Démocratiser l’Europe : pour une approche fédéraliste

, par Pierre Jouvenat

La relance du projet européen, la refondation de l’Europe, la démocratie européenne sont à l’ordre du jour. Alors qu’il existe un consensus sur le besoin de donner ou redonner au citoyen l’envie d’Europe, les propositions allant dans ce sens sont nombreuses et souvent divergentes. Faut-il mieux définir les priorités de l’Union pour apporter de vraies réponses aux préoccupations des citoyens ? Rendre aussi son fonctionnement plus lisible, ses décisions plus transparentes ? Faut-il réformer les institutions, voire en créer de nouvelles, plus démocratiques ? Tout nouveau processus de refondation doit-il associer directement les citoyens ? Sans doute tout cela à la fois, mais pas n’importe comment. Et surtout, il faut aller plus loin si l’on veut créer les conditions d’un nouvel acte fondateur.

Quelles institutions démocratiques ?

La question des institutions n’est certes pas la plus importante. On ne peut pas l’éluder pour autant, contrairement à ce que pensent certains faux européistes qui jugent suffisant le recentrage sur des objectifs prioritaires. Car pense-t-on vraiment faire avancer l’Europe sans se départir enfin de la méthode intergouvernementale ? C’est aussi le débat institutionnel qui est aujourd’hui le plus médiatisé, notamment suite au « Projet pour un traité de démocratisation de la gouvernance de la zone euro » (T-Dem) [1], initié par l’économiste Thomas Piketty.

Les nombreuses questions de fond que soulève cette question de la gouvernance de la zone euro, nous oblige à nous y attarder quelque peu. Car elle est centrée sur la création d’une nouvelle Assemblée composée, pour l’essentiel, de représentants des parlements nationaux.

La résistance souverainiste et la réponse fédéraliste

Les promoteurs du T-Dem rejoignent ainsi les souverainistes qui ironisent sur le « grand soir fédéral » et considèrent que seule une plus grande implication des parlements nationaux est à même de donner aux institutions européennes une légitimité démocratique. Les fédéralistes, pourtant bien conscients du caractère sui generis de la construction européenne, ne sauraient admettre pour autant toute dérogation au principe selon lequel les parlements nationaux contrôlent les gouvernements nationaux, y compris dans leur fonction de représentation au niveau de l’Union, et le Parlement européen contrôle l’exécutif européen. Dans une fédération, les institutions non seulement se juxtaposent en respectant la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, mais elles se superposent aussi dans le strict respect des compétences respectives de la fédération et des entités fédérées. Ainsi, si les entités fédérées participent bien directement à l’élaboration et aux révisions du pacte fédéral, notamment pour l’attribution des compétences, elles ne participent ensuite qu’indirectement à la formation de la volonté de l’Union par le biais de leurs représentants dans l’organisation fédérale. Évoquant les députés européens, Paul Magnette, rare soutien du T-Dem hors de France, avait pourtant relevé que ceux-ci, élus sur une base nationale, sont peu enclins à agir dans une logique européenne [2]. Pourquoi en serait-il autrement des élus nationaux ? Une révision en 2002 de l’Acte électoral européen a rendu incompatible le mandat de parlementaire européen avec celui de parlementaire national. Le T-Dem représenterait un considérable retour en arrière.

Le Traité de Lisbonne fait une large place aux parlements nationaux. En matière législative, ils jouissent de nombreuses prérogatives consultatives, dont ils usent abondamment y compris à travers leur coopération interparlementaire (COSAC). Surtout, ils disposent d’un pouvoir effectif et incontesté de contrôler le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité par la procédure dite du carton orange. Parmi les nombreuses prérogatives relatives à la gouvernance, chaque parlement national peut s’opposer à une modification des politiques internes introduite selon la procédure simplifiée de révision des Traités et dispose d’un droit d’opposition en cas d’utilisation de la « clause passerelle » pour passer de l’unanimité à la majorité qualifiée. On peut bien sûr aller encore plus loin, à condition de ne pas nuire au respect des compétences respectives. Ainsi, le Parlement européen a proposé de donner aux parlements nationaux un carton vert consistant en un droit d’initiative en matière de législation européenne. Mais les parlements nationaux ne peuvent en aucun cas avoir la faculté de statuer en dernier ressort, comme le suggère le T-Dem. Ce serait une véritable déconstruction européenne.

