La voie ouverte vers la révision du Traité ?

, par Jean-Guy Giraud

Lettre ouverte n° 9 de l’UEF France
aux membres du Parlement européen
élus en France

Sous la pression croissante de la crise, le tabou sur la
révision du Traité de Lisbonne est en train de tomber .
De tous côtés (politiques, institutionnels, académiques)
des appels à une réforme substantielle des dispositions du
Traité relatives à la gouvernance économique
(inchangées en substance depuis Maastricht) se
multiplient.

L’UEF France se réjouit d’une telle évolution des esprits,
ayant elle-même prôné une telle réforme depuis un an (cf.
lettre ouverte n°2 aux députés européens français du 26
octobre 2010 : « Pour un Traité de Maastricht II
établissant la gouvernance économique de l’UE »).

Le débat étant donc enfin ouvert, on peut à présent
s’aventurer à poser les questions préliminaires suivantes
relatives à la procédure (sans reprendre ici les multiples
déclarations, arguments et analyses repris par la presse).

1. Quel calendrier ?

S’il semble ne plus être question de renvoyer la réforme
au « long terme », il reste à déterminer si la procédure de
révision peut/doit être ouverte avant ou après 2014.
Il est difficile d’imaginer qu’une révision d’une ampleur
suffisante (voir ci-après) puisse entrer en vigueur (après
négociations, signatures et ratifications) avant l’échéance
européenne de 2014.

Dès lors, il faudrait sans doute attendre le renouvellement
et l’installation des nouveaux membres du PE et de la
Commission à l’automne 2014 pour ouvrir formellement
la procédure. Ceci permettrait de faire de cette perspective de réforme un des grands thèmes de la
campagne politique qui précèdera ces renouvellements.
Le débat lui-même devrait donc démarrer bien avant cette
date -c’est à dire dès 2012 afin que les premières
ébauches de textes soient disponibles au début de 2013.
(On ne peut toutefois exclure que des évènements
imprévus ou incontrôlés, comme une remise en cause -ou
le blocage de la ratification- de l’accord du 21 juillet
établissant le Mécanisme européen de stabilité (MES), ne
provoquent une forte accélération du calendrier de la
réforme)

2. Quelle procédure ?

Vu la nature de la révision à présent envisagée, seule la
procédure « ordinaire » de révision du Traité (article 48 §
1 à 5) pourrait s’appliquer, c’est à dire :

 élaboration d’un « projet de révision » par un
État membre, par le PE ou par la Commission,
 convocation d’une « Convention » par le Conseil
européen statuant à la majorité simple après
consultation du PE,
 adoption par la Convention, statuant par
« consensus », d’une « recommandation » à
l’intention de la « Conférence des représentants
des gouvernements » (CIG),
 adoption par la CIG, statuant d’un « commun
accord », des modifications à apporter aux
traités,
 ratification par tous les États membres dans un
délai maximum indicatif de deux ans,
 réunion du Conseil européen après ce délai si,
4/5 èmes des États ayant ratifié, certains autres
« rencontrent des difficultés » de ratification.

3. Quelle initiative ?

En l’état actuel du débat, il est possible que certains États
membres (notamment l’Allemagne) prennent l’initiative
requise. L’autre hypothèse -combinable avec la
précédente- serait que le PE lui-même fasse usage de son
nouveau droit d’initiative en la matière donnant ainsi à la
procédure une plus grande légitimité démocratique et
ouvrant potentiellement un champ plus large au débat et à
la nature des propositions de modification du Traité elles mêmes.

Il semble, d’ores et déjà, que les principaux groupes
politiques du PE (PPE, PSE , LIB) s’ouvrent
progressivement à cette idée. Dans ce cas, les premières
consultations et autres démarches préliminaires
pourraient être confiées à la Commission des affaires
constitutionnelles d’ici la fin de 2012.

4. Quelle ampleur de la révision ?

Celle-ci pourrait porter uniquement sur les dispositions
du Traité relatives à la politique économique et monétaire
(Titre VIII du TFUE) et plus particulièrement sur les 7
articles établissant la gouvernance économique de l’UE
(articles 120 à 126 du TFUE). Mais il ne peut être exclu
que certaines dispositions, relatives à la politique
monétaire (articles 127 à 133) , au protocole sur
l’Eurogroupe ou aux statuts de la BCE par exemple, ne
doivent également être ré-examinées.

