L’emploi et les jeunes, déficit d’intégration, déficit de participation Diagnostic, pistes pour l’action

, par Catherine Montfort

Avec un taux moyen de 22 % de chômage parmi
les moins de 25 ans, les jeunes Européens
appellent à la solidarité entre générations et à une
action publique européenne prioritaire. Les 7,5
millions de jeunes entre 15 et 24 ans actuellement
ni en emploi ni en formation ni à l’école
représentent le risque d’une « génération perdue »
et à l’initiative du Groupe Europe de l’UEF et du
Groupe de réflexion sur l’avenir du service public
européen, le 12 juillet 2012 à Bruxelles, trois
représentants des jeunes Européens engagés ont
rencontré Henri Malosse, Président du groupe des
employeurs du Comité économique et social
européen, et Brigitte Degen, de la Commission
européenne - DG Emploi. Outre un diagnostic
sombre de la situation actuelle des jeunes en
Europe, ils ont appelé à une action prioritaire de
l’Union européenne pour les jeunes et avec les
jeunes.

Le Groupe Europe de l’Union des fédéralistes européens
et le Groupe de réflexion sur l’avenir du service public
européen (GRASPE) ont organisé le jeudi 12 juillet un
débat public sur le thème des jeunes et de l’emploi en
cette période de crise. Les participants de la table ronde
devaient apporter des pistes de réflexion et d’action pour
faire face à la précarisation croissante et à la hausse
dramatique du chômage parmi les jeunes en Europe.

Mme Vlandas du GRASPE, co-animatrice du débat, a
précisé d’entrée que la dégradation des conditions
d’emploi des jeunes pose la question des conditions
matérielles de vie mais plus globalement aussi celle de
leur place dans nos sociétés, de leur représentation, de
leur pouvoir-faire et de leur possibilité de bâtir leur vie.
De même les crises des dernières années nourrissent les
populismes, les sectarismes, et toutes autres dérives qui
sont un poison pour l’Union. Catherine Viellilledent du
Groupe Europe de l’UEF a chaleureusement félicité
Henri Malosse pour son élection, la veille, à la présidence
du Comité économique et social européen. Elle a rappelé
qu’un an avant, exactement, le groupe Europe avait invité
Alain Lamassoure pour parler de « Budget européen : vivre au-dessous de ses moyens » devant un public de
fonctionnaires et de personnel des institutions. Elle
présente ensuite les participants et salue une jeunesse
engagée qui se mobilise dans le monde et en Europe pour
porter dans le débat public la question de la cohésion
sociale et de la solidarité intergénérationnelle et pour
œuvrer à la création d’un corps politique dans l’Union
européenne (UE).

Brigitte Degen (DG Emploi, Commission européenne) a
tout d’abord souligné que la petite unité « Emploi des
jeunes » est de création récente (janvier 2010) et a
également dans ses domaines de compétences le
microcrédit et l’entreprenariat. La Commission entend en
effet donner la possibilité aux jeunes de trouver des
carrières alternatives, en dehors du salariat, grâce à
l’entreprenariat et à la mise à disposition de crédits. Sujet
au centre des préoccupations de la Commission ces
derniers mois, notamment par la volonté du président
José Manuel Barroso, à la vue des chiffres inquiétants du
chômage et la détérioration des possibilités d’emploi
parmi les jeunes. Certains chiffres font littéralement froid
dans le dos. Ainsi, 22,4 % des jeunes Européens (de
moins de 25 ans) sont au chômage, taux deux fois et demi
plus élevé que celui des adultes. Le total de 5,52 millions
des jeunes demandeurs d’emploi dans l’Union a crû de 1
million entre 2008 et 2010 et le chômage à long terme
s’élève à 6,3 % (contre 2,4 % en 2008). 7,5 millions de
jeunes entre 15 et 24 ans ne sont actuellement ni en
emploi ni en formation ni à l’école. De plus, chiffre peut-
être le plus inquiétant pour le futur, 12,6 % des jeunes qui
veulent travailler ne cherchent plus d’emploi. Le
chômage des jeunes coûte chaque année 1 % du PIB de
l’UE.

