Printemps arabe, Union européenne, Moyen-Orient, paix, intégration régionale…

Le printemps de la démocratie dans le monde arabe

, par Lucio Levi

Après la chute des régimes fascistes dans l’Europe méditérannéenne, en Amérique latine et en Asie et des régimes communistes, dans la région qui durant 50 ans a été assujettie à la domination de l’Union soviétique, le moment est maintenant venu du réveil des peuples arabes. Ce que Huntington a nommé la « troisième vague » du processus de démocratisation, commencée en 1974 avec la Révolution portugaise, n’est donc pas achevé. 

Les gouvernements de l’Union européenne (UE) et des Etats-Unis ont été pris de surprise par le mouvement spontané des masses populaires qui ont envahi les places des villes de l’Afrique du nord et du Moyen-orient. Au nom de la stabilité internationale ils ont appuyé jusqu’à l’ultime instant les vieux et croulants régimes oppressifs et corrompus de Tunisie et d’Egypte et en ont accueilli la chute avec déception. Les gouvernements de l’UE, et pour le coup également le Parlement européen, n’ont pas trouvé de mots ni formulé de propositions politiques pour intervenir sur le grand mouvement de libération en cours. Le système international, avec le déclin de l’influence des Etats-Unis et l’absence de l’Europe, ne semble pas avoir les ressources économiques ni de pouvoir, ni de vision politique, pour influer de manière positive sur les évènements en cours et pour aider et orienter la transition vers la démocratie. 

Il est décourageant d’observer comment les dirigeants européens perçoivent le mouvement des peuples qui veulent se libérer de l’oppression de leurs gouvernants seulement en termes de sécurité et proposent seulement d’envoyer des policiers afin de défendre les côtes. Est-ce là l’Europe que nous voulons ? L’Europe forterese qui se referme sur elle-même, qui montre le visage odieux de la xénophobie, qui exclut la Turquie car elle est de religion islamique, qui au nom de la religion chrétienne présente son Dieu sous les traits de l’homme occidental. Le projet de l’Union pour la Méditerrannée (2008) a échoué. La réunion des gouvernements de cette association, prévue pour décembre passé, ne s’est pas tenue. La zone de libre-échange projetée pour 2010 ne s’est pas réalisée, les gouvernements européens n’ont pas non plus honoré leur engagement de suspendre la coopération économique avec les pays de la rive sud de la mer Méditérannée qui ne respectent pas les droits de l’homme.  

On remarquera que le schéma de l’élargissement, adopté pour les pays de l’Europe centrale et orientale, et de leur insertion dans l’UE, ne peut pas être reproduit pour l’Afrique du nord et le Moyen-orient. Cette région est le siège d’une organisation internationale -la Ligue arabe-, qui est le vecteur potentiel d’un processus d’intégration régionale, qui devrait également inclure Israël. Malheureusement, l’intégration est encore à venir. Si nous considérons le Maghreb, seulement 1 à 2 % du commerce extérieur des pays concernés se déroule à l’intérieur de la région. Et pourtant, la Commission des Nations unies pour l’Afrique évalue que l’intégration économique du Maghreb permettrait d’augmenter de 5 % le PIB régional. L’UE, qui a continué à maintenir des rapports bilatéraux avec l’Afrique du nord, aurait pu encourager l’intégration régionale, comme l’ont fait les Etats-Unis avec l’Europe quand ils ont lancé le Plan Marshall, en conditionnant l’affectation des aides à la formulation d’un plan de reconstruction concerté en commun. 

L’épouvantail de l’extrémisme islamique, agité par les gouvernements de l’Occident pour justifier leur soutien à des régimes autoritaires, appartient à une logique du passé qui ne tient pas compte du développement économique, de la modernisation sociale et de la sécularisation en cours dans la région. La diffusion de l’instruction, surtout parmi les jeunes générations, et la diminution du taux de natalité, qui est une conséquence de l’instruction croissante des femmes, ont rapproché ces populations des valeurs de liberté et d’égalité typiques des sociétés plus développées. Telles sont les conditions objectives qui ont fait émerger une société civile et le pluralisme. Le fondamentalisme islamique est un courant réactionnaire qui veut s’opposer à cette évolution. Et en effet cette opposition semble le perdant principal de la révolution en cours. A l’avant-garde du mouvement se trouvent les jeunes qui, malgré leur bon niveau d’instruction, sont pénalisés par leur mise à l’écart du marché du travail. Ils ont utilisé les nouveaux moyens de communication aux fins de mobilisation, en se substituant aux partis et aux autres organisations de la politique traditionnelle. Ce qui frappe dans ce mouvement c’est l’absence de leaders au sens traditionnel de ce mot. La figure de leader des temps nouveaux est l’égyptien Wael Ghonim, un employé de Google. 

