Fédéralisme dans le monde et intégrations régionales

Le fédéralisme comme réponse au défi du conflit israélo-arabe

, par Hazem H. Hanafi

Comment le fédéralisme pourrait-il répondre à certains des défis actuels auxquels le monde arabe est confronté ? Réussirait-il mieux à gérer, tempérer ou résoudre les conflits qui hantent encore cette région ? J’examinerai le défi le plus aigu : le conflit israélo-arabe.

La complexité de ce conflit particulier avec ses aspects historique, religieux, politique, légal, culturel et socio-économique n’a pas besoin d’être soulignée.

Au coeur du problème il y a deux versions contradictoires sur le « nous » et « les autres ». Pour les Arabes, Israël représente un projet d’installation coloniale auquel il faut résister. Pour les Juifs, il s’agit du projet de construction d’une nation qu’il faut protéger. Il n’est pas facile d’aller vers un compromis et le dilemme entre résistance et coexistence continue à hanter les différentes solutions à ce conflit irréductible.

La pierre d’achoppement réside dans la dispute concernant un territoire géographique spécifique. L’histoire, la religion et le droit ont été utilisés par chacune des parties pour justifier les revendications et les contre-revendications [1], la plus sérieuse étant que l’autre est juste une « communauté imaginaire » [2]. Les solutions ont varié entre partager le pays sous la forme d’un Etat [3] ou d’une organisation fédérale [4] ou en divisant le pays en deux Etats séparés [5] ou encore à travers des institutions fédérales et/ou confédérales. [6] Des solutions fédérales sont communes à ces deux approches qui seront au centre de ce texte. Il est important de revisiter la liste de David Elazar des onze options fédérales, publiée il y a deux décennies et de prendre en compte les développements qui ont renforcé la viabilité de sa première option, une fédération israélo-palestinienne, et disqualifié les autres. [7] Ses options allaient depuis une organisation israélo-palestinienne exclusive (1-4), une organisation entre Israël et la Jordanie incluant les Palestiniens (5-6), l’absorption par Israël des territoires occupés (7-8) et une organisation multilatérale avec des partenaires de la région sur une base limitée (9-11). Avec l’affirmation récente de l’identité nationale palestinienne à travers l’Intifada (le soulèvement palestinien) de 1987 à 1991 et de 2000 jusqu’à aujourd’hui, la séparation du lien entre la Jordanie et la Cisjordanie en 1988, le processus de paix israélo-palestinien qui conduisit à la création de l’Autorité palestinienne, le Conseil législatif national et la réalisation d’élections parlementaires et législatives disputées en 1996 et 2006, il est aujourd’hui inconcevable de ne pas considérer les Palestiniens comme un partenaire national à égalité. [8] Cela invalide les autres options incluant les Palestiniens dans un plan de paix général israélo-jordanien, affirmant un contrôle israélien sur les territoires occupés ou concluant des accords multilatéraux régionaux limités. La remarquable identité politique palestinienne a démontré qu’elle était très déterminée et énergique. Ces mêmes développements apportent un soutien supplémentaire à l’option d’une fédération israélo-palestinienne bi-nationale, bilingue, bi-communautaire et bi-étatique, avec Jérusalem comme siège du gouvernement fédéral. Une confédération entre les deux laisserait les deux parties avec de sérieuses préoccupations sécuritaires et une tension continuelle lorsque chaque communauté, insatisfaite de la « moitié » qu’elle aurait obtenu, regardera la « moitié » qu’elle a perdu. Une solution fédérale utilisant des éléments à la fois de « gouvernement séparé » et d’ « auto-gouvernement » est l’option la plus viable. Elle donnerait à chaque partie un sentiment d’identité territoriale avec des droits garantis par une constitution qui ne serait pas amendée par un groupe qui obtiendrait la majorité dans un Etat unitaire. En ayant une union fédérale gérant les deux pays d’Israël et de Palestine, cela permettrait à chacun des membres de cette union de revendiquer le pays dans son ensemble comme étant le leur et dans le même temps cela garantirait à chaque communauté un Etat territorial séparé avec ses propres lois qui s’appliqueraient.

