Moselle : l’identité plurielle au cœur de l’Europe rhénane

, par Théo Boucart

Entre Lorraine francophone et Alsace alémanique, le département de la Moselle (6216 km² pour plus d’un million d’habitants) est un territoire à l’identité culturelle et historique complexe, résolument tourné vers la coopération transfrontalière et l’intégration européenne. Un territoire-pilote pour la décentralisation et le principe de différentiation préconisé, entre autres, par le Traité d’Aix-la-Chapelle ?

Août 2018 dans la région de Metz, le chef-lieu de la Moselle. Une campagne d’affichage du parti régionaliste local « 57 - Parti des Mosellans investit de nombreux panneaux publicitaires afin de dénoncer « le boulet » que représente la région Grand Est, créée trois ans auparavant, et de militer pour la création d’une région « Alsace-Moselle » en regroupant les deux autres départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Cette campagne fit écho à une action similaire organisée deux mois plus tôt par le mouvement alsacien Unser Land.

Le président du parti, Philippe Mouraux, interviewé à l’époque par France 3 Grand Est, avança des arguments de cohésion historique et juridique : « Cette région correspondrait à l’intégralité du territoire où s’applique le droit local. Cela permettrait donc de développer et d’adapter le droit local à la modernité ». Une campagne de communication pourtant restée vaine à l’heure actuelle, puisque le conseil général mosellan n’a pas du tout évoqué, ne serait-ce qu’officieusement, l’option de rejoindre une entité régionale avec les deux autres départements alsaciens, même dans le cadre de la collectivité européenne d’Alsace, dont la mise en place est prévue le 1er janvier 2021.
Cet évènement vient toutefois rappeler que la Moselle est un territoire qui se distingue bien des autres départements de l’ancienne région Lorraine, de par son bilinguisme, son histoire et une dynamique juridique et politique bien particulière.

Identité culturelle et historique singulière

Premier signe distinctif : l’influence du monde germanique. A l’instar de l’Alsace voisine, la Moselle est un territoire où des dialectes allemands (francique) ont subsisté jusqu’à maintenant. Si la frontière linguistique entre ces derniers et les dialectes romans (welche) a bougé au fil des siècles, celle-ci coupe le département en deux parties assez égales en termes de superficie. Au total, ces dialectes franciques comptaient en 1999 180000 locuteurs (contre le double en 1962), et leur survie n’est malheureusement pas acquise, alors que la République française refuse toujours de ratifier la charte européenne sur la protection des langues régionales.
La Moselle est également un carrefour historique franco-allemand. Devenu progressivement français entre les XVIème et XVIIIème siècles, le territoire de la Moselle passa sous le joug de l’empire allemand en 1871, lors du traité de Francfort. Pendant 45 ans, celle-ci fut incorporée dans le Reichsland Elass-Lothringen. Au début du XXème siècle, le Reichsland acquit une autonomie inédite, avec la création d’un Landtag, autonomie jamais entièrement recouvrée après la fin de la première guerre mondiale en 1918.
Ces antagonismes historiques ont d’ailleurs des conséquences sur la mémoire. La politique mémorielle de la France faisant toujours l’opposition marquée entre les « bons soldats français » et les « mauvais soldats allemands », le sort des Alsaciens et Mosellans qui portèrent loyalement l’uniforme allemand est bruyamment mis sous silence. Une situation que les organisations autonomistes, alsaciennes comme mosellanes, dénoncent régulièrement. Le 11 novembre dernier, Unser Land et l’association Unsri Gschicht, promouvant l’histoire alsacienne et mosellane, lancèrent une grande campagne pour rendre hommage aux « Feldgrauen ». La France pourra-t-elle reconnaître un jour la multiplicité des identités, corollaire indispensable de l’identité inclusive ?

Conscience politique au cœur de l’Europe occidentale

Tous ces éléments font de la Moselle un territoire résolument européen. Un activisme particulièrement présent chez « 57 – parti des Mosellans », le principal mouvement autonomiste local qui se revendique explicitement fédéraliste et pro-européen, comme en témoigne le texte de présentation sur le site Régions et peuples solidaires : « le Parti des Mosellans s’engage en faveur d’une politique décentralisée […] C’est la raison pour laquelle nous demandons l’instauration en France d’un État fédéral […] C’est précisément dans les régions frontalières que l’intégration européenne doit faire ses preuves ».
La dimension transfrontalière et européenne est en effet un facteur déterminant d’identité inclusive en Moselle, les citoyens pouvant se considérer aussi bien comme Mosellans, Français et Européens. Un état de fait que le gouvernement centralisé français doit absolument reconnaître. Au niveau des collectivités locales, les initiatives sont encore timides. En 2019, le Conseil départemental a ainsi adopté le terme « Eurodépartement » sur son logo officiel, affirmant (du moins d’un point de vue communicationnel) le rôle prédominant des flux transfrontaliers en Moselle, que ce soit avec l’Allemagne ou le Luxembourg. Reste à savoir si des politiques concrètes en faveur d’une meilleure intégration régionale trinationale vont suivre.

Principe de différentiation de la constitution française ?

C’est pourtant ce qui a commencé à être envisagé avec la révision constitutionnelle française, promise par Emmanuel Macron (mais actuellement au point mort). Si les deux départements de l’ancienne région Alsace seront concernés avec la collectivité européenne d’Alsace, la Moselle reste pour le moment dans l’angle mort de la différentiation. Seul l’Eurodistrict SaarMoselle, créé en 2010, constitue un cadre de coopération transfrontalier franco-allemand disposant de compétences et de moyens d’action spécifiques.
Le traité d’Aix-la-Chapelle, signé en 2019, doit justement renforcer les compétences des Eurodistricts, via le principe de différentiation. Il faudrait toutefois que ce concept soit réellement mis en place à l’échelle de la Moselle, de toutes les régions transfrontalières, et même de toutes les régions françaises, dans une première étape vers une décentralisation accrue et prenant en compte réellement les réalités locales.