Nigéria, un État fédéral « canada dry »

, par Jean-François Richard

Curieusement le fédéralisme au Nigéria est l’héritage de la colonisation britannique. Un héritage plaqué. En réponse au nationalisme montant après la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques ont d’abord doté ces territoires du bas Niger d’un gouvernement qu’ils croyaient représentatif en 1951 Les profondes divisions ethniques et les tensions indépendantistes ont ensuite conduit en 1954 à la Constitution « Lyttelton » du nom du secrétaire d’État aux colonies conservateur du gouvernement Churchill.
Elle organise une fédération de trois États ayant leurs gouvernements et propose l’autonomie complète aux régions qui la demanderont. Elle est proclamée pour l’Est et l’Ouest le 8 août 1957, et pour le Nord seulement en mars 1959, l’indépendance de l’ensemble étant acquise le 1er octobre 1960.
Le Nigéria devient une République indépendante en 1963 tout en restant dans le Commonwealth. Et jusqu’aux années 1990, la vie politique nigériane est marquée par une succession de coups d’État qui portent des militaires au pouvoir. Les généraux sont en majorité des hommes du Nord, de confession musulmane. La crainte des élites du Nord d’être gouvernées par un homme du Sud ajoute à la méfiance contre le suffrage universel et contre les élites administratives yorubas ou ibos. Le Nord, où la scolarisation à l’occidentale a été peu développée, dispose de moins de cadres que les régions de l’Ouest et de l’Est.
L’un des coups d’État entraine la fin de la fédération au profit d’un État unitaire en mai 1966. Deux mois plus tard un autre coup rétablit la fédération. Un an plus tard, c’est la guerre de sécession du Biafra. Cette guerre civile déclenchée en juillet 1967, soutenue par la France de De Gaulle, s’achève le 14 janvier 1970 par la capitulation des troupes biafraises ; elle provoque la mort de près de deux millions de morts, victimes de la famine et de la malnutrition.
Le général Gowon qui a conduit la guerre du côté Nigérian évite les représailles contre les Ibos et s’efforce de mener à bien la réconciliation nationale. Mais la vague des coups d’État reprend et au niveau institutionnel l’un d’eux tente de casser la tripartition du pays en créant 12 puis 19 États (mars 1976).
Le retour à la démocratie se fera à partir de 1999 avec une nouvelle constitution conçue par le régime militaire sortant. Elle instaure un régime présidentiel fort tout en dotant le Parlement de larges prérogatives législatives. L’État nigérian est toujours fédéral.
Vingt ans après, le Nigeria est toujours « une fédération en quête de fédéralisme » comme l’écrit dans un article publié par le Centre d’analyse politique québécois « CONSTITUTION FÉDÉRALISME » Dele Babalola, professeur au département de relations internationales et diplomatie de Université Baze d’Abuja au Nigeria [1] .
L’article défend l’idée selon laquelle la fédération nigériane est l’exemple parfait d’un « arrangement fédéral incomplet. »
Les tensions religieuses, ethniques et sociales continuent à déchirer le pays. Une distribution plus équitable de la rente pétrolière se heurte aux intérêts d’un secteur marqué par une corruption profonde.
Dans le centre du pays, les conflits entre communautés pour la plupart chrétiennes qui se considèrent autochtone se heurtent aux nouveaux installées (Haoussas et Peuls) en majorité musulmanes.
Enfin les attaques meurtrières de la secte islamiste Boko Haram depuis le début du siècle déstabilisent le nord-est du pays. L’allégeance de ce groupe à l’organisation djihadiste État islamique, et son expansion dans l’extrême nord du Cameroun et aux frontières avec le Niger et le Tchad en font une menace qui dépasse désormais le Nigéria. Depuis le début du conflit, plus de 36.000 personnes ont perdu la vie au Nigéria. Les populations locales continuent de payer le prix d’une crise dont ils ne sont pas responsables et dont ils ne veulent pas et quelque 30 millions de personnes ont été déplacées depuis le début de l’offensive djihadiste.
Le fédéralisme à la nigériane recouvre en fait un système unitaire à forte composante décentralisatrice, produit de l’expérience de la guerre civile et de l’afflux des revenus de la rente pétrolière [2] .
Le fédéralisme nigérian est caractérisé par l’atomisation de l’espace géopolitique consécutive à plusieurs redécoupages successifs des États. Ils sont aujourd’hui 21. Loin de promouvoir la construction d’une communauté nationale, l’établissement de nouveaux États a encouragé la montée de l’étatisme.
Les menaces de sécession sont de nouveau grandes. Mardi 23 février 2021, la Conférence des évêques catholiques du Nigeria a dénoncé dans une déclaration solennelle ces signes inquiétants : « De nombreux groupes ethniques sont sur le sentier de la guerre et demandent non seulement davantage d’autonomie mais aussi la renonciation définitive à une nation dans laquelle ils ont perdu toute confiance et tout sentiment d’appartenance ».