L’Initiative sur les perspectives d’emploi des jeunes
lancée en décembre dernier par la Commission pour la
période 2012/2013 demande aux Etats membres de faire
un meilleur usage des fonds de l’Union disponibles,
notamment le Fonds Social Européen, d’accroître les
places en apprentissage et de prendre en considération les
recommandations faites lors du Semestre européen au
début de cette année pour les programmes nationaux de
réforme en 2012. Elle tend également à étendre la
« Garantie Jeunes » à d’autres pays que ceux l’ayant déjà
établie (Finlande, Suède et Autriche) et promeut de la
même manière un Cadre européen pour la qualité des
stages. La mobilité des jeunes est encouragée dans les
différents programmes européens (Your first Eures Job,
Erasmus, Leonardo da Vinci, Erasmus pour les
entrepreneurs, Service Volontaire Européen) pour leur
permettre d’acquérir de l’expérience dans différents pays
européens. La Commission souhaite soutenir
l’apprentissage, les jeunes entrepreneurs et les entreprises
sociales à travers l’assistance technique à l’accès au
Fonds Social Européen. Un « Paquet Emploi » doit être
adopté en décembre 2012. Mme Degen a tenu à souligner
pour conclure que la plus grande difficulté sera de
toucher les jeunes qui ne s’inscrivent pas au chômage et
ne sont pas répertoriés dans les Etats.

M. Henry Malosse, le tout prochain Président du Comité
économique et social européen, a d’abord souligné la
singularité de la situation actuelle : l’UE cumule non
seulement une crise dans l’Europe mais aussi à une crise
de l’Europe, qui rend encore plus criants les dommages
causés par les crises des dernières années. La seule issue
pour en sortir est dans le fédéralisme et l’établissement
d’une gouvernance européenne qui pourrait convaincre
les Européens et leur donner un espoir. Les perspectives
pour les jeunes en matière d’emploi et de conditions de
travail sont très sombres (voir le rapport de l’OIT) et les
politiques de l’UE ne sont pas à la hauteur des enjeux.
L’état d’esprit, tant des pouvoirs publics que des corps
intermédiaires et des entreprises, n’est pas du tout positif
à l’égard des jeunes qui font face à trop d’obstacles avant
de pouvoir montrer leurs compétences et leurs capacités.
Il faudrait d’ailleurs selon lui bannir dans les offres
d’emploi la demande d’expérience qui est véritablement
discriminatoire. Ce conservatisme de la société
européenne (une « société bloquée ») nécessite des
réponses radicales pour éviter une catastrophe sociale. Il
faudrait s’inspirer de certains pays qui font plus
confiance aux jeunes et notamment à leur esprit
d’entreprenariat. La mobilité ne devrait plus être une
mobilité forcée pour des raisons économiques mais
volontaire, en tant que moyen d’améliorer ses
compétences. Pour cela, l’apprentissage des langues
étrangères devrait être amélioré.

M. Malosse introduit quatre éléments d’action prioritaires
pour le futur. Tout d’abord, la gouvernance européenne
devrait être approfondie afin d’établir un véritable
leadership au niveau européen. Deuxièmement, la
participation des jeunes au processus décisionnel devrait
se trouver encouragée pour remettre la jeunesse au centre
des préoccupations et accroître la confiance des
dirigeants politiques. Le « triangle d’or » que constituent
l’innovation, l’éducation et l’esprit d’entreprise doit
devenir le cœur d’une politique de dimension
européenne. Le quatrième point constitue la ré-
industrialisation de l’Europe pour sortir de la fiction
d’une « économie de la connaissance » pour revenir à une
conception de l’économie réelle et productive. Pour
conclure, M. Malosse a évoqué la nécessité de mettre en
place des projets européens mobilisateurs pour retisser un
lien entre la jeunesse européenne et les institutions de
l’Union européenne et de disposer d’un vrai budget.

