-s dans les choix politiques, et du rôle social que cette participation donne à chacun et à chacune. Les élections municipales ont pu être, dans certains endroits, le lieu d’expérimentation de nouvelles formes de participations, avec l’élection notamment de personnes issues de la société civiles et proposant des modalités d’association des habitant-e-s dans la prise de décisions locales. De même, à l’approche des élections régionales et départementales, la société française pourrait avoir à cœur de requestionner le pouvoir et les moyens qui sont donnés aux collectivités territoriales pour mener des politiques publiques au plus près des citoyen-ne-s et avec eux. Loin d’une conception descendante du pouvoir, où ce que l’État donne, il peut le reprendre, le choix collectif de confier des responsabilités aux collectivités locales, pour assurer l’adaptation des politiques publiques aux réalités locales, serait la bienvenue. Se défaire de cette vision de la République "une et indivisible" qui mène rapidement à un "la France, tu l’aimes ou tu la quittes" ou à une loi sur le "séparatisme", repartir de la diversité des territoires et de leurs besoins, de la diversité de ses habitant-e-s et des moyens de vivre ensemble, constitue un enjeu de ces élections. Le fédéralisme constitue ici un appui au renversement de cette logique de raidissement de l’État qui se permet de définir ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors. Il permet d’accommoder la diversité et de créer des ponts sur les différences plutôt que de les ériger comme mur. Il redonne enfin le pouvoir à chaque citoyen et à chaque citoyenne et permet aux personnes de s’articuler dans un collectif.

À quelques mois des élections régionales et départementales, et à l’aune des débats sur le "séparatisme", les fédéralistes doivent continuer à affirmer que le renversement de la logique du pouvoir est essentiel, pour adapter les politiques aux territoires et à leur diversité et pour rendre le pouvoir aux citoyen-ne-s.