Le billet de Jean-Pierre Gouzy

Mercozy Round et pacte budgétaire

, par Jean-Pierre Gouzy

Dos au mur, à l’instigation du couple Mercozy, vingt-six des
vingt-sept gouvernements de l’Union européenne (UE) ont, en
principe, convenu, le 9 décembre 2011, d’arrêter les grandes
lignes d’un pacte budgétaire destiné à combler l’une des
lacunes les plus criantes du Traité de Maastricht à l’origine de
l’Union monétaire et d’un faux semblant d’Union économique,
comme la crise sans précédent du système financier mondial
depuis les années 1930 vient d’en administrer la preuve.
Seule la Grande-Bretagne s’incarnant à merveille dans la
personnalité « eurosceptique pragmatique » de son Premier
ministre, David Cameron, s’est auto-exclue de tout nouvel
engagement, les intérêts de la City primant ceux du Continent,
aux yeux des Tories europhobes.

Hors zone euro, Cameron n’entend pas pour autant sortir de
l’UE elle-même, estimant que la meilleure manière de défendre
les intérêts de Sa Majesté britannique, reste encore d’en
influencer le cours de l’intérieur. C’est pourquoi, l’article de « la
une » du journal Le Monde en date du 10 décembre, intitulé
« l’Europe à 27, c’est fini » ne nous paraît pas refléter la réalité,
même si la stratégie cameronesque qui vient d’échouer au
terme d’une « great night for Europe » est de nature à isoler les
Britanniques plutôt que l’inverse. Les États de l’Union, pour
certains d’entre eux avec des réserves, et à la notable
exception du Royaume uni ont, en effet, partagé largement
l’approche franco-allemande telle qu’elle s’est profilée depuis la
rencontre Merkel/Sarkozy en août dernier à l’Elysée, puis
confirmée progressivement au cours des mois d’octobre et
novembre, de Berlin à Bruxelles, avant d’aboutir au Conseil
européen début décembre. C’est ce que j’appelle le « Merkozy
Round ».

Du charabia diplomatique qui a conclu ce dernier marathon
nocturne, tentons d’extraire et de retenir les dispositions
essentielles. A savoir :

  • le Pacte budgétaire devrait désormais dépendre de « sanctions automatiques » contre tout État de l’Eurozone dont les déficits publics dépasseraient 3 % du PIB. La majorité qualifiée deviendrait nécessaire pour s’y opposer ;
  • les déficits dits « structurels » ne pourront plus excéder la barre de 0,5 % du PIB. La Cour de justice européenne vérifiera la transposition de cette « règle d’or » dans les diverses panoplies constitutionnelles des partenaires de l’Euro ;
  • des eurosommets intergouvernementaux seront organisés au moins deux fois l’an pour « activer la gouvernance » (sic). En temps de crise, la périodicité pourra être accélérée ;
  • le Traité instituant en juillet 2010 un Mécanisme européen de stabilité (MES) sera mis en oeuvre avec une année d’avance (juillet 2012 au lieu de juillet 2013). Sa dotation prévue initialement à hauteur de 500 milliards d’euros pourrait être réévaluée en mars prochain. Une procédure d’urgence permettra l’introduction d’une majorité qualifiée de 85 % dès lors que la viabilité de la zone paraîtrait menacée. Au passage, notez que ce dispositif n’empêchera pas les « grands » États (Allemagne, France, Italie) de conserver un droit de veto de fait ;
  • enfin, pour amadouer les marchés, le secteur privé (banques, assurances) ne sera plus « mis à contribution » contre son gré, comme ce fut le cas pour la Grèce.

Les résultats de l’exercice sont loin d’être sans signification, s’il
s’agit de parer au plus pressé. Nulle part, évidemment, il n’est
question d’Europe fédérale. Pour le Président français,
répondant aux journalistes, le dernier sommet représente
néanmoins « une étape décisive de la construction
européenne ». En fait, il consacre surtout, une fois de plus,
l’obsession de toujours des gouvernements de la Véme
République : pérenniser la primauté des prérogatives des
exécutifs nationaux par rapport aux institutions
communautaires, même si la Commission a le devoir de faire
prévaloir « l’intérêt commun » et si la Banque Centrale est
statutairement « indépendante ». Sarkozy bombe le torse quand,
à propos du Pacte budgétaire, il déclare à ses interviewers,
avec une eurodélectation évidente, que « pas un seul domaine
nouveau de compétence ne sera transféré à une quelconque
autorité supranationale ». Par ailleurs, il ne souffle mot du
Parlement européen et du rôle que celui-ci devrait pouvoir jouer
en la circonstance. Tout ceci, à la veille des débats qui vont
s’engager en France en vue des élections présidentielles, est
évidemment de bonne guerre. Face à ses compétiteurs, le
Président sortant se présente comme le champion de la
souveraineté nationale…

Reste l’essentiel : le problème de la dette qui demeure entier,
alors que l’activité ne cesse de ralentir et le chômage
d’augmenter ; le refus de la BCE d’acheter « massivement » de
la dette publique, confirmé par son nouveau patron, Mario
Draghi, le 8 décembre ; le renvoi à plus tard (aux calendes
grecques, serait-on tenté de dire) des projets de taxation
financière ; idem en ce qui concerne le recours aux
« eurobonds », c’est-à-dire à une mutualisation ciblée de la
dette, même si on nous assure que ce projet n’est pas
totalement abandonné à terme. Quant à la « force de frappe »
de 1.000 milliards d’euros dont on nous disait, voici moins de
deux mois encore, qu’elle pourrait être mise à la disposition de
l’actuel Fonds européen de sauvetage (F.E.S.F.) dépourvu en
l’état d’une capacité suffisante pour porter secours à un pays
de la taille de l’Italie ou de l’Espagne, on n’en a plus guère
entendu parler. Et pour cause : les principaux pays émergents
réunis au début de novembre dernier à Cannes de concert
avec les Etats-Unis, le Canada, le Japon etc… n’ont pas
répondu jusqu’ici aux appels de pieds appuyés dont ils étaient
l’objet de la part de leur président en exercice, Nicolas Sarkozy.

Bref, nous voulons croire que le nouveau Pacte budgétaire
permettra à la zone euro et, au-delà, à la construction
européenne elle-même de reprendre son souffle. Mais nous
sommes loin d’en être vraiment convaincus, d’autant que la
Commission, gardienne des Traités, a émis dès le 12
décembre de sérieuses réserves juridiques à l’égard du
processus engagé et que David Cameron prépare une contreattaque
politique dont l’utilisation des institutions
communautaires deviendrait l’enjeu.

C’est pourquoi, nous nous refusons, une fois encore, à prendre
des vessies pour des lanternes.