Une telle solution supposerait que chaque partie reconnaisse l’autre comme une nation égale. Les relations communautaires qui existaient durant les siècles de domination ottomane [9] et durant une bonne partie du 20° siècle [10] pourraient servir en tant qu’expérience historique commune sur laquelle construire, comme la « disqualification de l’intégration nationale, la partition, la double autorité et le contrôle comme mécanismes pour la résolution des conflits, nous amènent à examiner différentes organisations de gouvernement partagé comme une base viable pour la stabilité politique. [11]

Le leadership israélien et l’opinion publique se réfèrent au problème du soulèvement palestinien en tant que violence inter-communautaire alors que cela masque la négation d’un nationalisme palestinien et ils sont en faveur de solutions fédérales, mais dans le contexte d’une « autonomie » sous contrôle israélien ou d’une « entité » palestnienne incorporée à la Jordanie. [12]
Certains, par ailleurs, ne sont pas d’accord que le fédéralisme puisse opérer en tant que solution au conflit israélo-arabe et croient que « des avancées à petits pas » sont plus sûres et plus réalisables. [13]

La fédération pourrait être parlementaire et agglomérer les systèmes parlementaires actuels d’Israël et de l’Autorité palestinienne. Une union d’Israël et de la Palestine basée sur l’expérience du Royaume uni pourrait éviter les problèmes liés à la classification de la fédération soit comme juive, soit comme arabe, tout en préservant cette identité au niveau de l’Etat. Une identité politique légère associée à la fédération permettrait à la fois aux Juifs et aux Arabes de conserver leurs propres symboles nationaux à travers lesquels chacun est associé et l’autre exclu. [14]

Une constitution fédérale définirait la distribution des pouvoirs et des fonctions et, comme il s’agirait d’une fédération bi-communautaire composée de deux communautés nettement différentes, il faudrait maintenir un équilibre entre asymétrie et égalité.

C’est similaire au débat qui se déroule au Canada sur le Québec et on bénéficierait de la notion de la concurrence et de la prédominance provinciale, avec une distribution symétrique mais une application asymétrique. [15] Chacun disposerait de la souveraineté dans ses territoires dans des domaines spécifiques tels que l’éducation, la culture, le droit, la santé, la police, tandis que les autres seraient laissés au gouvernement fédéral. La liberté de mouvement et d’installation serait garantie et il serait possible d’autoriser des restrictions pour un temps limité dans un but particulier. La nécessité d’une application asymétrique est essentielle pour prendre en compte la structure asymétrique du pouvoir et de la relation entre les deux communautés ainsi que leurs rapports avec leurs « diasporas » respectives.

La Belgique apporte un autre outil original pour une fédération non territoriale. [16]. Les Juifs comme les Palestiniens pourraient avoir leurs droits qui les suivraient où qu’ils soient. Cela pourrait résoudre le problème de la minorité juive restant dans l’Etat palestinien mais qui refuserait d’être soumise aux lois palestiniennes. De la même manière, cela pourrait résoudre le problème des Palestiniens résidant en Israël et qui préfèraient obéir aux lois palestiniennes. D’un point de vue israélien, une fédération non-territoriale serait moins menaçante pour la sécurité de l’Etat car elle éviterait les revendications territoriales de la population arabe qui, dans cette perspective, serait partagée et ne constituerait pas un corps cohérent. [17]

Une organisation fédérale traditionnelle ne permettrait pas que les entités constituant la fédération aient un rôle formel dans les affaires étrangères et les relations internationales, mais cela est en train de changer. [18] L’Etat palestinien pourrait être représenté au sein de la Ligue arabe en tant qu’Etat arabe, discuter et voter sur des questions qui relèvent directement de sa souveraineté telles que l’éducation, la culture et la santé. Seules les questions politiques seraint exclues parce que le gouvernement fédéral devrait en être responsable. La même chose s’appliquerait à l’Etat des Israéliens. Les Etats palestinien et israélien pourraient tous les deux avoir des bureaux commerciaux à l’étranger pour s’occuper de leur commerce, promouvoir des investissements ou le développement de ressources naturelles, en coopération avec le gouvernement fédéral en tant que de besoin.

