Prévention et gestion des conflits armés : le rôle des femmes dans la mise en œuvre de la Responsabilité de protéger

, par Jelena Pia-Comella

La communauté internationale est encore aujourd’hui mise à l’épreuve, non seulement par son échec dans la prévention des conflits armés mais aussi parce qu’elle parvient difficilement à les gérer de manière rapide et efficace. Les crises actuelles au Burundi, en Syrie et au Yémen, pour ne citer qu’elles, soulignent le besoin d’un leadership et d’un engagement renouvelé mettant l’accent sur la prévention.

Un grand nombre de traités et de normes sont à disposition de la communauté internationale afin qu’elle puisse gérer les causes profondes des conflits armés et ainsi prévenir leur résurgence. En 2015, les Nations unies ont tenu des examens de haut-niveau concernant son Architecture de consolidation de la paix, sur ses opérations de maintien de la paix et leur mise en œuvre pour les femmes ainsi que sur l’Agenda pour la paix et la sécurité. Ces examens ont donné lieu à trois rapports qui ont posé une base qui permettra de renouveler les efforts dans la prévention des conflits armés, y compris la prévention des crimes puni par le Statut de Rome (de la Cour pénale internationale (CPI, ndlr) – crime de guerre, crime contre l’humanité et crime de génocide.

Ces examens ont fait le lien entre la mise en œuvre de la norme relative à la Responsabilité de protéger (RdeP), l’inclusion des femmes dans la construction et le maintien de la paix, la ratification et la mise en œuvre du Statut de Rome de la CPI comme des outils permettant de prévenir la survenance des conflits armés et favorisant l’assurance d’une paix durable.

Les rapports ont aussi mis en lumière que les violations systématiques des droits de l’Homme, en particulier les violations des droits des femmes, ainsi que l’impunité qui prévaut actuellement concernant les situations d’atrocités de masse, comptent parmi les causes profondes de la survenance et de la récurrence des conflits armés. Plus encore, les rapports nous rappellent que la participation des femmes constitue une dimension essentielle à l’élargissement du caractère inclusif du maintien de la paix et que les négociations et accords de paix conduits localement et qui incluent la société civile, dont les femmes, ont au moins 50% de chances supplémentaires de réussite.

La responsabilité de protéger offre un éventail de mesures permettant de renforcer la souveraineté nationale et de prévenir les situations d’atrocité de masse. La responsabilité de protéger est aujourd’hui entendue comme composée de trois piliers :

  • la responsabilité qu’ont les États de protéger leur population contre les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide ;
  • la responsabilité qui incombe à la communauté internationale d’encourager et d’assister les États pour qu’ils remplissent cet objectif ;
  • que, si un État fait défaut à son obligation de protéger sa population, la communauté internationale doit être prête à prendre une action collective appropriée, ce en temps opportun et de manière décisive ; une réaction résolue en temps voulu tout en respectant la Charte des Nations unies.

La mise en œuvre de la responsabilité de protéger est plus que jamais nécessaire si la communauté internationale est réellement déterminée à prévenir la survenance d’ultérieures atrocités de masse, et ce de manière définitive. S’assurer que des considérations relatives à la responsabilité et aux questions liées au genre sont effectivement prises en compte par les normes régissant la responsabilité de protéger permettra de prévenir les causes profondes résultant à la commission d’atrocités de masse, renforçant ainsi les efforts de prévention que la responsabilité de protéger entreprend. À travers la prévention de la discrimination et de la violation des droits des femmes, les parties prenantes, au niveau national, agissent en faveur de la prévention de la résurgence des situations d’atrocité de masse.

