À propos de l’éventuelle ratification de la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires par la France

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires : la France et certains traités internationaux

, par Ulrich Bohner

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée en 1992 par le Comité des Ministres est bien un traité international, une convention européenne au même titre que la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour ce qui est des quelques 218 conventions du Conseil de l’Europe ( institution européenne de 47 membres siégeant à Strasbourg), elles nécessitent en effet, pour chaque pays, d’abord la signature, puis la ratification, pour entrer en vigueur à l’égard du pays concerné.
Si le bilan global de la France par rapport à ces traités émanant du Conseil de l’Europe est tout à fait honorable (elle en a ratifié 133 sur 218, avec 38 signées en plus).

Cependant, dans le détail, certaines situations peuvent laisser perplexes ou signifier des difficultés importantes.

Prenons par exemple : le traité le plus fondamental du Conseil de l’Europe : la Convention européenne des droits de l’Homme (STCE 005). Elle a été adoptée à Rome en 1950, un peu plus d’un an après la création du Conseil de l’Europe. La France, notamment à travers le professeur René Cassin, a joué un rôle fondamental dans son processus d’élaboration.
La ratification de cette convention y compris l’article 34 qui permet des recours individuels à la Cour de Strasbourg, est aujourd’hui obligatoire pour l’ensemble des Etats membres (y compris la Russie, la Turquie,…). Et c’est chose faite.

La France, qui l’avait signée dès 1950, l’a ratifiée seulement en mais 1974, sous la présidence intérimaire d’Alain Poher. Et il a fallu attendre la présidence Mitterrand et Robert Badinter comme Garde des sceaux en 1981 pour que la France reconnaisse la compétence de la Cour pour les requêtes individuelles.

Mais si l’on admet que les procédures européennes soient habituellement lentes, 24, voire 21 ans sont quand même des périodes extrêmement longues. Sans doute la guerre d’Algérie et ses exactions y sont-elles pour quelque chose.

Mais la France, souvent en proie à des sursauts « souverainistes » connaît aussi d’autres sujets sensibles.

Quand le Conseil de l’Europe a adopté, en 1980, la Convention-cadre sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (STCE 106), la France a été très réticente, voire hostile, dans un premier temps, craignant pour son intégrité territoriale, Elle l’a toutefois ratifiée dès 1984 (mais après un changement de présidence). Elle a même ensuite poussé à l’adoption de protocoles additionnels et à l’adoption de traités allant dans le même sens, au sein d’autres structures.

Autre sujet sensible : le droit de vote des étrangers (aux élections locales). Pour l’Union européenne (UE), le Traité de Maastricht de 1992, ratifié par la France après référendum, prévoit ce droit. Pourtant, la France a laissé passer une élection locale avant de le mettre en œuvre, a minima (limité aux élections locales, alors que l’article 72 de la Constitution met les communes, les départements et les régions sur un pied d’égalité, et ne permet pas aux étrangers de devenir Maire ou Adjoint). Pour ce qui est du Conseil de l’Europe, la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STCE 144) n’a jamais été ni signée ni ratifiée par la France. Il est vrai qu’elle ne distingue pas entre les étrangers de l’UE et ceux venus d’ailleurs.

Autre dossier : l’autonomie locale. Les représentants français ont eu beaucoup de difficultés lors des négociations pour l’adoption d’un autre traité du Conseil de l’Europe, la Charte européenne de l’autonomie locale, (STCE 122) adoptée, non sans difficultés en 1985, mais néanmoins signée immédiatement par la France. Toujours les soucis des « souverainistes », alors que les lois Defferre venaient de consacrer en France, en 1982, un bon nombre des principes contenus dans la Charte. Il est vrai que la terminologie utilisée en France parle de « libre administration », et non d’ »autonomie » (Art 72 Constitution). Dans le paysage politique français, ce dernier mot a en effet été souvent utilisé pour qualifier les indépendantistes, voire les irrédentistes.

Dans le même ordre d’idées, la « Charte européenne des langues régionales ou minoritaires » (STCE 148) serait, pour beaucoup d’esprits chagrin, de nature à porter atteinte à l »’indivisibilité » de la nation et à l’égalité des citoyens affirmées à l’article premier de la Constitution. Ces questions font l’objet de l’article de la Jean-Marie Woehrling dans ce même numéro.

Par ailleurs, la France a refusé d’emblée de signer la Convention cadre pour la protection des minorités nationales (STCE 157), adoptée au Conseil de l’Europe en 1995, la notion de « minorité nationale », utilisée fréquemment dans d’autres parties de l’Europe, surtout de l’Europe centrale et orientale, étant bannie du vocabulaire politique et constitutionnel dans le contexte français, comme incitant au « communautarisme » et comme étant contraire au principe de l’égalité de tous devant la loi.

P.-S.

Ulrich Bohner
Secrétaire général honoraire du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de l’Europe
Membre du Comité directeur de l’UEF France - Strasbourg