IN MEMORIAM : TERESA CAIZZI

, par Jean-Pierre Gouzy

Teresa Caizzi n’est plus. J’évoque sa mémoire au nom de ceux qui l’ont connue, mais aussi pour ceux, plus nombreux encore -notamment en France- qui n’ont pas vécu la longue saga des fédéralistes européens depuis le début de la seconde guerre mondiale aux premières années du nouveau siècle.

Teresa, fille d’une juge de l’Empire Austro-Hongrois naquit en 1911, près de Trento, dans un Sud Tyrol, longtemps conflictuel avant les accords austroitaliens qui, à partir de 1946, ont permis d’assurer une large autonomie à cette région plurielle et l’égalité des droits entre les communautés linguistiques. Sa famille fut internée en Bohême, à cause des positions philo-italiennes de son père, lors de la première guerre mondiale. Mariée à l’historien Bruno Caizzi, et anti-fasciste déclarée, elle vécut en Suisse au cours des années 1930, dans le canton du Tessin. C’est là qu’elle accueillit, en 1943, Altiero Spinelli et Ursula Hischmann fuyant l’Italie, quand Mussolini proclamait à Milan une éphémère « République sociale ».

Devenue fédéraliste, Teresa revint en Italie après la guerre. Professeur de français à Côme puis à Milan, elle s’engagea totalement dans l’action fédéraliste plus de cinquante années durant en Lombardie, ainsi qu’au niveau national et international. Son principal mérite, à mes yeux du moins, est d’avoir si longtemps su présider avec efficacité le puissant Centre régional du Mouvement fédéraliste en Italie. Respectée par les militants, redoutée par les adversaires du mouvement, « la Caizzi » fut d’abord supportrice de choc d’Altiero, lors de ses combats successifs pour la Communauté européenne de défense et la Communauté politique, mais aussi au cours de l’aventure du Congrès du Peuple européen. Elle s’est éloignée de lui quand, au début des années 1960, il se fit le champion de la « sinistration » (virage à gauche) du fédéralisme en préconisant une stratégie de « renouvellement démocratique ». Elle choisit alors de soutenir pleinement Mario Albertini, professeur à l’Université de Pavie, penseur et leader du courant « Autonomie fédéraliste ». L’opposition des thèses, entre les deux hommes, se manifestera dans toute son amplitude lors du Congrès international du M.F.E. de Lyon des 9, 10, 11 Février 1962, Albertini obtenant 307 suffrages lors de l’élection du Comité Central, tandis qu’Altiero Spinelli n’en recueillait plus que 196. Cet épisode, faut-il le dire, ne changera rien d’ailleurs au destin fulgurant de l’homme de Ventotene.

Teresa était, de son côté, une femme aux engagements tranchés. Après avoir bataillé (comme tous les fédéralistes) pour l’élection directe du Parlement européen, elle apportera son appui à Altiero quand, devenu membre du premier Parlement européen élu au suffrage universel direct, il mena son dernier grand combat en faisant adopter par celui-ci, le 14 février 1984, le projet de Traité d’Union européenne. Puis, elle s’impliqua dans l’action pour la monnaie unique, au cours des années 1990 avec la même force de conviction. Je me réjouis d’apprendre, par le truchement de Massimo Malcovati que « plus récemment, bien que ses forces ne lui permettaient plus de s’engager aussi activement qu’elle l’aurait voulu », Teresa Caïzzi continuait « à suivre avec attention et passion l’évolution et l’activité des fédéralistes, étant consciente des dangers de l’élargissement, en l’absence d’une concrète évolution vers l’objectif fédéral, elle apportait son soutien à ceux qui, fidèles à leur rôle d’avant-garde, demandent qu’un noyau d’Etats et notamment les pays fondateurs, prenne l’initiative de fonder la Fédération européenne, ouverte à tous ceux qui auraient voulu la rejoindre ». Me remémorant nos longues discussions à propos d’Alexandre Marc et Altiero Spinelli, c’est bien au souvenir de cette militante « attentive » et « passionnée » que je dédie ces quelques lignes.