Henri Lastenouse, Secrétaire général de l’association
« Sauvons l’Europe », a appelé à un plus grand poids de
l’UE. Les Etats membres sont englués dans des dettes
qu’ils n’ont pas les moyens de payer (« Qui va payer ? »).
Quant aux politiques, ils sont surtout soucieux de s’attirer
l’électorat des seniors (la génération d’après-guerre qui a
préservé ses privilèges). De plus, les jeunes sont devenus
la variable d’ajustement des décisions économiques des
entreprises. Ainsi, il est besoin de développer un agenda
générationnel et d’entamer un véritable dialogue avec les
générations nouvelles qui vont hériter de la dette (« La
dette sans la dote »). Son association tente une action sur
le terrain, y compris via une pétition au Parlement
européen. M. Lastenouse a fustigé par ailleurs la peur de
l’UE face au risque, ce qui rend impossible la relance,
l’investissement et l’objectif de niveau de vie. Il a aussi
déploré le manque de moyens à disposition des jeunes 11
pour trouver des financements. Ainsi, les jeunes créateurs
vont en Californie afin de se retrouver dans un climat
plus favorable où des moyens financiers sont disponibles
pour des projets à risque. Il faut sortir de cette crise de
manière solidaire et mieux gérer la transition
générationnelle en Europe.

Luca Scarpiello, vice-Président du Forum européen des
jeunes a souligné la dimension macro-économique pour
régler le problème du chômage et de la précarité de la
jeune génération. La « Garantie Jeunes » a besoin de
croissance pour être véritablement durable socialement.
Sans croissance, l’innovation est bloquée. L’austérité
constitue le plus grand ennemi des jeunes à qui elle ne
donne aucune perspective d’avenir. Il a déploré le
manque de moyens au niveau européen et mis en avant
l’utilité de faire de la jeunesse une priorité horizontale
dans les politiques de l’Union : la précarité des jeunes
doit devenir également un sujet au niveau européen et la
coordination des différents programmes devrait être
améliorée. L’intégration du cadre de qualité pour les
stages, proposé par le Forum Européen de la jeunesse,
dans les projets de la Commission est un bon signe mais
les perspectives pour le budget de l’UE sont inadéquates.
L’approfondissement du marché unique européen pour
les travailleurs doit viser à assurer aux personnes un
certain niveau de protection sociale quelque soit leur lieu
où elles travaillent. Il n’y aura pas de reprise sans
implication des jeunes.

Baki Youssoufou, Président de la Confédération
étudiante, syndicat étudiant en France, a précisé que le
syndicat qu’il préside est pro-européen, fait plutôt rare
dans les organisations syndicales d’étudiants où la
méfiance envers les politiques et, plus précisément, la
construction communautaire est très répandue. Le corps
enseignant des universités diffuse le scepticisme vis-à-vis
de l’UE à l’ensemble des étudiants. Il a exprimé sa
frustration de voir les jeunes toujours intervenir en
dernier sur la question de la jeunesse et les politiques en
leur faveur sempiternellement passer après les autres
politiques. La jeune génération ne peut pas ou n’a pas
l’impression de pouvoir déterminer son destin, ce qui
alimente sa méfiance envers les grandes entreprises qui
ont licencié beaucoup de leurs proches ces dernières
années et détruit, à coup de licenciements de masse, les
tissus territoriaux et familiaux qui protègent les jeunes de
la précarité totale. Aussi les jeunes tendent-ils à
privilégier les petites structures. Deux voies leur sont
ouvertes : la création de leur propre emploi, ou la
mobilité. Il rappelle que le chômage frappe 26 millions
de jeunes entre 15 et 35 ans ! Une enquête parmi les
jeunes créateurs d’entreprise a montré que 80 % des
projets sont abandonnés par manque de support
budgétaire et, à l’université de Villetaneuse, 70 % des
étudiants sont boursiers.

