Le Billet de Jean-Pierre GOUZY

Le schimblick européen va-t-il enfin avancer ?

, par Jean-Pierre Gouzy

Le fait n’est pas nouveau, mais il devient insupportable ! Jamais, nos
concitoyens que l’on va, pourtant, solliciter en vue du renouvellement
du Parlement européen en 2014, n’ont paru plus étrangers aux
charmes subtils du meccano communautaire, tel qu’il se pratique
agrémenté des micmacs intergouvernementaux tels qu’ils s’incarnent
en vertu des Tables de la Loi du moment. J’en veux pour preuve
récente le sondage IFOP publié dans Le Figaro du 17 septembre
dernier… A l’en croire, 49 % seulement des Français estimeraient qu’il
est encore de l’intérêt de notre pays d’appartenir à l’Union européenne
(UE). D’autre part, 64 % des « sondés » dont l’opinion a été sollicitée à
propos du Traité de Maastricht qui a instauré l’euro auraient déclaré
que si c’était à refaire, ils voteraient « non » aujourd’hui, mais, pour
autant, 65 % des mêmes sondés, ne souhaitent pas voir la France
abandonner l’euro pour revenir au franc. Un peu comme les Grecs qui
ne veulent plus entendre parler d’en revenir à la drachme. C’est la
confusion la plus totale !

Pour ma part, je suis tenté de penser qu’au moins 90 % des
personnes consultées n’ont pas la moindre idée de ce que contiennent
réellement les arcanes du Traité de Maastricht péniblement ratifié en
France voici vingt ans par 51 % contre 49 % des voix
référendairement exprimées, grâce -il faut le dire- à l’engagement du
Président de la République de l’époque, François Mitterrand, face à la
meute délirante des souverainistes s’incarnant dans le lepénisme, le
séguinisme, le chevènementisme et … j’en passe.

Ce qui était vrai, à l’époque, s’est amplifié de nos jours… Les
carences d’une politique de communication et d’information
européenne digne de ce nom, parce qu’elle est elle-même
conditionnée par les contraintes souvent contradictoires d’une
architecture institutionnelle de plus en plus complexe, sont flagrantes.
Seuls (ou presque) les initiés du sérail peuvent se retrouver dans les
méandres de l’eurosphère opaque qui nous permet d’avancer, de-ci
delà, à tâtons, alors que la Commission ne cesse d’invoquer la divine
transparence.

Comment, en effet, l’Européen lambda pourrait-il décrypter le bidule et
décoder avec les médias dont il dispose, les jeux de rôles qu’incarnent
de manière diffuse les personnages José-Manuel Barroso, Hermann
Van Rompuy (sur fond de présidence chypriote temporaire), Mario
Draghi, Jean-Claude Juncker, mais aussi, Angela Merkel, François
Hollande, David Cameron, Mario Monti et quelques autres sans
oublier le petit dernier, Mariano Rajoy, et Wolfgang Schäuble, parmi
les seconds couteaux souvent sur la sellette ? C’est un véritable
théâtre d’ombres que celui où se joue le destin de la zone euro, et audelà
de l’UE, sur fond de contractions budgétaires, déficits rémanents,
dette abyssales, chômage ascendant, croissance en chute libre et,
pour tout dire, de faux semblants permanents.

Depuis le Conseil européen du 29 juin, on a sans doute retenu un
nom : le personnage-clé de cette illustre galerie : Mario Draghi, formé
à bonne école (Goldman Sachs), vivante incarnation désormais d’une
Banque centrale européenne à vocation fédérale, dont le rôle à
Francfort ne cesse de se conforter depuis que ses instances ont
décidé de financer les banques européennes à un taux minimaliste et
à hauteur de 1.000 milliards d’euros, puis proposé que lui soit attribué
un contrôle prudentiel pérenne dans les 17 pays de la zone euro, en la
dotant d’une capacité de gestion centralisée disposant entre autres,
d’un fonds européen de restructuration. L’OMT (« Outright Monetary
Transactions ») devant permettre à la « bank Draghi » de racheter des
titres à des conditions données « pour des montants illimités ».
Perspective qui a fait immédiatement frétiller d’aise les marchés. Par
ailleurs, un véritable projet d’Union bancaire doté d’un mécanisme de
supervision doit voir le jour, à partir d’une initiative législative de la
Commission âprement débattue, lors de la réunion de l’Eurogroupe à
Nicosie, le 14 septembre.