Avec une solution politique fédérale praticable, la force de chaque communauté -que l’autre a essayé de saper- pourrait devenir une valeur ajoutée pour une coopération et un développement partagés à leur bénéfice mutuel. Surtout, cela aurait un effet positif de domino sur la politique générale et le développement économique du Moyen-orient en supprimant un catalyseur de conflit qui contribuait à empêcher le progrès, la paix et la démocratisation. [19]

P.-S.

Hazem HANAFI
Chercheur à la Arab Foundation for Federal Studies - MA à la Kent University - Article publié en comun avec The Federalist Debate - Turin

Traduit de l’anglais par Jean-Luc PREVEL - Lyon

Notes

[1Pour une perspective palestinienne : Rashid Khalidi, Palestinian identity : The Construction of Modern National Conciousness (éd. Columbia University Press, New-York, 1997), et pour une perspective juive : Joan Peters, From Time Immemorial : The Origin of the Arab-Jewish Conflict over Palestine (Harper, éd. New-York, 1984).

[2J’utilise le terme forgé par Benedict Anderson en 1983 pour expliquer la nature du nationalisme dans : Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism (Verso, 2006). L’historiographie israélienne a longtemps prétendu que la Palestine était un « Pays sans peuple », et qu’il n’existe pas de « Palestiniens ». Les Arabes font la distinction entre les Juifs natifs de Palestine qui font partie d’une communauté locale et les Juifs immigrants qui sont des colons et ne peuvent pas revendiquer ce pays. Voir Nur Masalha, A Land Without a people : Israël, Transfer and the Palestinians, 1949-96 (éd. Faber and Faber, Londres, 1997).

[3Les Palestiniens offrirent, dans les années 30 et 70, la solution d’un Etat démocratique et laïque, voir Nabil Shaath, « Democratic Solution to the Palestine issue », dans, Journal of Palestine Studies, Vol. 6, n° 2 (Hiver 1977), pp. 12-18. Israël craint que le taux de natalité élevé des Arabes transforme éventuellement les Juifs en minorité et insiste sur un Etat juif.

[4David Elazar, Self Rule/Shared Rule : Federal Solutions to the Middle East Conflict (éd. University Press of America, Lanham, MD, 1984), et, Two Peoples, One Land : Federal Solutions for Israël, The Palestinians and Jordan (éd. University Press of America, Lanham MD, 1991) ; Yehoshua Porath, « The Ever-Present Panacea-Arab Federation as a Solution to the Palestine Question », dans, In Search of Arab Unity (éd. Frank Cass, Londres, 1986), pp. 58-148.

[5Ce fut l’approche dominante depuis le Projet de partition de l’ONU de 1947, le processus de paix israélo-palestinien de Madrid en 1991 et d’Oslo en 1993 et actuellement le Plan de paix arabe en 2004 (qui revient au Sommet de Fès de 1982) basé sur la formule « La terre contre la paix ». Les négociations sur des pourcentages exacts de division du pays varient selon les plans de paix.

[6Cela a varié entre une relative « autonomie » palestinienne dans certaines régions arabes à l’intérieur d’Israël jusqu’à l’association avec la Jordanie. Pour une explication complète voir Elazar, Two peoples, One Land, op. cit., pp. 114-126.

