L’oubli du président Macron dans son discours sur Maurice Genevoix au Panthéon

, par Robert Belot

Au moment où les médias présentent la jeunesse française comme la « génération sacrifiée », victime de la crise sanitaire, l’écrivain Maurice Genevoix est entré au Panthéon le 11 novembre 2020. C’est une autre génération, celle qui a connu l’horreur, l’effroi et la haine. La moitié d’une classe d’âge supprimée. Une armée de blessés, amputés, traumatisés, « gueules cassées » qui hante la mémoire européenne. La France endeuillée, les familles brisées, des millions de destins fauchés par la guerre européenne. Les médias ont désappris à manier certaines formules avec précaution et parcimonie, avec respect, le respect de l’histoire. Il y a des métaphores qui devraient être sanctuarisées, protégées.

Il n’y a qu’une « génération sacrifiée », c’est celle de 1914. Et pourquoi a-t-elle été sacrifiée ? Parce que l’Europe n’était alors qu’une vue de l’esprit, un rêve d’intellectuels, un fantasme d’écrivains, un songe d’idéalistes. Parce que la nation était considérée comme l’horizon indépassable de l’organisation des choses et des hommes et que pour elle on était prêt à commettre le pire au nom du Bien et à entraîner la jeunesse sur les sentiers de l’hécatombe au nom de la Patrie.

La jeunesse d’aujourd’hui, malgré la Covid 19, a l’insigne chance de vivre dans un espace pacifique, de bénéficier d’une organisation européenne qui, même si elle est loin de ce qu’elle pourrait/devrait être, protège et exerce la solidarité entre les peuples, que ce soit le plan de « relance » économique, de la recherche ou du médicament.

Dans son discours, le président Macron a présenté le livre-culte de Genevoix, Ceux de 14, comme « le chant de la volonté d’une Nation, de la force d’âme de tout un peuple ». Oui, le dévouement à la Patrie a été la source d’un consentement extraordinaire à la souffrance, il a fait naître des actes d’héroïsme, de courage et d’abnégation inimaginables de nos jours.

Mais cette jeunesse, qui croyait donner le meilleur d’elle-même en acceptant l’épreuve du pire, sera à jamais le remords d’une culture politique qui n’avait pas su dépasser le cadre stato-national et imaginer un autre mode de relation aux autres. Le pire drame que l’Europe contemporaine ait connu lui est venu de l’oubli de Condorcet, Kant, Victor Hugo, Proudhon, Zweig… Une génération a été sacrifiée parce qu’on n’a pas voulu entendre Nietzsche qui, à la fin du XIXe siècle, dénonçait « la folie des nationalités » et alertait sur le fait que « les peuples européens (étaient) devenus de plus en plus étrangers les uns aux autres ». L’oubli des autres, écrivait-il dans Par-delà le bien et le mal, est la négation de l’Europe et sa menace suprême. Cette « pathologique ignorance » va engendrer la haine, la guerre et la honte.
Il y a eu la Guerre de 14-18 parce que le nationalisme, dont l’ombre grandit à nouveau dans l’Europe d’aujourd’hui, n’était pas regardé comme pouvant constituer un danger mortel susceptible de dévoyer le patriotisme et de fourvoyer les peuples. Il y a eu la Guerre de 14-18 parce que l’Europe n’était ni dans les mœurs, ni dans les cœurs, ni dans les modes de gouvernance. C’est que le président aurait pu dire dans son discours, c’est ce que nous aurions aimé lui entendre dire.