Premières réflexions sur l’Union européenne et l’immigration

, par Jean-Guy Giraud

Personne ne conteste la gravité et l’urgence du désastre humanitaire sans précédent qui se déroule chaque jour - avec une ampleur croissante - en Méditerranée, c’est à dire sous les yeux mêmes des Européens.

Personne ne met en doute l’incapacité matérielle des Etats membres de première ligne (notamment l’Italie et la Grèce) de faire face seuls à cette marée humaine ni les problèmes internes de toute nature que provoque sur leur territoire cet afflux incontrôlable.

Personne ne peut nier que tous les États membres soient concernés - directement ou indirectement - par ce désastre se déroulant sur la grande frontière méditerranéenne de l’Union européenne (UE) et affectant un continent africain qui demeure historiquement et durablement lié à l’Europe - à toute l’Europe.
Personne ne peut donc contester la légitimité et la nécessité d’une implication et d’une entre aide totales et sans réserve de tous les États membres non seulement pour sauver les vies humaines en péril mais aussi fournir aux réfugiés, au moins à titre provisoire, toute l’assistance matérielle nécessaire.

Personne ne peut feindre d’ignorer, en résumé, que ce sont les valeurs mêmes sur lesquelles est fondée l’Union qui lui font un devoir de venir en aide collectivement aux hommes, femmes et enfants en détresse.

S’il en était besoin, il serait d’autre part facile de démontrer - sur le plan juridique - que ce sont les traités eux-mêmes qui prévoient et organisent cette responsabilité collective.

Dès lors, le refus pur et simple de quelques (rares) États membres de prendre part aux actions d’urgence préconisées par la Commission est inacceptable. De même, les réticences ou retards d’autres États à participer à l’effort commun sont condamnables. Enfin, les positions changeantes de certains États au fil d’évènements politiques internes (nouvelles majorités ou nouveaux dirigeants politiques) ne sont pas recevables face à une telle urgence humanitaire.

Au moins deux institutions de l’Union ont su reconnaitre la gravité du problème et affirmer la responsabilité de l’UE : la Commission représentant l’intérêt général européen et le Parlement européen représentant les citoyens.

C’est l’honneur de la Commission Juncker d’avoir pris, dans l’urgence, les initiatives nécessaires et d’être passée outre aux divisions internes du Conseil - allant jusqu’à proposer officiellement des mécanismes contraignants tels que des "quotas" nationaux d’accueil de réfugiés. Si elle doit être soutenue dans ses efforts, il lui appartient aussi de mettre pleinement en oeuvre les moyens propres dont elle dispose tels que :

  • le renforcement de Frontex : c’est un véritable saut qualitatif et quantitatif de cet organe qui doit être accompli à cette occasion,
  • le renforcement et l’engagement déterminé des ambassades de l’UE dans les pays d’origine et de passage des flux migratoires sur le continent africain ; ici aussi, l’occasion doit être saisie pour faire de ces ambassades de véritables relais de l’action extérieure de l’UE - avec ou sans la coopération des ambassades des États membres sur place,
  • la mobilisation de tous les fonds nécessaires pour co-financer, avec les États, l’ensemble des opérations de sauvetage et d’accueil.

Le Parlement européen, pour sa part, peut accentuer sa pression politique sur le Conseil - notamment par la voix de son Président. Il peut également utiliser tous ses pouvoirs budgétaires pour débloquer - voire accroître - les crédits disponibles. Il peut enfin utiliser sa fonction tribunicienne pour alerter et mobiliser l’opinion publique.

S’il ne faut certes pas sous-estimer l’ampleur et la complexité d’un phénomène migratoire plus large qui pèse également sur les frontières terrestres de l’Union, le drame méditerranéen est une urgence absolue et doit être traité comme tel. C’est véritablement l’image de l’Europe dans le monde - et en particulier en Afrique - qui est en jeu. L’histoire retiendra durablement si l’Union a été - ou pas - capable d’assumer ses responsabilités et d’être à la hauteur des valeurs qu’elle revendique.

P.-S.

Jean-Guy Giraud
Ancien Président de l’UEF France – 31