Le BILLET de Jean-Pierre GOUZY

L’Europe des zizanies

, par Jean-Pierre Gouzy

Les excès d’un capitalisme financier « à irresponsabilité
illimitée », après avoir ébranlé Wall Street et l’Oncle Sam, ont
atteint de plein fouet les rives passives de l’Union européenne
(UE), aux confins des années 2008/2009, bien avant qu’un plan
de sauvetage de l’économie d’Outre-Atlantique, d’un montant de
750 milliards de dollars, n’ait été adopté le 18 septembre dernier.
Les Américains n’ont pu, on le sait, que « refiler la patate
chaude » des déficits privés et souverains aux Européens qui,
après des mois de palabres et d’enlisement dans la crise, ont
finalement adopté, le 9 mai 2010, leur propre plan de sauvetage
avec 750 milliards d’euros à la clé, agrémenté d’une cascade de
tours de vis, évitant ainsi in extremis une contamination à vive
allure de la crise grecque.

L’alerte a été vive. Elle le demeure. Le spectacle qu’elle nous a
permis de découvrir, alors qu’on venait de célébrer le
soixantenaire de la déclaration fondatrice de Schuman inspirée
par Monnet, est celui que peut offrir une Europe de carton pâte
empêtrée dans ses contradictions. Nous avons vu, en particulier,
apparaître une nouvelle Allemagne décomplexée, n’hésitant plus
à mettre ses partenaires traditionnels, devant une série de faits
accomplis : introduction dans sa constitution, d’une limite à ne
pas dépasser, à partir de 2016, de ses déficits publics appréciés à
0,35 % du PIB ; annonce surprise en mai dernier, d’une décision
interdisant les ventes à terme sur les emprunts de la zone euro ;
refus opposé à la Commission de Bruxelles de réduire pour le
moment à 30 % ( et non plus à 20 %) les émissions de CO², d’ici
à 2020. Venant après le coup d’arrêt donné en 2009 par la Cour
constitutionnelle de Karlsruhe à propos d’éventuels transferts
germaniques de souveraineté, on ne peut pas ne pas constater que
l’Allemagne style Merkel, première économie et puissance
géopolitique de l’UE, n’est plus la partenaire complaisante
qu’incarnaient, à Bonn, des personnalités rhénanes comme
Adenauer et Kohl. Sans doute, comme l’a conseillé avec
gentillesse, dans une déclaration récente, Valéry Giscard
d’Estaing, « il faut retrouver l’intimité franco-allemande », mais
malgré les poignées de mains spectaculaires et les embrassades
apparemment chaleureuses, auxquelles il nous a été demandé
d’applaudir, Nicolas nous donne aujourd’hui plutôt le sentiment
d’agacer Angela. Peut-on sérieusement dire, dans ces conditions,
malgré les embrassades de circonstance que les deux leaders
incarnent l’idée de « couple franco-allemand » ?

Tout ceci ne signifie pas, du moins pas encore, que l’Allemagne
ne soit plus disponible pour l’Europe. Elle peut même prétendre
agir en poisson-pilote, puisque Sarkozy a fait savoir que la
France procéderait à son tour, pour limiter les difficultés
budgétaires, à une révision constitutionnelle comparable à celle
de sa voisine d’Outre-Rhin et que le dossier des ventes à terme
sera également traité, avec les égards dus à son rang, au niveau
communautaire. Simplement, la chancelière n’hésite plus à
« croiser le fer » avec ses partenaires quand elle exprime un
désaccord. C’est le cas à propos du « gouvernement » de la zone
euro. Non sans habileté, en effet, le président français avait pris
fait et cause pour une telle orientation. Habileté, car, d’une part, il
paraît donner raison aux partisans généralement fédéralistes du
« noyau dur », alors que, d’autre part, du moins dans son esprit
au stade actuel, un tel gouvernement ne saurait être
qu’intergouvernemental. La Commission (toujours héritière, en
principe, de la méthode Monnet) serait appelée à jouer dans cette
perspective, sans le dire expressément, le rôle d’un secrétariat
général, par ailleurs, déjà privé de toute compétence directe dans
les domaines confiés à la Haute représentante (aujourd’hui
britannique) pour la politique extérieure et de sécurité qui
disposera de surcroît, de sa propre administration. Même si,
rappelons-le au passage et pour simplifier encore les choses, la
dite Haute représentante est également Vice-présidente de la
Commission européenne.