Rappelons pour mémoire et dans le désordre les
principales modifications évoquées à ce jour de sources
diverses :

 suppression de l’« interdiction » d’assistance
financière de l’UE (y compris la BCE) aux
« administrations centrales » des États membres,
 création d’un « Fonds Monétaire Européen » et/
ou d’un « Trésor européen »,
 extension des compétences de la BCE ,
 création de « bons du trésor européens »,
 institutionnalisation de l’Eurogroupe,
 création d’un « Ministre européen des
Finances »,
 représentation commune des États membres de
l’Eurogroupe dans les Institutions et conférences
financières internationales, etc.

Il n’est d’autre part pas exclu que l’occasion soit saisie
pour revoir également certaines dispositions
institutionnelles en matière fiscale et budgétaire —
remettant par exemple en cause la règle de l’unanimité
sur des questions telles que l’harmonisation fiscale et les
ressources propres de l’UE.

5. Quel impact sur les autres dossiers et procédures en cours ?

Au cas où le MES -actuellement en cours de ratificationentrerait
en vigueur comme prévu en juillet 2013, la
procédure de révision devrait bien sûr en tenir compte. Il
faudrait notamment envisager la communautarisation de
ce système inter-gouvernemental, après avoir vérifié la
compatibilité des termes de cet accord avec la réforme
souhaitée du Traité lui-même.

Il faudrait de la même façon tenir compte des nouvelles
directives de législation secondaire (« Six pack ») en
cours d’adoption, relatives à la législation financière, au
mécanisme de surveillance budgétaire et économique,
etc.

L’autre dossier à prendre en considération serait celui de
la question budgétaire européenne stricto sensu dont la
négociation devrait débuter en 2012 : la réforme des
ressources propres et l’adoption du cadre financier
pluriannuel pour 2014/2019.

6. « A fiscal union now ? »

Parmi les propositions de réforme apparues récemment,
la plus ambitieuse est sans doute celle du Président de
l’UEF Europe et député européen Andrew Duff. Conçue
dans une optique délibérément fédéraliste, elle représente
un saut décisif de l’UE dans une nouvelle dimension où la
souveraineté et la solidarité renforcée des États
s’exerceraient dorénavant dans le cadre communautaire et
non plus par des concertations et accords intergouvernementaux
détachés des Institutions et des
mécanismes démocratiques et juridiques de l’UE.

Parmi les propositions les plus novatrices et radicales
d’Andrew Duff figure la suppression de l’exigence d’une
ratification unanime des États membres de toute révision
du Traité, proposition déjà avancée par l’UEF France
dans sa « Lettre ouverte » n°3 du 20 novembre 2010.

7. L’Utopie créatrice.

L’UEF France se réjouit du rôle créateur de l’« utopie
fédéraliste » qui semble à présent inspirer les sources les
plus autorisées -au moins sur la question de la solidarité
économique et financière des membres de l’UE.

Elle n’ignore cependant pas les réticences nationales et
les difficultés politiques et techniques que rencontrerait la
réforme envisagée.

Elle est particulièrement consciente du problème que
pose la longueur de la procédure de révision éventuelle,
notamment en regard de l’aggravation quasi quotidienne
de la crise traversée par l’Europe -et elle n’exclut donc
pas la nécessité d’un calendrier accéléré.

Elle souhaite que les mesures d’urgence déjà prises ou en
cours d’adoption permettent un rétablissement provisoire
de la situation.

Elle estime que la seule annonce et perspective d’une
réforme fondamentale et durable de la gouvernance
économique de l’UE contribuerait , en allumant une
« lumière au fond du tunnel », à calmer les esprits, à
rétablir la confiance de l’opinion publique et celle des
milieux financiers responsables, à mobiliser et unir les
énergies des États et des Institutions.

L’UEF espère donc que, fidèle à sa tradition de force
motrice et innovatrice européenne établie par Altiero
Spinelli, le Parlement européen s’engagera délibérément
et sans délai dans cette entreprise salvatrice de réformeau
nom de l’intérêt général des citoyens qu’il représente.

P.-S.

Jean-Guy Giraud
Président - UEF FRANCE