La réponse des fédéralistes à l’élection de Trump

, par Joseph Baratta

Le vote a été une protestation de la classe laborieuse contre la mondialisation – ou, d’un point de vue fédéraliste, contre une mondialisation sans gouvernement pour discipliner les marchés. Le peuple américain veut que la mondialisation ralentisse et ses emplois soient préservés. Il est prêt à saisir sa chance avec le protectionnisme et l’isolationnisme.

Donald Trump a concouru en outsider du Parti républicain, tout comme Bernie Sanders l’a fait pour les Démocrates. Les deux partis doivent reconquérir leurs racines populaires. Il est possible qu’un troisième parti social-démocrate émerge en Amérique. Le « parti » de Trump semble devenir un parti de type fasciste sur les lignes des partis de Mussolini ou d’Hitler, corporatiste, anti-syndicats, raciste, tolérants envers les religions et les nationalistes. Le Parti républicain pourrait survivre comme un parti conservateur traditionnel. Les Démocrates se battent pour survivre comme le parti libéral (au sens américain et politique du terme, ndt.) du New Deal de Franklin Roosevelt. Le vote a été un tel bouleversement que le système politique américain pourrait évoluer vers un système partisan quadripartite plus proche de ce qui existe en Europe en réponse aux nouvelles réalités mondiales.

Il est impossible de prédire où Trump conduira les États-Unis d’Amérique. Ses déclarations, principalement sur Twitter, sont non seulement menaçantes mais aussi contradictoires. Les membres de son Administration sont de meilleurs indicateurs, mais ils ne sont pas rassurants. Le Général Michael Flynn, son (premier, ndt.) choix comme Conseiller pour la sécurité nationale, a déclaré que l’Islam est une idéologie politique et non une religion ; Scott Pruitt, nommé à la protection de l’environnement, récuse le réchauffement climatique global – il pourrait conduire les États-Unis à sortir de l’Accord de Paris.

La réponse paranoïaque serait d’attendre avec impatience le désastre économique et la guerre. Une crise intrinsèque semble plus que certaine, mais une crise peut représenter une opportunité. Que ferons-nous si les avions de guerre américains détruisent Raqqa comme les Russes l’ont fait à Alep ? Si Trump élimine la menace nucléaire nord-coréenne avec quelques missiles nucléaires bien placés ? Le moment ne pourraient être plus hostiles aux projets éclairés pour des fédérations européenne ou mondiale. Nous sommes à une époque identique à celle de 1950, lorsque la guerre de Corée fit prendre conscience aux gens que la guerre froide était arrivée. Cord Meyer, le premier Président des United World Federalists (organisation américaine membre du World Movement for World Federal Government, ancêtre du WFM, ndt.), rejoignit tranquillement la CIA pour défendre le pays. De la même manière, aujourd’hui, des citoyens responsables pensent qu’ils doivent revoir à la baisse leurs vues et viser à sauver les États-Unis. En Europe, la tâche à venir est de sauver la démocratie et l’Union.

Dans cette crise de la Présidence Trump, les fédéralistes mondiaux peuvent-ils aider les fédéralistes européens ?

Nous pouvons continuer à dire la vérité. L’histoire du mouvement peut éclairer un peu la question. Lorsque la guerre froide a détruit toute initiative pour réformer les Nations unies dans le sens d’un gouvernement mondial limité basé sur la représentation populaire afin de sécuriser la paix à l’heure atomique, Greenville Clark et Louis B. Sohn, se sont retirés dans la propriété de Clark à Dublin, dans le New Hampshire, où ils ont rédigé un plan systématique de réforme de l’ONU, publié sous le titre de World Peace through World Law (1958, éd. fr. La paix par le droit mondial, traduction du fédéraliste Francis Gérard pour les PUF, ndt.). Ce travail est toujours le document à consulter pour comprendre ce que proposent les fédéralistes mondiaux.

De la même manière, Robert M. Hutchins de l’Université de Chicago, a publié un plan « maximaliste » pour tout à la fois garantir la paix et établir la justice (mondiales, ndt.) sous le titre The Preliminary Draft of a World Constitution (1948, éd. fr. Committtee to Frame a World Constitution, Projet de constitution mondiale, préface de Thomas Mann, Nagel, Paris, 1949, p. 91, ndt.), a dû interrompre la parution du stopper la revue Common Cause, après la guerre de Corée. Giuseppe A. Borgese (écrivain italien, réfugié aux États-Unis et époux d’Elizabeth Mann Borgese, fille cadette de Thomas Mann, lui aussi exilé à New York durant la guerre, ndt.), le guide spirituel du Comité de Chicago, rentra en Italie, désespéré que « les mondes soient deux ». Mais, plus tard Hutchins, avec des fonds de la Fondation Ford, créa à Santa Barbara (Californie) le Center for the Study of Democratic Institutions, où durant vingt ans il conduisit des débats pour préserver la démocratie en Amérique.
Les fédéralistes mondiaux pourraient suivre ces exemples de Clark et Sohn, Hutchins et Borgese. Le soutien populaire ayant disparu, ils pourraient se poser, écrire de profondes analyses, garder la foi, et attendre des jours meilleurs. C’est ce que je fais. Notre seul pouvoir est de découvrir et de publier la vérité.
Nous ne sommes pas coupables de ‘La trahison des clercs’ de Julien Brenda,(philosophe français qui dans cet ouvrage reprochait aux intellectuels d’avoir quitté le monde de la pensée désintéressée et des valeurs abstraites et intemporelles pour se commettre dans le combat politique, ndt) : cette lâcheté des intellectuels dans les années 1920 et 1930 devant l’arrivée du totalitarisme. La logique de notre cas semblerait favoriser cette solution.

