François l’incrédule

, par Jean-Pierre Gouzy

C’est un fait – pour reprendre une remarque judicieuse de Jean
Pisani-Ferry – que « l’Europe garde une grande capacité de
décevoir ». Cependant, de temps à autre, il n’est pas interdit de
manifester un optimisme mesuré à propos de tel ou tel
évènement ou d’interventions des individualités susceptibles
d’en orienter le cours. Sans remonter à Mathusalem, je dirai
que ce fut le cas de Delors quand il présidait la Commission
européenne.

Dans le même esprit, nous pouvions raisonnablement espérer
que le dernier né des présidents de la République française
répondrait au moins pour une part à nos attentes, d’autant
qu’on le disait proche du même Jacques Delors. Or, qu’avons-nous
observé ?

Depuis qu’il est aux affaires, François Hollande s’est efforcé,
dans la tradition de la Ve République, de maintenir les
traditionnels rapports privilégiés noués par ses prédécesseurs
avec les décideurs d’Outre-Rhin, en commençant par l’actuelle
chancelière, Angela Merkel, qui vient d’être brillamment réélue
pour un troisième mandat ; ensuite, de participer à la remise en
marche de la zone euro, après avoir abandonné l’idée de
renégocier le pacte budgétaire officiellement baptisé « Traité
sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ». La question
essentielle qui s’est vite posée parmi nos partenaires à propos
de François Hollande était donc toute simple… Que souhaitait
vraiment l’hôte de l’Elysée pour l’Europe ? Pencherait-il en
faveur d’un système politique peu ou prou fédéral, ou bien
envisagerait-il un autre modus vivendi européen amélioré, mais
lequel ?

On savait seulement que Hollande était favorable aux
eurobonds ; à la taxation financière des banques (qui
n’intéresse qu’une minorité de pays de l’Union européenne) ; à
un rééquilibrage de l’Union économique et monétaire ; à un
gouvernement de la zone euro ; « à une Europe apte à
fonctionner à géométrie variable selon les sujets ». Resterait à
savoir qui la gouvernerait effectivement, la Commission ou, à
l’inverse, les ministres nationaux concernés des pays de la
zone euro, avec des modalités appropriées qui n’excluraient
pas l’usage du veto en dernier recours ? Rien n’est bien clair
encore dans ce fatras…

En tout cas, sur un point central, le suspens présidentiel n’est
même plus un secret de polichinelle… Un de nos dynamiques collègues du « Taurillon » a attiré notre attention sur une
interview du 30 août dernier, de François Hollande, parue dans
« Le Monde », laconique mais dégrisante. À la question
(pourtant pas vraiment compromettante) : « À terme, cette
Europe pourrait-elle être fédérale ? », l’élyséen personnage
répond sans détour : « je ne vois pas encore suffisamment de
volonté de participer à un idéal commun. Je ne crois pas aux
États-Unis d’Europe. Commençons à faire en sorte que les
États soient unis pour l’Europe ». Autrement dit, l’Europe est
l’affaire des États comme dans la vision gaullienne, les peuples
ne sont pas encore mûrs. Quant aux États-Unis d’Europe, il
s’agit d’une utopie. Chacun à leur manière, et pour ne citer
qu’eux, Victor Hugo, poète visionnaire, Jean Monnet,
autodidacte de génie, comptent parmi les précurseurs de cette
utopie. Pourtant, Monnet était typiquement un réalisateur, aux
antipodes des idéologies. Quand en 1955, il fonda le Comité
d’action pour les États-Unis d’Europe, à qui fit-il appel ? Aux
leaders responsables des principaux partis et syndicats de la
première Europe communautaire, celle du Charbon et de
l’acier. Des socialistes comme Guy Mollet, Erich Ollenhauer,
Matteo Matteotti, Max Buset ; des chrétiens-démocrates
comme Fanfani, Kurt Kiesinger, Robert Lecourt, Théo Lefevre .
Idem pour les libéraux dont Maurice Faure, secrétaire général
du Parti radical socialiste qui signa les Traités de Rome au nom
de la France, avec le socialiste Christian Pineau ; les
présidents et secrétaires généraux des syndicats européen, à
la seule exception des communistes. L’un des premiers gestes
symboliques de François Mitterrand devenu président de la Ve
République ne consista-t-il pas d’ailleurs à assumer le transfert
des cendres de Jean Monnet au Panthéon ?

Certes, tous ces hommes avaient connu la guerre et savaient,
par définition, ce qui leur en avait coûté, mais nous ne sommes
pas les seuls à nous en souvenir. Loin de là ! Jean Monnet,
d’ailleurs, demeure très présent dans les universités françaises.
Attention, donc ! Au-delà des apparences et des faux
semblants, des jeux de go d’énarques qui composent
l’oligarchie d’État, ne nous méprenons pas sur le sens de
l’histoire et la véritable signification de l’entreprise
communautaire. L’incrédulité ne dessert pas l’euroscepticisme,
bien au contraire, comme nous aurons fort probablement
l’occasion de le vérifier lors des prochaines élections
européennes. Malheureusement !