Ainsi, s’achèverait une évolution qui a conduit à
l’institutionnalisation du Conseil européen des Chefs d’État et de
gouvernement, en échange d’un renforcement des prérogatives
du Parlement européen. Herman van Rompuy, ancien Premier
ministre du Royaume d’Albert II, et premier Président du dit
Conseil européen, paraissait ne devoir faire de l’ombre à
personne. C’était l’homme de la situation, même si des vilains
jaloux l’appelaient après sa désignation, « M. Nobody ».
A tort ! Herman Ier a multiplié les réunions du Conseil européen
dans une période difficile et pour donner de la substance à sa
nouvelle fonction « permanente », il a décidé de s’appuyer sur
une « Task force », terme quelque peu flambard, qui désigne un
groupe de travail. La Task force, puisqu’on la nomme ainsi, traite
donc avec les ministres des finances des dossiers ultra sensibles
(fonds européen, stabilisation financière, procédures budgétaires,
révision du Pacte de stabilité etc.). Or, ces dossiers sont
également de la pleine compétence de la Commission. Comme
l’a donc bien observé un correspondant du journal Le Monde à
Bruxelles, il s’en suivrait « une subtile lutte de pouvoir »… Du
coup, Barroso II a musclé certaines propositions de la
Commission, en décidant, par exemple, pour amorcer une union
budgétaire (Trichet parle même d’une « fédération budgétaire »)
de proposer aux gouvernements une sorte de droit de contrôle
européen avant qu’ils ne soumettent leurs projets de recettes et de
dépenses à l’adoption des Parlements nationaux. La question de
la « souveraineté » a été immédiatement soulevée ici et là… et
l’idée d’un « droit de regard » plus modeste aussitôt évoquée à
Bruxelles pour atténuer les préventions souverainistes.
Le Conseil européen du 17 juin a donc, quant à lui, prudemment
décidé que désormais, dans le cadre d’un « semestre européen »
les programmes de « stabilité et de convergence pour les années
suivantes seront présentés à la Commission au printemps, en
tenant compte des procédures budgétaires nationales », la
Commission et le Conseil devant, par ailleurs, évaluer la
conformité des règles budgétaires nationales avec celles du Pacte
de stabilité et de croissance, en obtenant des garanties sur les
données statistiques soumises à sa sagacité. Pas de quoi fouetter
un chat !

Pour l’essentiel, si l’obligation pour les grandes banques
européennes de se soumettre à la discipline des « stress tests »,
comme aux États-Unis, parait acquise et si un accord de principe
existe sur l’introduction de taxes bancaires nationales dans l’UE,
pour l’heure, on ignore sur quelles bases significatives cette
réforme sera mise en vigueur dans les pays européens qui
l’accepteront, au sein de l’Union. Enfin rien n’est encore
concrètement dit sur la nature des sanctions économiques et
politiques, applicables aux États qui ne respectent pas leurs
engagements, dans le cadre de l’Union économique et monétaire.
Pour nous consoler, on nous a annoncé il est vrai, que les « 27 »
se sont mis d’accord pour engager des négociations d’adhésion
avec l’Islande (alors que 57 % des Islandais déclarent pour le
moment ne pas en vouloir) et pour intégrer l’Estonie dans la zone
euro, le 1er janvier 2011. En France, dans les médias seuls
quelques grands quotidiens ont consacré quelques lignes
condescendantes au Conseil européen du 17 juin dans
l’indifférence générale.

Le football est tellement plus excitant… Ambiance !

Mots-clés