Il faut que la gauche bouge et mette l’Europe à la place du nationalisme

, par Fausto Durante

S’il existe un espoir pour le rétablissement de la gauche après la défaite du XX° siècle, cette espérance s’appelle l’Europe. Dans la bataille politique pour imprimer un nouveau cours à l’histoire de l’intégration européenne qui est aujourd’hui bloquée, la gauche peut trouver des réponses au traumatisme de 1989 et à la crise qui l’a frappée. Le Mur s’étant effondré, la gauche européenne et mondiale n’a pas su se brancher sur le monde nouveau qui prenait forme et elle a pensé que son objectif était seulement de tempérer les politiques néolibérales en en atténuant les excès. Idée que la crise monstre déchaînée par le turbo-capitalisme de la finance et de l’économie de papier a démontré être une velléité illusoire. Alors que, au contraire, les énergies auraient dû être mises au service d’un processus de reconstruction culturelle des valeurs de la nouvelle gauche.

La désorientation a été funeste et a conduit à un manque toujours plus important d’influence des partis d’inspiration socialiste, sociaux-démocrates ou progressistes ; en plus de l’affaiblissement du rôle des syndicats. Cependant, le besoin d’une gauche reste intact, il est même aujourd’hui plus important. Le monde reste marqué de profondes injustices, d’inégalités croissantes, d’une terrible concentration des richesses dans les mains de quelques-uns et de grandes distorsions dans la distribution des revenus. Le travail qui a changé, dans le sens où il n’est plus centré sur le travailleur de masse ni sous la forme de contrat à temps plein et indéterminé, a besoin d’être réinterprété mais surtout d’être défendu et protégé. Qu’il s’agisse du travail subordonné, du travail autonome ou des formes multiples de prestations qui se cachent sous le couvert du travail soit-disant flexible mais en réalité précaire. Aujourd’hui, même les travailleurs protégés par un contrat national ou d’entreprise, même s’il est à temps plein et pour une durée indéterminée, tout en travaillant, ne gagnent pas suffisamment pour vivre dignement. La mobilité sociale est terminée, les salaires et les retraites sont insuffisants et les droits de la citoyenneté sont attaqués. Telle est la tendance diffuse partout en Europe.

Maintenant, face à tout cela, pouvons-nous dire qu’il n’y a pas de but pour la gauche ? Que des termes comme égalité, justice sociale et justice du travail, émancipation par rapport au besoin et à l’exploitation, l’élargissement de la participation et de la démocratie, sont destinées à moisir sur les étagères d’une histoire vaincue ? C’est plutôt le contraire qui est vrai ! Tout comme il se confirme que ce sont justement les phases de crises les plus aiguës qui peuvent ouvrir la voie vers de nouveaux chemins pour la gauche. Il faut alors décliner les termes d’une Europe différente qui ne soit pas marquée par l’austérité et la rigueur mais par des politiques économiques expansives et par la défense de son modèle, le modèle social européen qui a produit le welfare, le bien-être, les contrats, les protections sociales que tous nous envient. Il faut se concentrer sur l’élaboration d’une théorie économique qui ait un message libérateur, la puissance unificatrice des grandes idées politiques qui ont orienté vers les valeurs de la gauche de grandes masses de personnes qui étaient jusqu’alors sans espoir. Des masses qui existent encore dans le monde d’aujourd’hui.

Les idées dont il faut partir ne manquent pas. La CGIL a présenté son « Plan de travail », le syndicat allemand DGB son « Nouveau Plan Marshall pour l’Europe ». Ce qui a amené la Confédération européenne des syndicats à présenter sans délai « Un nouveau cours pour l’Europe », plan extraordinaire d’investissements fondé sur le renversement du paradigme suivi jusqu’à présent par l’Union européenne, avec des ressources provenant de crédits supplémentaires des différents Etats, de l’utilisation des fonds européens non dépensés, de taxes sur la richesse et sur les transactions financières et l’émission d’eurobonds et de projectbonds. A cela s’est récemment ajouté la proposition d’un « New Deal 4 Europe », soutenu en Italie par le Movimento federalista europeo et par un vaste réseau d’associations parmi lesquels des syndicats confédéraux, pour une politique industrielle et de développement en Europe qui vise -à travers l’Initiative citoyenne européenne- à obtenir un million de signatures pour engager les institutions européennes dans le sens d’actions concrètes pour le développement et la reprise de l’emploi.

L’élément commun à ces propositions c’est la rupture avec le schéma néolibéral de l’obsession de la discipline budgétaire et des coupes dans les dépenses, surtout pour les politiques sociales et pour la dimension publique des interventions dans les domaines de la santé, de l’instruction, des retraites. Et, à la fois, l’aspiration à une reprise du cours de l’intégration, avec un déplacement du pouvoir vers le Parlement européen, la démocratisation des institutions, la transparence du processus décisionnel. Ce sont des pas nécessaires pour arriver, dans une dernière tentative, à faire que les élections européennes ne se transforment pas en une défaite amère pour les forces de gauche et de progrès, par la vague vendéenne annoncée d’instincts xénophobes, racistes, anti-européens, néofascistes. C’est ce qui est maintenant le défi qui attend la gauche en Italie et en Europe.

P.-S.

Fausto Durante

Responsable du Secrétariat européen du syndicat italien CGIL, tiré de l’Unita du 15.02.2014. Republié également par Le Taurillon.

Fausto Durante est également le Président du Comité promoteur européen de la Campagne pour l’ICE « NEWDEAL4EUROPE ».

Traduit de l’italien par Jean-Luc Prevel – Lyon