Le « billet d’humeur » d’Alain Réguillon

La libre circulation entravée

, par Alain Réguillon

Mes pensées vont d’abord aux victimes des attentats en Espagne et en Finlande. Ce nouvel épisode tragique du terrorisme est une aubaine pour certains détracteurs de l’Union européenne (UE) qui entonnent la complainte de la sécurité par la fermeture des frontières. Comme si une frontière pouvait arrêter des criminels, sauf en régime dictatorial… et encore !

La lutte contre le terrorisme, comme toute autre forme de criminalité ne trouvera de solutions – encore qu’il ne faille pas se faire d’illusion, car le risque zéro n’existe pas – que par un renforcement de la coopération policière et judiciaire, en attendant une politique européenne dans ces domaines sensibles.

EUROPOLE et EUROJUSTE ont montré les limites de la coopération intergouvernementale. Les résultats obtenus doivent être salués, mais il faut aussi insister sur la nécessité de disposer, à l’échelle de l’Union, d’un dispositif fédéral des forces de polices et de justice, comme d’ailleurs dans le domaine de la sécurité civile, les dernières catastrophes et incendies montrant l’importance d’une réaction plus rapide des partenaires de proximité.

Créer une force fédérale, ce n’est pas se doter d’une administration pléthorique de policiers et d’agents de renseignements, mais d’un État-major capable de mobiliser les forces existantes dans chaque pays partie prenante à ce dispositif. Cette solution trouve sa justification juridique dans le titre IV du TUE et le titre III du TFUE « dispositions sur les coopérations renforcées ». Donc, nul besoin de revoir les traités pour avancer sérieusement et rapidement : il faut seulement du courage politique et… du bon sens ! Ce dispositif policier serait complété par un parquet européen compétent pour diriger les enquêtes en matière criminelle. Un premier pas a été fait au printemps avec la création d’un parquet pour lutter contre la fraude fiscale. C’est bien, mais trop restrictif.

La directive sur les travailleurs détachés

Un autre domaine pose problème à la libre circulation : celui des travailleurs détachés. La réforme de la directive de 1996 est en chantier depuis de longs mois. Elle paraissait pouvoir aboutir mais c’était compter sans la démagogie des États, dont la France, qui entendent se protéger contre « l’invasion venue de l’Est ». D’abord, pour sourire et se souvenir, si la Gaule n’avait pas été envahie par les Francs venus de Germanie, serions-nous ce que nous sommes ? Plus sérieusement, s’il convient de définir des règles relatives à la libre circulation des travailleurs, elles ne doivent pas être défavorables à ces travailleurs, d’où qu’ils viennent. Il faut aussi mettre des limites à l’hypocrisie car nombre de Polonais, Hongrois, Roumains et autres ressortissants d’Europe centrale et orientale ont été attirés par des entreprises et, aujourd’hui encore, des sociétés d’intérim recrutent pour satisfaire les besoins en mains d’œuvre. L’indélicatesse de certains entrepreneurs, voire l’exploitation dans nombre de cas, de ces populations ne trouvera pas de solution dans une nouvelle règlementation européenne. Que l’on commence à balayer devant notre porte et que le gouvernement fasse cesser des pratiques illicites à la limite de la délinquance.

Ceci étant, il est bien sûr besoin de règlementation à une condition, qu’elle ne crée pas de discrimination entre les Européens. Les règles de base sont établies : un travailleur détaché est embauché selon les mêmes critères qu’un national en terme de rémunération et de droits associés. Encore faut-il que cela soit respecté ! Ce qui pose problème, c’est la partie « prélèvement sociaux ». Actuellement, les cotisations payées par une entreprise qui embauche un travailleur détaché s’acquittent selon le taux pratiqué dans le pays d’origine, d’où une distorsion que l’on ne peut contester. Mais quel dispositif interdit de s’aligner sur les taux existants dans le pays d’embauche ? Rien selon mes recherches. Sauf que, dans ce cas, le travailleur bénéficierait des mêmes droits et prestations qu’un national : retraite, soins, prestations sociales en cas de maladie ou d’accident. Les États contestataires sont-ils prêts à leur accorder ces droits ? Et que l’on ne vienne pas dire que cela serait compliqué et ingérable. A l’heure de l’informatique dominante, si nous ne sommes pas capables de créer des programmes adaptés à ces situations, c’est que nous sommes vraiment mauvais !

La vérité dans tout cela est, une fois de plus, de générer une entrave à la libre circulation, notamment celle des travailleurs. Une solution simple existe. Je l’ai écrit au Président de la Commission. Elle consiste à ce que les entreprises versent les cotisations selon le taux national à un fonds européen – le Fonds social par exemple pour ne pas créer un outil supplémentaire – et que celui-ci reverse au pays d’origine le montant des cotisations selon ses propres taux. La différence viendrait alimenter un fonds de solidarité sociale qui permettrait d’aider les pays les plus en retard en matière de rémunération et de prestations sociales, afin qu’ils rattrapent plus rapidement les pays les plus avancés.

Le Président de la République française vient de réaliser une tournée dans certains pays pour défendre une réforme de la directive qui soit plus favorable à la France comme aux pays qui la suivent sur cette question. Quel est le plus important : satisfaire les populistes et les xénophobes ou construire une Europe fraternelle, solidaire et source de progrès pour les Européens ?

Le choix des fédéralistes et des humanistes doit être clair : non aux entraves à la libre circulation qui reste la base la plus forte de la construction européenne surtout quand elle concerne des femmes et des hommes qui n’ont qu’un souci, vivre plus dignement. Oublier que l’UE est d’abord faite pour le bien des peuples, en Europe et hors d’Europe, c’est faire injure aux pères fondateurs et saper notre avenir.

Ni le terrorisme, ni l’égoïsme ne doivent gagner

P.-S.

Alain Réguillon. Ancien Président de l’UEF France et Président de la Maison de l’Europe et des Européens de Lyon, membre du Bureau de Presse Fédéraliste - Lyon

Photo : Grenze par Mike Knell CC