L’UE devrait se ressaisir pour améliorer l’emploi des
jeunes alors que les gouvernements nationaux sont trop
dépendants électoralement des seniors. Comme piste
d’action pour accroître les possibilités d’emploi chez les
jeunes, il faudrait encourager l’initiative des jeunes et les
aider à créer leur business plan. Les jeunes entrepreneurs
ne sont pas assez aidés lors de la création d’une
entreprise. Pour conclure, il affirma que l’Europe ne
pourra pas se faire sans sa jeunesse car les jeunes ont de
l’énergie et il n’y a pas de croissance sans énergie.

UN DIALOGUE S’ETABLIT ENSUITE AVEC LA SALLE.

Un membre du public souligne que l’Union européenne n’a
pas de compétence en matière d’emploi des jeunes ni les
moyens de faire des politiques ambitieuses dans ce
domaine. Cependant, José Manuel Barroso s’est mis en
colère à ce sujet. La meilleure façon de rapprocher les
jeunes des politiques européennes serait de mettre en
place des projets mobilisateurs de dimension européenne.
Un autre membre du public a mis en avant la politique
régionale et le besoin de coopération transfrontière pour
les jeunes, tout spécialement à travers des programmes
européens (Programme Interreg).

M. Malosse a relevé que le traitement des candidatures
pour les programmes de l’UE prend plus d’un an, ce qui
nuit à sa crédibilité car le temps perdu ne se rattrape pas
facilement en économie, surtout pour les projets
transfrontiers. Il a déploré aussi le fait que les
responsables européens ne fassent pas assez la promotion
des programmes européens destinés aux jeunes
entrepreneurs. Mme Degen a rappelé que la Commission
a mis à l’honneur les jeunes dans les recommandations
qu’elle a adressées aux Etats membres. Elle espère que
les jeunes des pays européens les reprendront à leur
compte pour faire pression sur les gouvernements
nationaux. Elle a aussi reconnu aussi ne pas être très
écoutée au sein de sa DG et au sein de la Commission
lorsqu’elle met le sujet des jeunes sur la table. Il existe un
problème de leadership au niveau européen. En outre, le
rapport de force politique dans la Commission est
défavorable aux politiques progressistes envers les jeunes
et là où quelques services ont obtenu davantage de
postes, la DG Emploi doit travailler à personnel constant.
Pour les pays actuellement en très grande difficulté en
Europe (la Grèce et le Portugal), la DG ECFIN a mis à
l’index toute proposition de la part de la DG Emploi qui
visait à redonner de l’espoir aux jeunes dans ces pays.

Mme Vlandas a témoigné de la difficulté de trouver des
canaux pour parler aux jeunes et entamer un dialogue
avec eux. M. Lastenouse a pointé du doigt le manque
criant de relais dans les institutions de l’UE pour les
jeunes, en particulier les 15-25 ans qui n’ont pas de
représentants politiques au parlement. Bien entendu, la
société civile n’a pas à se substituer au pouvoir public
démocratiquement élu mais doit agir différemment. Le
vice-Président du Forum européen des jeunes a jugé qu’il
y avait moins besoin de nouveaux programmes que de
meilleure gestion des fonds en ciblant davantage les
priorités, notamment vers les jeunes, et en cherchant plus
de représentativité dans le public ciblé. Il a même parlé
d’un blackout des questions de jeunesse dans les
programmes. M. Youssoufou a évoqué la trop grande
lourdeur des programmes européens pour des jeunes,
souvent sans le sou au début de leur projet. Ainsi s’il faut
mettre plus de moyens à disposition des jeunes, il faut
aussi se soucier de faciliter leurs démarches
administratives. M. Lastenouse a prolongé le débat en soulignant que le problème est le manque de croissance
et non la dette.

Les différents interlocuteurs ainsi que les organisateurs
sont tombés d’accord pour continuer le débat. M. 
Malosse a promis que le Comité économique et social
européen tâcherait d’être le relais entre les jeunes et les
représentants politiques au niveau européen.

P.-S.

Catherine Montfort

Militante fédéraliste - Membre du Groupe Europe de l’UEF – Bruxelles

Mots-clés