La réforme des collectivités locales : entre électoralisme et recentralisation

, par Bertrand RULLIER, Karine MARTIN

Ces textes sont extrêmement importants pour la démocratie en France. Cette réforme, si elle est adoptée, modifiera en profondeur les équilibres territoriaux, sans pour autant apporter d’instruments nouveaux pour renforcer l’efficacité de leur action, et ce, au moment même où les collectivités locales sont fortement sollicitées comme amortisseurs des effets de la crise pour améliorer la vie quotidienne des Français et agir à tous les niveaux pour le développement des territoires.
La création des conseillers territoriaux est le principal objectif de la réforme. Au prétexte de réduire le nombre d’élus locaux, cette mesure ne parvient pas à masquer le but réel de cette « réforme » : regagner du terrain sur la gauche lors des prochains scrutins locaux. Elle institutionnalise un cumul des mandats déraisonnable ; elle rend plus opaque la prise de décision politique. Le dispositif proposé par le Gouvernement, notamment en ce qui concerne le mode de scrutin mixte, nouveauté absolue en France, reste extrêmement obscur. Du reste, la constitutionnalité de cette invention reste à vérifier et le Gouvernement serait bien inspiré de communiquer dans le débat parlementaire, comme il est libre de le faire, l’avis que le Conseil d’Etat a rendu sur le projet : la libre administration du département d’une part, de la région d’autre part, est clairement en cause alors qu’il s’agit d’un principe constitutionnel encore renforcé par la révision constitutionnelle de 2003.

Par delà ce premier volet, le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, en retrait par rapport aux discours très volontaristes du chef de l’Etat de l’automne dernier, reporte à un texte ultérieur le règlement de la question de la clarification des compétences, alors même que le Gouvernement multiplie les effets d’annonce sur la suppression de la clause générale de compétence, censée conduire à une simplification du paysage institutionnel. Ainsi, le Gouvernement laisse-t-il de côté les vrais sujets qui devront nécessairement être traités au profit d’une opération politique qui doit être combattue.
Deux autres volets de la réforme territoriale soulignent, par ailleurs, l’inspiration très recentralisatrice de la réforme proposée par le gouvernement :

  • le volet fiscal, et, notamment les mesures relatives à la suppression de la taxe professionnelle, portées par le projet de loi de finances initiale pour 2010 marquent la volonté du gouvernement d’affaiblir durablement les contre-pouvoirs locaux (de gauche comme de droite) en les asphyxiant financièrement et en recentralisant la prise de décision financière à Bercy ;
  • le projet de loi sur le Grand Paris enfin achève de marquer cette volonté de l’Etat de reprendre la main sur l’aménagement et la gouvernance du territoire francilien. Il confie à un nouvel établissement public majoritairement contrôlé par l’Etat, la Société du Grand Paris, la réalisation d’un métro automatique permettant, en principe, de mieux mailler le territoire francilien ou de relier entre eux certains pôles, ainsi que l’aménagement des quartiers entourant les futures stations. Les élus franciliens, pourtant désignés par le suffrage universel, perdent ici une compétence importante pour la cohérence du développement du territoire francilien.

A rebours d’un mouvement continu qui, depuis 1982, vise à accroître la décentralisation pour une meilleure efficacité des services publics, exercés à un niveau plus proche des usagers, cette réforme marque une réelle volonté de recentralisation du pouvoir : il s’agit, au final, d’une réforme dépourvue de toute ambition réformatrice réelle, qui vise uniquement à affaiblir durablement non seulement la gauche, mais également, plus largement, l’ensemble des pouvoirs locaux.

Préparée dans l’opacité la plus complète soit par Bercy (taxe professionnelle), soit par le Ministère de l’Intérieur sans jamais associer les élus locaux, leurs associations et le public, malgré les assurances sur la « recherche du consensus » et la « nécessaire concertation » (Michèle Alliot-Marie, alors Ministre de l’Intérieur, Le Monde, 26 mars 2009), cette réforme se résumera à une piteuse nouvelle manœuvre électorale, après un redécoupage contestable des circonscriptions législatives.

P.-S.

Bertrand RULLIER et Karine MARTIN
Responsables du dossier de TERRA NOVA

Les deux premiers paragraphes, n’ayant plus d’actualité après les élections régionales ont été retirés.

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