La vraie méthode communautaire

Les fédéralistes soutiennent les trois résolutions sur le futur de l’Union européenne (UE) adoptées le 16 février 2017 par le Parlement européen, celle basée sur le rapport de Guy Verhofstadt étant la plus ambitieuse. Elles recouvrent tous les objectifs du T-Dem, mais proposent, en matière institutionnelle, une simplification et une plus grande efficience des institutions actuelles plutôt qu’une complexification du système.

En résumé, il est proposé de :

  • (1) renforcer le rôle du Parlement (droit d’initiative législative, notamment),
  • (2) réformer le Conseil (en faire un « Conseil des États » dont l’organisation et la composition serait simplifiée, les actuelles configurations législatives spécialisées devenant les instances préparatoires d’un Conseil législatif unique intégrant le Conseil européen et l’Eurogroupe) et
  • (3) transformer la Commission en véritable gouvernement européen (taille réduite, poste de Ministre des Finances).

Tout cela dans un souci d’optimisation, dans le contexte particulier de l’intégration européenne, de l’équilibre traditionnel et longuement éprouvé du système bicaméral par lequel une chambre basse et une chambre haute co-légifèrent et contrôlent le pouvoir exécutif. Il est aussi proposé, comme le font la plupart des observateurs, que le Parlement se réunisse en « formation euro » pour traiter des questions spécifiques à la zone euro. Pour le Conseil, l’accent est mis non seulement sur la transparence du processus décisionnel, mais aussi sur la préférence qui doit être donnée à la « méthode communautaire » en ayant davantage recours à la « clause passerelle » qui permet de remplacer l’unanimité par la majorité qualifiée.

Les fédéralistes auraient souhaité aller plus loin concernant la chambre haute. Le Rapport Verhofstadt, sans attendre le T-Dem, a proposé qu’il soit composé de représentants des parlements nationaux ou des gouvernements, ou une combinaison des deux. Logique, s’agissant de la chambre haute. Mais comme ceux-ci auraient vraisemblablement un mandat impératif susceptible de perpétuer une forme d’intergouvernementalisme, nous préférons un véritable sénat composé d’élus ayant un mandat représentatif. Ceci afin de le rendre encore plus démocratique et de s’assurer qu’il exerce ses responsabilités dans l’intérêt général européen. Sans nécessairement envisager des élections au suffrage universel direct, comme c’est le cas notamment aux États-Unis et en Suisse, les sénateurs pourraient être élus par les parlements nationaux, ou par des conseils régionaux afin de concrétiser la dimension régionale de l’intégration européenne. Quel que soit le mode choisi, afin de respecter la séparation des pouvoirs européens et nationaux, il est essentiel d’éviter tout cumul de mandats.

La méthode communautaire n’empêche pas le recours à des mécanismes additionnels propres aux relations interétatiques. Il s’agit alors, dans une fédération, d’assurer un minimum de coordination et d’harmonisation dans les domaines relevant de la compétence exclusive des entités fédérées. C’est la dimension horizontale du fédéralisme. Elle doit cependant être totalement séparée des institutions fédérales [3].

Aller au-delà du débat institutionnel

Dans les trois résolutions précitées, le Parlement européen a surtout insisté sur la nécessité d’accroître les compétences de l’Union. Le débat institutionnel à lui seul est vide de substance. Réformer les institutions sans reconsidérer les compétences respectives n’aurait aucun sens. À quoi servirait la création d’un poste de ministre des Finances si son titulaire ne devait pas avoir plus d’autorité que l’actuel commissaire aux affaires économiques et monétaires ?

Transfert de souveraineté et démocratie

La question de la répartition et du juste équilibre des compétences entre l’Union et les États membres est donc tout aussi importante, sinon plus, que les institutions. En matière budgétaire et financière, Michel Aglietta et Nicolas Leron ont récemment démontré [4] que la gouvernance par les règles de l’UE a pour conséquence de limiter le champ d’action de la puissance publique nationale, sans qu’il existe pour autant une puissance publique européenne qui permettrait de mettre en œuvre des politiques mues par l’intérêt général européen. Par ailleurs, l’introduction de la monnaie unique a provoqué une rupture du lien organique entre le souverain national et la monnaie, alors qu’en raison de l’incomplétude de l’euro les institutions européennes sont incapables de mener les politiques macro-économiques qui s’imposent.

