Dans la perspective des élections européennes de 2014

Fédération européenne immédiate ou désintégration

, par Sergio Pistone

Désormais il est évident pour tous que l’euro peut
s’écrouler -en commençant par la faillite de la Grèce- à la
suite des attaques contre les dettes souveraines des pays
européens de la part des marchés. Le coût auquel les
États les plus endettés et en crise économique doivent se
financer sur les marchés est insoutenable et anéantit les
politiques d’assainissement ouvrant la route à
l’insolvabilité et à la récession. D’autre part il faut que ce
soit bien clair que, si l’euro tombe, le processus
d’unification européenne est destiné à se désagréger. Le
retour aux monnaies nationales (et il faut souligner que
les projets irresponsables d’un euro des pays forts et d’un
euro des pays faibles ou bien l’introduction de marges
d’oscillation entre les euros utilisés par les différents pays
reviendrait à la dissolution de l’Euro-zone) aurait non
seulement des coûts économiques énormes, mais ferait
sauter le marché commun suite au retour aux
dévaluations compétitives et à différentes formes de
protectionnisme et certainement au nationalisme.
Concrètement, ce serait la fin d’un cycle historique de
soixante ans qui a garanti aux citoyens européens une
situation de paix et un progrès politique et économicosocial
jamais atteint par le passé. Ce serait une
catastrophe aux proportions gigantesques pour les
Européens mais avec des conséquences très graves pour
le monde entier, étant donné l’exemple donné par le
processus de pacification européen et le rôle décisif que
l’Europe unie est appelée à remplir pour la construction
d’un monde plus juste, plus pacifique et écologiquement
soutenable.

Le problème crucial c’est : que faire pour sauver l’euro et
l’unification européenne ?

Bien qu’elles soient utiles dans l’immédiat, les décisions
sur le fond de sauvetage européen FESF/MESF, sur le
pacte budgétaire (Fiscal Compact), sur le rôle de la
Banque centrale européenne, sur l’aide à l’Espagne, etc.,
ne sont que des mesures tampons. Elles ne s’attaquent
pas aux racines de la faiblesse actuelle européenne qui
provient du fait d’avoir une union monétaire sans un
gouvernement économique européen. Un gouvernement
économique européen signifie la réalisation entre les pays
de la Zone euro d’une union fiscale, en relation avec une
agence de la dette, laquelle doit assumer au moins une
part importante de la dette publique pour pouvoir garantir
pour les renouvellements des conditions de marché et de
taux d’intérêts normaux. Cela signifie un budget
supranational qui peut adopter au niveau européen des
mesures (qui ne peuvent être efficaces qu’à ce niveau)
pour une reprise de croissance durable. Ce qui signifie
des taxes européennes et des euro bonds qui permettent
d’au moins tripler les ressources communes qui
actuellement n’atteignent même pas 1 % du PIB
européen. Cela signifie la capacité d’imposer une rigueur
inflexible accompagnée cependant par une solidarité
efficace. Cela signifie un Fonds monétaire européen qui
puisse agir comme prêteur en dernière instance et une
vigilance européenne forte sur les grandes banques.
Si tout cela est clair, il est évident qu’un vrai
gouvernement économique européen comporte un
transfert substantiel de souveraineté des États à l’Europe
sur le terrain macroéconomique et fiscal et par
conséquent, un système institutionnel supranational plus
efficient et démocratiquement légitime. Autrement dit, il
faut un exécutif fondé sur le vote des citoyens européens,
un législatif dans lequel il y a codécision complète entre
le Parlement européen et le Conseil, l’élimination de toute
forme de veto national. A ce propos, il faut souligner que
le gouvernement allemand a parfaitement raison quand il
affirme que sans une union politique qui gouverne avec
rigueur et efficacité l’économie européenne, on ne peut
pas introduire une solidarité structurelle entre pays forts
et pays faibles de l’Europe. Il faut aussi dire que si le
problème immédiat, étant donné la crise de l’euro, est la
création d’une souveraineté fiscale et macroéconomique
européenne, il n’est pas possible d’affronter ce problème
sans une avancée substantielle simultanée vers la
fédéralisation de la politique extérieure, de la sécurité et
de la défense. A part les économies que cela
représenterait (très importantes dans le contexte de la
crise économico-financière), la considération décisive
c’est que la solidarité économico-financière ne peut pas
se réaliser de façon organique sur le plan supranational
sans une solidarité sur le plan de la sécurité. Ce qui
signifie fondamentalement armée européenne, politique
extérieure et diplomatie unique, unification de l’aide au
développement.