Mais le seul groupe avec une quelconque connexion avec les décideurs politiques gouvernementaux est aujourd’hui la Commission on Global Security, Justice and Gouvernance, soutenue par le Stimson Center de Washington et l’Institute for Global Justice de La Haye. Ces deux ONG ont réalisé une étude sérieuse sur « Affronter la crise de la gouvernance globale » (juin 2015). Elle étudie de manière très objective toutes les questions politiques concernant les États-Unis, en particulier les États en crise, la dégradation de l’environnement et l’économie globale hyper-connectée. Elle appelle à une conférence générale des Nations unies pour amender la Charte en accord avec l’article 109 d’ici à 2020. L’ancienne Secrétaire d’État américaine, Madeleine Albright, la soutient. C’est également le cas du World Federalist Movement encore actif à New York sous la direction de Bill Pace.

D’un autre point de vue si l’on revient sur la division entre le WMWFG et l’UEF (depuis la guerre froide jusqu’à l’ère Gorbatchev, ndt.), les fédéralistes européens pourraient aider les fédéralistes mondiaux. Les fédéralistes européens, dans la période Trump, seraient bien avisés de ne pas attendre la conférence du Stimson Center sur la réforme de la Charte de l’ONU. Ce qui arrive en Europe, est me semble-t-il, avec ma perspective lointaine et vu de l’autre côté de l’Atlantique, la conséquence du rejet par le Conseil des Ministres (de l’UE, ndt.) du Projet de traité d’Altiero Spinelli pour l’établissement d’une Union européenne – qui avait été approuvé par le PE en 1984, après son élection au suffrage universel direct en 1979 (237 pour, 31 contre et 43 abstentions). Ce fut la perte d’une opportunité historique. Aujourd’hui, la population est déçue avec le retard à la mise en place d’une réelle démocratie européenne.

Sans un gouvernement commun pour soutenir l’euro ou pour conserver les États membres dans les standards initiaux de l’Union (inflation inférieure à 1.5% du taux du Deutsche Mark, déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB, dette nationale inférieure à 60% du PIB), la crise de l’euro ne peut pas être véritablement résolue. Le projet de constitution européenne de Valéry Giscard d’Estaing en 2005 allait dans la bonne voie, mais son rejet à une faible majorité par les Hollandais et les Français a retardé la cause de l’Europe peut-être pour toujours. L’Europe a besoin de leaders nouveaux et audacieux et d’une population solidaire dans la dialectique pour tourner le dos à la dérive régressive du nationalisme. Aux États-Unis quand nos gouvernants se trompent, nous aimons à dire, avec Jefferson et Lincoln, que la sagesse du peuple sauvera le pays.

L’Union européenne pourrait souffrir d’un éclatement général en 2017, mais cela ne devrait pas signifier le retour du nationalisme des années 1930 et l’apparition d’un nouvel Hitler. L’Histoire se répète, mais pas à l’identique. Les peuples apprennent des erreurs nationales.

Les fédéralistes européens, me semble-t-il, devraient voir que l’opinion publique, qui suit des slogans, « Quittons l’Europe : dites non à la dictature de l’UE », expriment leur frustration devant le manque de pouvoirs du Parlement européen élu, auquel le Plan Spinelli permettait de remédier. Après que les traités soient foulés aux pieds en 2017, l’Europe retombera à l’état de nature (l’absence de règles, ndt). Elle ressemblera à une petite région de petits Trumps. Cela présentera une opportunité pour des responsables capables de vision politique de ramener les peuples vers les nécessités de l’unité européenne, pourvu qu’elle soit réellement démocratique. Les élites doivent montrer la voie. L’’Europe doit avoir foi dans son peuple.

P.-S.

Joseph Baratta
Professeur de World History and International Relations au Worcester State College - Massachusetts.

Article publié en commun avec The Federalist Debate – Turin (N° 1, 2017)

Traduit de l’anglais par Jean-Francis Billion - Paris