La crise financière, puis la récession économique, ont été à l’origine d’une réévaluation en profondeur de l’idéologie qui, ces trente dernières années, a mérité la désignation de « pensée unique ». Le projet d’une mondialisation économique laissée à un marché auto-régulé a rapidement été mis de côté et les bonnes vieilles idées, mûries quand la catastrophe de la seconde guerre mondiale était encore bien vivante dans les esprits et la chair des hommes, sont réexaminées, mises à jour et réévaluées. La conviction se répand que la continuation du processus de la globalisation requiert la coopération internationale et des institutions supranationales. Les gens se demandent aujourd’hui « gouvernance globale ou gouvernement mondial ? ».
Même aux États-Unis, l’hostilité à l’égard des idées fédéralistes recule, même de la part de ces auteurs pour lesquels professer le « réalisme » constituait un certificat probatoire de responsabilité scientifique.
Trois récents écrits, de Campbell Craig (« The Resurgent Idea of World Government », dans Ethics & International Affairs, Volume 22, n° 2, été 2008), Thomas Weiss (« What Happened to the Idea of World Government », dans International Studies Quarterly, n° 53, pp. 253- 271, 2009) et Paul Kennedy (« The dollar’s Fate », dans The New York Times, 29 août 2009) sont représentatifs de la révision en cours. Il sera utile de revenir avec une attention méritée aux deux premiers d’entre eux, alors que nous devons faire une mention immédiate du troisième dans la mesure où Paul Kennedy, dans un article sur la chute du dollar, commente un article publié dans l’avant-dernier numéro du Federalist Debate (22° année, n°3, novembre 2009, « The World Supremacy of the Dollar at the Rendering », pp. 12-16) et approuve ses conclusions.
« … Un court instant avant de lire Aiyar, mon attention a été retenue par un article assez extraordinaire, ’La suprématie mondiale du dollar proche de la reddition (1917-2008)’ de Antonio Mosconi, brillant universitaire du Einstein Centre for International Studies (CESI). Le titre lui-même est si curieusement biblique que je voulus immédiatement savoir ce qu’il signifiait. Pour ceux qui disposent de moins de temps que les professeurs d’université, il veut dire : le dollar américain a vécu deux vies, la première comme monnaie d’un puissant pays créditeur des années 1920 aux années 1960, la deuxième comme monnaie d’un ’empire de la dette’ des années 1970 à aujourd’hui, avec beaucoup plus d’endettement international à venir, en raison simplement des ventes malheureuses de bons du Trésor chaque semaine.
Il est impossible de résumer en quelques phrases la description élégante et dévastatrice par Mosconi de l’exploitation par le gouvernement américain, sur la scène fiscale internationale, de sa capacité à faire fonctionner sa planche à billets, mais la conclusion générale est abrupte : ’cette crise n’est pas comme les autres, mais il s’agit de la dernière convulsion du rôle international du dollar’. À un moment ou à un autre, dans l’avenir, une bonne partie du monde prendra des mesures pour éviter que son destin repose sur les décisions autistes du Trésor américain et de la Federal Reserve Bank. Et c’est là que viendra la reddition.
Bien, nous verrons. Compte tenu de la nervosité des marchés mondiaux actuellement, on peut aussi bien voir une amélioration de la valeur d’échange du dollar qu’un effondrement soudain.
Dans l’ensemble, cependant, ces articles académiques ont du bon sens. Nous vivons actuellement dans un monde où un seul pays, possédant environ 5 % de la population de la terre, dispose pratiquement de 20 % de son PIB, dépense presque 50 % du total de ses dépenses militaires et imprime sans compter des billets pour un montant de 65 à 70 % des réserves mondiales de monnaie étrangère.
Si l’on croit à la « théorie de convergence » des économistes —c’est à dire le rapprochement du produit et du revenu des sociétés, des régions et des pays— alors la conclusion est claire : alors que la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, le Brésil, le Mexique et l’Indonésie rattrapent leur retard la part des Etats-Unis va relativement se réduire. Tôt ou tard —et le débat porte véritablement sur ’plus tôt’ ou ’plus tard’ pas sur ’si’— nous allons assister à un autre changement majeur dans les équilibres mondiaux du pouvoir.
Et même dans le très court terme, je suppose que je regarderais un peu plus attentivement la répartition actuelle de mes porte-feuilles, juste pour m’assurer que si je devais en venir à ’faire mes comptes’, je n’aie pas l’air affreusement démodé. Et, en tant qu’auteur international, je suis heureux de percevoir mes honoraires et mes royalties dans de nombreuses monnaies, juste pour être du bon côté ».