Parallèlement, la redoutable Cour constitutionnelle de Karlsruhe a
décidé, le 12 septembre d’avaliser le TSCG, c’est-à-dire l’indigeste
Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (hérité de l’ère
merkozyenne), ouvrant ainsi la voie à la ratification française, dès lors
que François Hollande a abandonné l’idée d’une renégociation requise
pendant la période électorale, au profit d’un « pacte » dit « de
croissance » doté d’un potentiel de 120 milliards d’euros
d’engagements communautaires, largement négocié bilatéralement
avec Angela Merkel, au cours de l’été.

Tout ceci devrait permettre, enfin, d’initier sous peu le Mécanisme
européen de stabilité (MES) doté de 500 milliards d’euros de capacités
de prêts, relayant les efforts consentis déjà au titre du Fonds européen
de stabilité financière (FESF).

Mais, ce n’est pas tout… Au-delà du feuilleton de la « règle d’or » qui
donne du peps à « Dany » Cohn-Bendit, mais des vapeurs à Eva Joly,
le très prudent José-Manuel Barroso, Président gestionnaire d’une
Commission européenne dont le mandat se termine en 2014, n’a pas
voulu laisser la vedette au Président (permanent) du Conseil
européen, Herman Van Rompuy, qui a reçu en juin dernier, de ses
pairs, le mandat de présenter en octobre une « feuille de route » sur le
nécessaire renforcement de l’Union économique et monétaire et de
son contrôle démocratique, ainsi que sur d’autres questions de taille
restées en attente : l’Union budgétaire, la taxe financière, la question
de la mutualisation, au moins partielle, de la dette (les eurobonds),
sans parler du sort final de la Grèce. Nous venons donc d’hériter d’une
sorte de succédané du vieux projet delorien en forme d’oxymore : une
Fédération d’Etats-nations nécessitant « à long terme » un « nouveau
Traité », à cette notable différence près qu’effectivement Delors part
d’un constat de différenciation entre membres de l’Union pour tenter
d’avancer vraiment, alors que pour son successeur lusitanien à la tête
du collège communautaire, il existe, par définition, une seule UE avec
sa Commission et son Parlement qui doivent donc avancer d’un même
pas. « N’ayons pas peur des mots » s’est aussi exclamé Barroso, en la
circonstance… Alors, pourquoi n’avoir pas évoqué la perspective
d’une « fédération européenne », tout simplement ? Le choix n’est
évidemment pas innocent, d’autant que l’auteur a cru nécessaire, au
passage, de récuser par avance l’idée incestueuse d’un « Super-État ».
Probablement, parce qu’au stade actuel, un vrai big-bang fédéral
aurait soulevé une levée de boucliers dans les hautes eurosphères.
Plutôt que de se risquer à un tel affrontement, J.M. B. a donc opté
pour une stratégie (?) de contournement qui sied d’ailleurs à son
personnage.

Ce qui nous intéresse dans « l’esquisse » qu’il se propose de présenter,
c’est l’ouverture d’un débat dont nul ne saurait ignorer l’amplitude,
redonnant aux fédéralistes des raisons nouvelles de mener leur
combat à maturité, en plaçant chacun devant ses responsabilités.
C’est, en particulier, de savoir à quel niveau et selon quelles
procédures s’exerceraient les droits régaliens, outre celui de « battre
monnaie ». C’est encore la capacité d’un nombre croissant
d’Européens, notamment de jeunes générations, de se sentir
concernés en tant que tels. Pour nous, le concept d’État-nation tel que
nous en avons hérité de la monarchie absolue et tel qu’il a été relayé
par la Révolution française, avant de modeler tant bien que mal
l’organisation internationale est un concept passablement éculé qui ne
répond plus aux impératifs du temps. Du moins, si nous voulons nous
tourner vers l’avenir, comme nous le prétendons et, pour ce faire,
cesser de prendre des vessies pour des lanternes.