[7Les dix autres sont : une confédération Israël-Palestine, une fédération de plusieurs cantons juifs et arabes, un Etat palestinien arabe associé avec Israël sur le modèle de Porto Rico avec les Etats-Unis, une confédération Israël-Jordanie avec les Palestiniens incorporés en Jordanie, une confédération Israël-Jordanie avec des Palestiniens fédérés avec l’un ou l’autre, une incorporation des territoires par Israël avec une organisation consociationaliste sur une base constitutionnelle, une fédération sur la région entière totalement non territoriale, un condominium : Israël et la Jordanie ensemble avec des Palestiniens rattachés à l’un ou à l’autre pour la citoyenneté, une organisation partielle ou sectorielle telle qu’une union douanière ou un marché commun et enfin différentes organisations bilatérales fédérales entre Israël, la Cisjordanie, Gaza ou la Jordanie. Pour plus de détails, cf. Self Rule, Shared Rule, op. cit., pp. 243-259, et, Two Peoples, One Land, op. cit., pp. 99-127.

[8Israël considère les Palestiniens comme une minorité culturelle arabe mais pas comme un groupe national. Voir Claude Klein, Israël as a Nation-State and the Problem of the Arab Minority, In Search of a Status (éd., International Center for Peace in the Middle East, Tel Aviv, 1987), et David Kretzmer, The Legal Status of Arabs in Israël (éd. Boulder, Westview Press, 1990).

[9Avigdor Levy (compilateur), The Jews of the Ottoman Empire (éd. Darwin Press, Princeton, 1994), pp. 1-150, et Christians, Jews and Muslims in the Ottoman Empire : Lessons for Contemporary Coexistence (éd. Brandeis University, September 2000)

http://www.brandeis.edu/ethics/publications/faculty_research/sec_4.pdf. Bernard Lewis et Benjamin Braude (compilateurs), Christians & Jews in the Ottoman Empire : The Functioning of a Plural Society (éd. Holmes et Meier, New-York, 1982).

[10Shmuel Sandler, « Israël and the West Bank Palestinians », dans, Publius, Vol. 18, n°2 (Printemps 1988), pp. 47-62.

[11Sandler, op. cit., p. 59.

[12Gad Barzilai, Giora Goldberg, Efraim Inbar, « Israeli Leadership and Public Attitudes Toward Federal Solutions for the Arab-Israeli Conflict Before and After Desert Storm », dans, Publius, Vol. 21, n° 3 (Eté 1991), pp. 191-209.

[13Jonathan Frankel, « Federalism and the Arab Israeli Dispute », dans, Beyond the Middle East Conflict : A Future for Federalism ? (éd. Center for Contemporary Studies and Minority Rights Group, Londres, 1985), p. 13-14.

[14Elia Zureik, The Palestinians in Israël : A Study in Internal Colonialism (éd. Routledge, Londres, 1979), et, Nadim Rouhana et Assad Ghanem, « The Crisis of Minorities in Ethnic States : The Case of Palestinian Citizens in Israël, dans, International Journal of Middle East Studies, Vol. 30, n° 3 (août 1998), pp. 321-346.

[15David Milne, « Equality or Asymmetry : Why Choose ? », dans, Ronald Watts et Douglas Brown (compilateurs), Options for a New Canada (éd. University of Toronto Press, Toronto, 1999, p.302).

[16John Fitzmaurice, The Politics of Belgium : A Unique Federalism (éd. Hurst and Company, Londres, 1996).

[17Claude Klein, Israël as a Nation-State and the Problem of the Arab Minority : In Search of a Status (éd. International Center for Peace in the Middle East, Tel Aviv, 1987).

[18L’expérience de l’Union européenne et la participation du Québec à la Francophonie pourraient être particulièrement pertinents.

[19George Abec, « Beyond Oslo : A Viable Future of the Palestinian Economy », pp. 29-58 ; Eli Sagi, « Peace and the Israëli Economy », pp. 97-120 ; Ezra Sadan, « Sourcing Alliances and Open Market Transctions : Trade in Goods between Israël, Jordan and the Palestinian Economy », pp. 121-136, tous dans, Sara Roy (compilatrice), The Economics of Middle East Peace : A Reassessment (Resaerch in Middle East Economics Series, Elsevier, Amsterdam, 1999).

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