Il est donc temps de faire un saut qualitatif pour affronter
la crise. Il faut encadrer tout de suite dans un pacte
politique aussi bien le pacte sur l’assainissement
nécessaire des comptes des États (en se rappelant que
l’ère du développement par des dettes, sur les épaules du
reste du monde, est définitivement dépassée pour les
Européens), que le lancement d’un pacte (qui ne peut être
différé) pour le développement écologiquement et
socialement durable et encore le démarrage du processus
de constitution de la Fédération européenne.

Pour que se réalise un processus constituant qui conduise
effectivement à la Fédération européenne, le dépassement
du principe de l’unanimité en est la condition
indispensable. Cela signifie affronter trois choix :

  1. la décision de la part des États disponibles et qui ont une exigence vitale de la fédération (les membres de l’Eurogroupe et les États qui veulent entrer dans l’euro) de mettre en place ce processus entre eux et donc de donner naissance à une fédération dans la confédération (l’UE qui comprend tous les Etats membres), en garantissant bien sûr les droits acquis et la possibilité d’une adhésion ultérieure au noyau fédéral ;
  2. le vote à scrutin majoritaire et non par consensus à la Convention constitutionnelle ;
  3. le passage à la ratification du projet constitutionnel sans qu’il soit modifié par une conférence intergouvernementale et la ratification à scrutin majoritaire par un référendum européen.

Pour pousser les gouvernements à lancer un processus de
constitution de la Fédération européenne dans les termes
indiqués ci-dessus, l’initiative du Parlement européen
(PE) est décisive. Il faudra qu’il s’engage à fond pour la
mise en place d’un Plan européen de développement
économique écologiquement et socialement durable, basé
sur des investissements en infrastructure, la reconversion
dans un sens écologique de l’économie, l’usage des
énergies renouvelables, la recherche et l’innovation -un
plan à financer par des impôts européens (comme celui
sur les transactions financières et celui sur l’émission de
CO2) et par l’émission d’euro-obligations pour des
investissements (euro project bonds). En même temps, le
PE devra présenter une proposition organique de
changement des Traités qui équivaudra à l’introduction
d’une constitution fédérale européenne. Il devra obtenir,
grâce à l’organisation d’assises interparlementaires, le
soutien des parlements nationaux à cette proposition et
agir de façon à ce que les élections européennes de 2014
se transforment en une légitimation populaire de la
proposition constitutionnelle. Tout de suite après, il
faudra convoquer une Convention constitutionnelle qui
soumette à la ratification le projet de constitution.

Pour favoriser ces développements, l’action fédéraliste
devra mobiliser de manière systématique les orientations
favorables à la Fédération européenne présentes dans les
représentations parlementaires, dans les forces politiques,
économiques et sociales, dans la société civile, dans les
administrations locales, dans le monde de l’école et de la
culture. Cette mobilisation est en train de se mettre en
place grâce à une vaste Campagne pour la Fédération
européenne qui a comme instruments fondamentaux une
pétition au Parlement européen, un appel aux
gouvernements et une Initiative des citoyens européens
(ICE) en faveur d’une nouvelle donne européenne pour
un développement écologiquement et socialement
durable, qui devra recueillir en une année un million de
signatures dans au moins sept pays de l’UE.

P.-S.

Sergio Pistone

Historien - Université de Turin - Vice président honoraire de l’UEF Europe

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