Dos au mur, à l’instigation du couple Mercozy, vingt-six des vingt-sept gouvernements de l’Union européenne (UE) ont, en principe, convenu, le 9 décembre 2011, d’arrêter les grandes lignes d’un pacte budgétaire destiné à combler l’une des lacunes les plus criantes du Traité de Maastricht à l’origine de l’Union monétaire et d’un faux semblant d’Union économique, comme la crise sans précédent du système financier mondial depuis les années 1930 vient d’en administrer la preuve. Seule la Grande-Bretagne s’incarnant à merveille dans la personnalité « eurosceptique pragmatique » de son Premier ministre, David Cameron, s’est auto-exclue de tout nouvel engagement, les intérêts de la City primant ceux du Continent, aux yeux des Tories europhobes.
Hors zone euro, Cameron n’entend pas pour autant sortir de l’UE elle-même, estimant que la meilleure manière de défendre les intérêts de Sa Majesté britannique, reste encore d’en influencer le cours de l’intérieur. C’est pourquoi, l’article de « la une » du journal Le Monde en date du 10 décembre, intitulé « l’Europe à 27, c’est fini » ne nous paraît pas refléter la réalité, même si la stratégie cameronesque qui vient d’échouer au terme d’une « great night for Europe » est de nature à isoler les Britanniques plutôt que l’inverse. Les États de l’Union, pour certains d’entre eux avec des réserves, et à la notable exception du Royaume uni ont, en effet, partagé largement l’approche franco-allemande telle qu’elle s’est profilée depuis la rencontre Merkel/Sarkozy en août dernier à l’Elysée, puis confirmée progressivement au cours des mois d’octobre et novembre, de Berlin à Bruxelles, avant d’aboutir au Conseil européen début décembre. C’est ce que j’appelle le « Merkozy Round ».
Du charabia diplomatique qui a conclu ce dernier marathon nocturne, tentons d’extraire et de retenir les dispositions essentielles. A savoir :
- le Pacte budgétaire devrait désormais dépendre de « sanctions automatiques » contre tout État de l’Eurozone dont les déficits publics dépasseraient 3 % du PIB. La majorité qualifiée deviendrait nécessaire pour s’y opposer ;
- les déficits dits « structurels » ne pourront plus excéder la barre de 0,5 % du PIB. La Cour de justice européenne vérifiera la transposition de cette « règle d’or » dans les diverses panoplies constitutionnelles des partenaires de l’Euro ;
- des eurosommets intergouvernementaux seront organisés au moins deux fois l’an pour « activer la gouvernance » (sic). En temps de crise, la périodicité pourra être accélérée ;
- le Traité instituant en juillet 2010 un Mécanisme européen de stabilité (MES) sera mis en oeuvre avec une année d’avance (juillet 2012 au lieu de juillet 2013). Sa dotation prévue initialement à hauteur de 500 milliards d’euros pourrait être réévaluée en mars prochain. Une procédure d’urgence permettra l’introduction d’une majorité qualifiée de 85 % dès lors que la viabilité de la zone paraîtrait menacée. Au passage, notez que ce dispositif n’empêchera pas les « grands » États (Allemagne, France, Italie) de conserver un droit de veto de fait ;
- enfin, pour amadouer les marchés, le secteur privé (banques, assurances) ne sera plus « mis à contribution » contre son gré, comme ce fut le cas pour la Grèce.
Les résultats de l’exercice sont loin d’être sans signification, s’il s’agit de parer au plus pressé. Nulle part, évidemment, il n’est question d’Europe fédérale. Pour le Président français, répondant aux journalistes, le dernier sommet représente néanmoins « une étape décisive de la construction européenne ». En fait, il consacre surtout, une fois de plus, l’obsession de toujours des gouvernements de la Véme République : pérenniser la primauté des prérogatives des exécutifs nationaux par rapport aux institutions communautaires, même si la Commission a le devoir de faire prévaloir « l’intérêt commun » et si la Banque Centrale est statutairement « indépendante ». Sarkozy bombe le torse quand, à propos du Pacte budgétaire, il déclare à ses interviewers, avec une eurodélectation évidente, que « pas un seul domaine nouveau de compétence ne sera transféré à une quelconque autorité supranationale ». Par ailleurs, il ne souffle mot du Parlement européen et du rôle que celui-ci devrait pouvoir jouer en la circonstance. Tout ceci, à la veille des débats qui vont s’engager en France en vue des élections présidentielles, est évidemment de bonne guerre. Face à ses compétiteurs, le Président sortant se présente comme le champion de la souveraineté nationale…
Reste l’essentiel : le problème de la dette qui demeure entier, alors que l’activité ne cesse de ralentir et le chômage d’augmenter ; le refus de la BCE d’acheter « massivement » de la dette publique, confirmé par son nouveau patron, Mario Draghi, le 8 décembre ; le renvoi à plus tard (aux calendes grecques, serait-on tenté de dire) des projets de taxation financière ; idem en ce qui concerne le recours aux « eurobonds », c’est-à-dire à une mutualisation ciblée de la dette, même si on nous assure que ce projet n’est pas totalement abandonné à terme. Quant à la « force de frappe » de 1.000 milliards d’euros dont on nous disait, voici moins de deux mois encore, qu’elle pourrait être mise à la disposition de l’actuel Fonds européen de sauvetage (F.E.S.F.) dépourvu en l’état d’une capacité suffisante pour porter secours à un pays de la taille de l’Italie ou de l’Espagne, on n’en a plus guère entendu parler. Et pour cause : les principaux pays émergents réunis au début de novembre dernier à Cannes de concert avec les Etats-Unis, le Canada, le Japon etc… n’ont pas répondu jusqu’ici aux appels de pieds appuyés dont ils étaient l’objet de la part de leur président en exercice, Nicolas Sarkozy.
Bref, nous voulons croire que le nouveau Pacte budgétaire permettra à la zone euro et, au-delà, à la construction européenne elle-même de reprendre son souffle. Mais nous sommes loin d’en être vraiment convaincus, d’autant que la Commission, gardienne des Traités, a émis dès le 12 décembre de sérieuses réserves juridiques à l’égard du processus engagé et que David Cameron prépare une contreattaque politique dont l’utilisation des institutions communautaires deviendrait l’enjeu.
C’est pourquoi, nous nous refusons, une fois encore, à prendre des vessies pour des lanternes.