Spinelli : le retour ?

, par Bruno Boissière

Frustrés, depuis la mort d’Altiero Spinelli en 1986, qu’aucun Député de l’envergure du fondateur du Club du Crocodile n’émerge au Parlement européen, les fédéralistes s’étaient résignés à espérer un « Spinelli collectif », c’est-à-dire une initiative politique qui puisse rassembler les plus fédéralistes des élus des groupes parlementaires pro-européens et imposer son agenda à l’Assemblée voire même à la construction européenne.

Les Intergroupes fédéralistes qui se sont succédé au fil des périodes de législature ont joué leur rôle d’aiguillon en étant, par exemple, les protagonistes de la voie constitutionnelle et de la méthode de la Convention.
Le « Spinelli Group », qui a été lancé le 15 septembre 2010, s’inscrit aussi dans cette lignée, faisant même symboliquement appel au patronyme du grand fédéraliste italien. Avec à sa tête Guy Verhofstadt et Daniel Cohn-Bendit, présidents des troisième (ALDE) et quatrième (Verts/ALE) groupes politiques du Parlement européen, le groupe veut promouvoir « une Europe fédérale et post-nationale, une Europe des citoyens » et appelle tous ceux qui partagent cet objectif à signer son manifeste (www.spinelligroup.eu).
Depuis le mois de novembre 2010, le « Spinelli Group » réunit les Députés européens signataires pour discuter, lors de déjeuners de travail à Strasbourg, des initiatives parlementaires à prendre. Il prévoit surtout d’intervenir sous la forme de « Shadow Councils », sortes de Conseils « fantômes » ou sommets alternatifs aux réunions des Chefs d’Etats et de gouvernements, dont le premier exercice est programmé pour le 22 mars prochain.

Le 12 janvier, le Spinelli Group organisait au Parlement européen un grand débat entre Joschka Fischer, ancien Ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne et Jean-Marc Ferry, philosophe, autour de la question « Les Etats-Unis d’Europe : vers une société trans-nationale ? ».

Si les deux intervenants sont d’accord sur le diagnostic : L’Europe va mal, elle est confrontée à une crise profonde, sa finalité n’est pas claire, on la rejette,… les voies qu’ils proposent sont très différentes, bien qu’ils figurent tous deux dans la liste des 33 membres officiels du Spinelli Group.

Jean-Marc Ferry juge toute orientation étatiste dangereuse et condamne tout Etat fédéral européen à caractère supranational car celui-ci manquerait de sources de légitimation. Il se prononce pour une voie longue et difficile d’apprentissage politique et d’approfondissement plutôt que d’élargissement, celle d’une intégration fondée sur le partage, le dialogue et la coopération. Tout transfert de souveraineté consenti par les Etats doit être compensé par des droits de participation des citoyens et des avancées dans le domaine de l’Europe sociale, notamment des minima sociaux et écologiques. La société politique, comme la société civile, doit aussi se trans-nationaliser par le développement de partis politiques vraiment européens, un mode de scrutin homogène, une européanisation de la presse nationale. Ainsi l’Europe pourra reconquérir de l’autonomie politique face à la mondialisation et retrouver une nouvelle légitimité.

Joschka Fischer, quant à lui, estime que l’Europe est aujourd’hui confrontée à un dilemme : ou elle conserve sa souveraineté, ou bien son influence sera bousculée par les nouvelles puissances émergeant à l’Est. A ses yeux, la crise offre à l’Europe la chance de progresser sur la voie de son intégration financière et politique. Il faut passer à l’Union économique et garantir la stabilité de l’euro. Les forces politiques doivent avoir la volonté et le courage de mobiliser les énergies dans cette direction.

Malgré leurs visions différentes, certaines préoccupations de l’un et de l’autre, mériteraient d’inspirer la réflexion et surtout l’action de tout fédéraliste.

P.-S.

Bruno BOISSIERE
Directeur du Centre International de Formation Européenne (CIFE) à Bruxelles - Secrétaire de l’Intergroupe fédéraliste au Parlement européen - Ancien Député au Parlement européen

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