Il s’agit donc d’instaurer une « double démocratie » résultant de la dualité entre :

  • (1) une Europe dotée de sa propre capacité budgétaire, exercée sous le contrôle démocratique du Parlement européen, et
  • (2) le niveau démocratique des États membres qui recouvrent leur capacité budgétaire sous contrôle des parlements nationaux.

Le Parlement européen a proposé notamment de doter la zone euro d’une capacité budgétaire alimentée par des ressources propres, d’adopter un « code convergence » dans le cadre de la procédure législative ordinaire, d’intégrer le pacte budgétaire (TSCG) et le Mécanisme européen de stabilité dans le cadre juridique de l’Union, de créer un Trésor européen ayant la capacité d’emprunter et un mécanisme de prêteur en dernier ressort, ainsi que beaucoup d’autres mesures destinées à renforcer la gouvernance de la zone euro et de faire de celle-ci une zone monétaire optimale.

Plus généralement, l’Union doit être dotée de compétences nouvelles dans tous les domaines nécessitant une action communautaire : politiques sociales, immigration, sécurité, politique énergétique, protection de l’environnement… De tels transferts de compétences n’iront pas de soi. À supposer que grâce à l’impulsion de quelques chefs d’État et de gouvernement il soit désormais concevable de parvenir à un accord pour une révision des traités, il faut compter avec les inévitables recours auprès des cours constitutionnelles. La Bundesverfassungsgericht, la plus influente, a statué que l’Union, organisation internationale, ne dispose pas de la source de la légitimité : « tant qu’aucun peuple européen unifié… ne pourra exprimer une volonté majoritaire par des voies politiques effectives, tenant compte de l’égalité dans le contexte de la fondation d’un État européen fédéral, les peuples de l’Union, constitués dans les États membres demeurent les titulaires exclusifs de l’autorité publique ». Ainsi, s’agissant de la kompetenz kompetenz, seul le pouvoir constitutif lui-même, à savoir le peuple, pourrait prendre la décision d’une adhésion de l’Allemagne à un possible État fédéral européen. Il n’est donc aucun transfert de souveraineté possible sans légitimité démocratique.

La question cruciale du dèmos européen

« Si aujourd’hui nous devions établir un inventaire de notre propriété intellectuelle, nous constaterions que la grande partie de celle-ci ne provient pas de nos patries respectives, mais de notre héritage européen commun. Chez chacun de nous, l’influence européenne est bien plus grande que l’influence allemande, espagnole ou française : … quatre cinquièmes de nos ressources intérieures relèvent de la propriété européenne commune. » ( José Ortega y Gasset)

Et pourtant, l’inexistence ou même l’impossibilité d’un peuple européen est régulièrement évoquée pour s’opposer à toute évolution de l’Union vers un État fédéral. Ainsi, Paul Magnette s’est toujours montré réservé face au « mimétisme institutionnel » consistant à singer le parlementarisme national ou les modèles fédéralistes historiques ; en l’absence d’un peuple européen, nous avait-il dit, le régime parlementaire de l’Union ne peut être qu’une « écorce juridique » [5]. Pour justifier son appui au T-Dem, il a évoqué la nécessaire « socialisation transnationale » des enjeux européens. C’est toute la problématique de l’appropriation, au niveau territorial, des décisions prises au niveau européen. Là où elles sont effectivement mises en œuvre, où elles déploient tous leurs effets : les décisions budgétaires et financières de l’Union engageront les contribuables nationaux. Cependant, plutôt que de perpétuer la confusion entre compétences européennes et nationales, il vaut mieux établir les bases sociales qui manquent encore à la création d’une communauté politique européenne.

Lorsqu’on évoque l’incompréhension ou le désamour du citoyen à l’égard du projet européen, on se réfère généralement au « déficit démocratique » des institutions. Mais démocratiser les institutions ne suffit pas. Jean Monnet avait l’ambition drunir non seulement des États mais surtout des hommes. Ainsi, l’appropriation par les citoyens des décisions prises au niveau européen nécessite avant tout le sentiment d’appartenance à une destinée commune, l’existence d’un dèmos européen.

C’est là le cœur du problème, et le principal point de désaccord entre eurosceptiques et fédéralistes. Les premiers, fortement imprégnés des identités nationales, ne croient pas à la confiance mutuelle et la solidarité des Européens, à une possible « loyauté » à l’égard de l’Union. Les seconds, avec Jürgen Habermas, croient possible l’émergence d’une société civile européenne par le prolongement des processus qui ont construit les consciences nationales, pour une conception post-nationale de la citoyenneté.