Les dimensions inattendues de la révolution montrent que la mutation économique et sociale qui s’est développée sur la vague de la mondialisation, requiert impérativement des changements politiques et institutionnels. C’est là le mystère que la « courte vue » des élites occidentales n’a pas su pénétrer. Ce n’était pas un mystère pour Olivier Todd, qui, il y a dix ans, (dans son livre, Après l’empire) avait diagnostiqué le passage du monde islamique à la modernité et prévu le changement institutionnel.

Il faut noter que les maillons faibles du monde arabe, là où a commencé l’effondrement des vieux régimes -la Tunisie et l’Egypte- sont des pays privés de pétrole. Au contraire les pays producteurs de pétrole ont les ressources pour promouvoir un consensus grâce à la fourniture de services gratuits à la population (eau, électricité, instruction, etc.). Et de fait, ces derniers pays ont montré une résistance plus grande à la contagion du mouvement révolutionnaire.

Les forces armées tunisiennes et égyptiennes ont le mérite d’avoir favorisé la chute de la dictature sans bain de sang, ce qui a par contre été le cas en Lybie. L’immense place Tahrir du Caire, où s’est réunie la foule qui a déterminé la chute de Moubarak, n’a pas été une nouvelle place Tienanmen. Il faut noter que les militaires ont eu un rôle progressiste dans d’autres occasions, à commencer par le coup d’Etat de Nasser, qui en 1952 avait déposé le roi Farouk. Quand, après la révolution khomeiniste en Iran (1979), les élections ouvrirent la voie à l’affirmation des principes de la république islamique, d’abord en Turquie puis en Algérie, ce furent encore les militaires qui empêchèrent l’affirmation de l’intégrisme islamique. Dans tout le monde arabe les forces armées sont la seule structure qui puisse guider la transition vers la démocratie, avec tous les risques que cela comporte. Pour de nombreuses années le risque pèsera sur les peuples arabes que la démocratie puisse se réduire à une institution de façade et que le pouvoir reste entre les mains des généraux, comme le montre le cas du Pakistan. D’autre part, il faut souligner que, si les militaires turcs ont dû céder le pouvoir, cela est dû aux pressions que l’UE a exercées au cours des négociations pour l’adhésion de la Turquie. 

Les exemples rappelés ci-dessus prouvent que les élections sont une condition nécessaire, mais pas suffisante, de la démocratie. La transition démocratique sera un cheminement long et semé d’embûches. Une si longue période de gouvernements autoritaires a détruit les structures associatives essentielles (ou n’a pas permis leur formation) pour que les élections puissent ouvrir la voie à un gouvernement démocratique : partis politiques, syndicats indépendants, associations de la société civile. La transition sera un succès seulement si des normes constitutionnelles sont élaborées, qui assurent la formation d’un espace public dans lequel le débat politique et la sélection des leaders puissent se dérouler de manière libre et transparente.

C’est sur ces bases que pourrait resurgir le panarabisme sur l’exemple de la solidarité entre les peuples qui ont choisi la liberté et qui veulent la défendre en mettant en place des institutions communes et en développant un processus fédératif au sein de la Ligue arabe. Mais le succès de la marche de ces pays vers la démocratie dépendra largement de l’ordre international et en particulier de l’influence de l’Europe, à qui l’histoire et la situation géographique assignent une responsabilité spécifique, une Europe qui se dote de pouvoirs fédéraux en politique éxtérieure et de sécurité et qui devienne capable de s’exprimer d’une seule voix. L’Europe devrait assurer les deux conditions extérieures de ce processus de démocratisation. En premier lieu, l’Union européenne (UE) devrait promouvoir un plan de développeemnt pour la région tout entière. La provenance des aides ne serait pas indifférente. Au cas où l’initiative pour le développement des pays de la Méditerrannée vienne de l’UE elle donnerait une impulsion à leur démocratisation. Au cas où ces aides proviendraient de Chine ou d’Arabie saoudite, elles n’auraient pas la même valeur ajoutée. Nous devons rappeler que Spinelli, en 1978, à la veille de la première élection au suffrage universel du Parlement européen, avait proposé dans son ouvrage PCI, che fare ? (PCI, que faire ?) un plan de ce type. Dans cette perspective, il deviendrait possible de soustraire les revenus de la rente pétrolière au circuit de la finance spéculative pour les orienter vers des investissements dans la région, par exemple la construction de grands ouvrages d’infrastructures. En deuxième lieu, l’UE devrait garantir la paix dans la Méditerrannée, à commencer par le début de solution du conflit isréalo-palestinien, qu’il n’est désormais plus possible d’attendre des Etats-Unis.

P.-S.

Lucio LEVI
Président du MFE italien, membre du Comité fédéral de l’UEF et du Bureau exécutif du WFM, Directeur de The Federalist debate - Turin

Traduit de l’italien par Jean-Francis BILLION - Lyon

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