Le festival du film de Douarnenez 2017 et les frontières

, par Gilles Lemée

Pas question ici d’une description « journalistique », mais plutôt d’un ensemble d’impressions, d’émotions, de réflexion, qui « restent quand on a tout oublié » !
Du 18 au 26 aout s’est tenu le quarantième « Festival du film de Douarnenez ».
« Kézako » ? Peut-on se demander en reprenant le titre du petit journal quotidien (« à prix libre » !) diffusé sur place.

Depuis sa création en 1978, le Festival (il n’est pas question ici d’en faire l’historique !) s’interroge sur le monde tel qu’il est, tel qu’il va ou essaie d’aller. Par-delà les aléas liés à toute histoire vivante, de chair et de sang, le maitre mot du Festival, de ses créateurs et animateurs successifs a été de relier, de faire « vivre ensemble », bien avant que l’expression ne soit dans l’air du temps, comme un témoignage en creux de la difficulté ainsi révélée…

Pour cette quarantième édition, le thème retenu – ô combien d’actualité – était celui de « Frontière ». L’idée étant de questionner cette notion au cœur des interrogations, débats, voire querelles et empoignades actuelles.

La Frontière : limite arbitraire (mais néanmoins construite !), mur (de plus en plus nombreux), couperet tranchant le vif des vécus – collectifs, individuels, historiques, culturels, ethniques, religieux…), zone de détresses multiples et tragiques. Mais aussi zone d’échanges qu’il convient d’investir, lieux du mélange, du croisement (dans toutes les acceptions du mot !), du métissage, de l’enrichissement mutuel. Il s’agit de questionner l’individualité. D’où l’évidence naturelle proclamée haut et fort du « Gouel ar filmou » (festival du cinéma) dit et vécu en breton : revendication d’une identité vivante comme enrichissement d’un pluriel sans frontières…
Alors, le breton – comme langue et comme vécu – est non pas simplement ouverture, mais consubstantialité avec la palestinienne (lumineuse présence de Leïla Shahid…), ou la djiboutienne Sabreen Al’Rassace, réfugiée politique en France et co-fondatrice du Groupe « Lesbiennes of color ».

Impossible (ce serait injuste !) de les citer toutes et tous (il y en eu 84 !), témoins, intervenant-e-s, venu-e-s d’Irak, de Guyanne, des Balkans… Qui sont-ils /elles ? Inconnu-e-s fuyant un enfer, spécialistes « reconnu-e-s » (psychiatres, anthropologues, ethnologues ou autres universitaires, syndicalistes, militant-e-s d’ONG…). « Races » diverses ? Qui le voit ? « Genres » divers ? Assurément. Diversité : LGBTQI, sourds… témoignent. Douloureusement. Chaleureusement. Une certitude au moins : on est toutes et tous le/la breton-ne noir-e homosexuel-le de quelqu’un !

Interrogations, débats, discussions, conférences se succèdent à rythme soutenu, appuyés sur une programmation cinématographique d’importance (quelques dizaines de films dans quatre cinémas de la ville, loin des paillettes et du star-système !) : palestiniens, mexicains, bretons, belges, uruguayens, turcs, tchèques, marocains, Stop : la liste est sans fin ! « No border » !!!

Outre les cinémas de la ville, se trouve dans l’action aussi (entre autres) la MJC où chaque matin à 10 heures se tient une « Palabre » à l’intitulé riche d’échanges : « Roya citoyenne » ou « Le Maroni, frontière symbolique ». Par exemple. Le public peut y débattre avec des réalisateurs, des acteurs de la vie sociale, des migrants évoquant leurs pérégrinations (souvent dramatiques) à travers l’Afrique, l’Asie, l’Europe. Chaque soir à 18 heures, sous le chapiteau dressé pour la semaine au cœur de la ville, quelques centaines de personnes se retrouvent pour « le Débat » du jour, citons (au hasard !) : « Agir ! Hospitalité et solidarité » avec SOS Méditerranée et Roya Citoyenne, ou bien « Mexique-USA : quelles résistances et imaginaires à la frontière ».

Et nous n’avons rien dit des expositions diverses qui émaillent la ville. Un exemple : les œuvres de Zehra Dogan, journaliste et artiste kurde emprisonnée en Turquie, proposée par l’association Kedistan… A moins que vous ne préfériez-vous informer (et, encore et toujours, discuter !) au stand d’une des ONG invitées à exposer ses luttes et ses espoirs au village « autogéré », face au chapiteau, comme le fit, parmi bien d’autres « Amitiés Kurdes de Bretagne qui anima même un « stage de formation » de deux jour sur « la question kurde »…

Au préalable, il va sans dire que vous êtes passés à la librairie du festival faire provision de livres introuvables ailleurs !

Un coup de fatigue – ou de blues ! - une rencontre, une discussion à terminer ? Rendez-vous au bar, les bières bretonnes ne font pas défaut ! Histoire de retrouver la forme pour le fest-noz où le concert du soir… Et rendez-vous demain, à 10 heures, pour la « Palabre » du jour !

Et vous ? Eh bien : rendez-vous, au mois d’aout 2018. À Douarnenez, pour la quarante et unième édition du « Gouel ar filmou » !