Traitant de la démocratie, Dominique Rousseau fait la distinction entre le peuple « corps social » et le peuple « corps politique ». Cela caractérise bien l’UE d’aujourd’hui. Le peuple corps social existe du fait de la multiplication des échanges. Par contre, le peuple corps politique reste à créer, celui qui permet de créer un lien entre le citoyen et les institutions de l’Union. De fait, un peuple se construit au fil du temps lorsque ses diverses composantes sont confrontées ensemble et de manière répétée aux problématiques communes, par une bonne information, par le débat politique, par toutes les formes possibles d’expression de la volonté populaire, développant ainsi des liens de solidarité.

Un statu quo insatisfaisant

On en est encore bien loin. À ce jour, L’Initiative citoyenne européenne (ICE) prévue par les traités en est encore à ses balbutiements. Elle est imparfaite, peu d’initiatives aboutissent. Le droit de pétition au Parlement européen, plus ancien, est davantage utilisé, mais ses résultats sont incertains et limités. Ainsi, pour l’essentiel, l’expression populaire européenne s’exerce au travers des seules élections au Parlement. Or, ces élections n’ont pas réussi jusqu’à présent à établir un lien électoral entre citoyens européens et les politiques au niveau européen. Elles sont considérées par les États membres comme étant de « second ordre » et les partis politiques nationaux les instrumentalisent pour des considérations de politique nationale. L’européanisation de ces élections demeure une sérieuse préoccupation.

De plus, le citoyen manifeste une défiance à l’égard des partis. La démocratie représentative est elle-même remise en question. Il est ainsi inutile de transposer au niveau européen ce qui ne fonctionne pas au niveau national. D’où la nécessité de remettre le citoyen au centre du débat politique, condition indispensable à la refondation de l’Europe.

Vers un mouvement citoyen

Il importe aujourd’hui de créer les conditions d’un véritable acte fondateur, d’un « moment hamiltonien ». Nous sommes actuellement dans un contexte très favorable pour cela. Le discours récent, tant dans les milieux politiques qu’au sein de la société civile, montre qu’un consensus se dessine pour impliquer les citoyens dans toute nouvelle initiative de refondation de l’Union. L’intention est de légitimer ex ante le processus, plutôt que de chercher à obtenir ex post un blanc-seing populaire au produit d’une réflexion aristocratique, comme ce fut le cas en 2005. Ainsi, les propositions de « conventions citoyennes » se multiplient, mais encore faut-il ne pas se tromper sur la démarche.

La proposition la plus « officielle », celle du président français, suscite nombre d’interrogations. Va-t-on associer à la consultation toutes les catégories socio-professionnelles représentatives ? Va-t-on organiser un vrai débat, quelle en sera l’ampleur, la durée et la portée ? Quelles seront les questions mises sur la table et comment seront-elles posées ? Pourra-t-on obtenir que ces conventions aient lieu dans tous les États de l’Union ? Veillera-t-on à ce que les résultats soient comparables, que l’on puisse dégager des points de convergence ou de divergence ? Et surtout, quelle est la finalité ? S’il s’agit seulement de fournir aux gouvernements des éléments d’une feuille de route à nouveau établie derrière des portes closes, selon le plus petit dénominateur commun, cela éloignera encore davantage les citoyens du projet européen.

Non seulement de telles conventions démocratiques doivent suivre une méthodologie rigoureuse et uniforme à l’échelle de l’Union, mais elles doivent nécessairement déboucher sur un processus constituant. L’Europe doit se construire avec et par ses peuples, le pouvoir constituant appartenant aux citoyens doublement, en tant que citoyens d’Europe et en tant que citoyens des États membres. Yánis Varoufákis déclarait récemment : « La création d’un peuple, d’un demos se réalise au travers de l’action collective. Si les Européens se mettent autour de la table pour rédiger une constitution démocratique commune, c’est au travers de ce processus qu’un peuple européen pourra se constituer ». Une conscience d’appartenance ne se décrète pas.