Plus encore, faire le lien entre la responsabilité de protéger et l’Agenda Femmes, paix et sécurité renforce la capacité de la communauté internationale d’assister les États mettant en œuvre leur responsabilité de protéger en vertu du second pilier.
La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), qui a donné lieu à l’Agenda Femmes, paix et sécurité, a été une décision historique de sorte qu’elle a, pour la première fois, envisagé les questions de genre en matière de paix et de sécurité. Elle a non seulement reconnu que les femmes et les filles sont affectées de manière disproportionnées par les conflits armés, mais aussi qu’elles sont sous-représentées dans les processus formels de construction et de maintien de la paix. Garantir les droits des femmes et leur participation à la paix et à la sécurité est essentiel pour que la communauté internationale puisse promouvoir efficacement les droits de l’Homme et le droit humanitaire et pour renforcer les législations et institutions nationales en matière de prévention des atrocités de masse. D’ultérieures résolutions du CSNU, les résolutions 1820 et 1960, sont allées plus loin en reconnaissant les violences sexuelles comme arme de guerre et que combattre l’impunité de ces crimes est essentiel au maintien d’une justice non discriminatoire et d’une paix durable. Ces résolutions imposent un nouveau standard au multilatéralisme en reconnaissant non seulement le rôle crucial que jouent les femmes dans la prévention des situations d’atrocité de masse, mais aussi en faisant le lien entre la paix, la sécurité et la responsabilité.

Le Statut de Rome de la CPI est le premier et, jusqu’à aujourd’hui, le seul traité international qui incrimine et définit explicitement les violences sexuelles comme crimes contre l’humanité (Article 7 [1] g) ; crimes de guerre (Article 8 [2] a (xxii)) et, dans une certaine mesure, crime de génocide (Article [6] d). De cette façon, le Statut de Rome permet aux victimes de se prévaloir d’un accès à la justice lorsqu’elles sont victimes des crimes les plus gravement condamnés par le droit international, mais fixe aussi un nouveau standard pour les législations et systèmes juridiques nationaux.

Le Statut de Rome reconnaît le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution sous la contrainte, la grossesse forcée et la stérilisation forcée comme crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Ce faisant, il rend le combat contre l’impunité plus efficace de trois façons : 1 / en codifiant – cristallisant – ces crimes ; 2 / en assurant aux victimes protection, droit de participation et réparation par leur participation à la procédure de la Cour ; et 3 / en affirmant que ces atrocités sont effectivement des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité – et non de simples actes collatéraux inévitables en situation de conflit. Avec ces dispositions révolutionnaires, l’assurance que la voix des femmes, souvent négligée lors des poursuites judiciaires, puisse enfin être entendue dans les tribunaux à travers le monde est d’autant plus forte.

La Coalition internationale pour la Responsabilité de protéger (ICRtoP en anglais), qui est un réseau d’acteurs mondiaux de la société civile, travaille en partenariat avec les gouvernements, les Nations unies et autres réseaux afin de promouvoir la compréhension des normes de la responsabilité de protéger ainsi que leur support. Certaines mesures complémentaires défendues par la Coalition comprennent :

  • la coordination et le renforcement du support envers une ratification et une mise en œuvre universelle du Statut de Rome (en partenariat avec sa coalition sœur, la Coalition pour la Cour pénale internationale, CICC en anglais) ;
  • l’assurance que les Plans d’action nationaux de la résolution 1325 du CSNU prennent en compte les quatre piliers : les femmes, la paix et la sécurité – prévention, protection, participation, et l’aide d’urgence et relèvement de façon holiste ;
  • l’assurance que les mécanismes d’alerte précoce soient mis en œuvre localement et incluent les positions et droits des femmes ;
  • la coordination et le renforcement du support pour la ratification et la mise en œuvre universelles de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ;
  • effectuer des campagnes de sensibilisation sur la justice pour les femmes et reconnaître que les violences sexuelles ne sont pas des actes collatéraux aux conflits armés mais des crimes de guerre ;
  • consolider les méthodes de travail du Conseil de sécurité des Nations unies afin qu’elles soient plus consistantes et cohérentes dans la gestion et la prévention des atrocités de masse ;
  • intégrer la résolution 1325 et la responsabilité de protéger à toutes les décisions et résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies

P.-S.

Jelena Pia-Comella
Directrice exécutive adjointe World Federalist Movement – Institute for Global Policy Studies – New York
Article publié initialement en anglais par Mondial, publication du WFM - New York
Traduit de l’anglais par Charly Benyacar – New York