C’est ainsi que d’autres voix préconisent une approche indépendante des gouvernements. La plus « révolutionnaire » est celle portée par Bernard Barthalay, fédéraliste de la première heure et initiateur du Manifeste continental de Puissance Europe [6]. Il propose un travail pré-constituant de type participatif impliquant les citoyens au niveau des villes et tous les acteurs de la société civile, devant aboutir à un « pacte civique européen ». Ce processus, conçu et entièrement réalisé à partir du bas, en dehors du cadre institutionnel établi afin de créer les outils d’une représentativité parallèle, sous leadership collectif, devrait créer une dynamique suffisamment puissante pour s’imposer aux gouvernements. C’est ambitieux mais sans doute la seule manière d’aboutir à une constitution politique dont la légitimité démocratique sera incontestée.

La supériorité de la fédération

« La souveraineté est-elle comme la propriété, à laquelle on ne peut renoncer sans que quelqu’un d’autre ne l’acquière ? Ou est-elle plutôt comme la virginité, une chose qui peut être perdue par quelqu’un sans que quelqu’un d’autre ne doive l’acquérir pour autant – et dont la perte dans les circonstances appropriées peut même constituer un motif de réjouissance ? » (Neil MacCormick)

Ce qui ne soulève aucun doute est bien l’inéluctabilité, pour l’Europe, de s’organiser sous la forme d’une fédération.

Nombre d’européistes, invoquant l’hétérogénéité politique de l’Europe, considèrent, sous couvert de réalisme, comme seule possible la voie fonctionnaliste jusqu’ici poursuivie, faite de compromis et d’équilibres diplomatiques. Elle serait même souhaitable. L’ambiguïté qui en résulte aurait, selon Paul Magnette, un certain charme. Ces Européens, que l’on peut au mieux qualifier de peu courageux, plaident donc pour un intergouvernementalisme amélioré. La proposition T-Dem est dans cette ligne.

Les fédéralistes considèrent au contraire que l’intergouvernementalisme ne peut être que la somme des égoïsmes nationaux. De toutes les formes de coopération interétatique, la fédération s’avère la plus équilibrée et aussi la plus durable, car elle résulte la conjonction de la volonté des États et de la volonté du peuple, à travers son système bicaméral, de poursuivre un idéal commun. La devise de la fédération est « union dans la diversité ». Tout le contraire d’un État unitaire. La fédération n’existe pas par elle-même, elle est l’émanation des entités fédérées. Sans elles, elle disparaît. La fédération n’est donc en aucun cas un super-État qui les absorberait, ce que prétendent ses détracteurs. La création d’une véritable autorité supranationale, munie des pouvoirs de décision et d’exécution, n’est nécessaire que pour affronter efficacement les défis communs. Ceci dans le respect de l’individualité et de l’autonomie constitutionnelle des entités fédérées, qui ne peut être limitée que pour se conformer aux objectifs et principes fondamentaux de la fédération. Il y a partage de souveraineté pour une vraie souveraineté de la fédération dans son ensemble. Tout transfert de souveraineté est librement consenti. Ensuite, les règles communes s’imposent bien sûr à tous. La démocratie est au cœur du fédéralisme, et le vote majoritaire, aux échelons respectifs, est un principe essentiel de la démocratie. Aucune minorité ne peut dicter sa loi.

Le fédéralisme consacre la suprématie du droit, alors que les autres formes de coopération lui préfèrent le politique. Michel Mouskhely , dans ses réflexions sur une fédération européenne, nous disait en 1964 déjà que « quand tout va bien, les États acceptent sans rechigner les initiatives statutaires des organes communautaires. Mais que les difficultés surgissent, qu’elles mettent en cause les intérêts supérieurs des États, la force reprend son empire et le droit s’incline devant le politique ».

L’Europe sera fédérale ou ne sera pas !

P.-S.

Pierre Jouvenat est membre du Comité directeur de l’UEF Auvergne Rhône-Alpes (74)

Notes

[2Paul Magnette, Le régime politique de l’Union européenne, SciencesPo Les Presses, 2017 [4e éd.].

[3On peut citer l’exemple des conférences intergouvernementales permanentes (CIGP) qui existent en Allemagne et en Suisse. Les plus connues sont la Conférence des ministres de l’éducation et de la culture (KMK, Allemagne) et la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP, Suisse), qui à travers des « Staatsverträge » ou « concordats » définissent soit des actes contraignants, soit des directives ou recommandations.

[4Michel Aglietta et Nicolas Leron, La Double Démocratie – Une Europe politique pour la croissance, Seuil, janvier 2017.

[5Paul Magnette, Au nom des peuples – Le malentendu constitutionnel européen, Les Editions du Cerf, 2006.

[6Le manifeste continental, http://manifeste-continental.eu/fr/

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