La gauche, tous les autres et nous (Fédéchoses, n° 1, début 1973)

, par Bernard Barthalay

Bernard Barthalay, éditorialiste du premier numéro de Fédéchoses, non daté mais paru au premier semestre 1973, n’était déjà plus membre des Jeunes du Mouvement Fédéraliste Européen dont il avait été l’un des fondateurs à Zürich. Dans ce 1er numéro l’édito visait à définir les raisons d’être de notre publication (fédérer les groupes épars de Jeunes fédéralistes de l’hexagone pour fonder la section française de la Jeunesse Européenne Fédéraliste réunifiée) et s’accompagnait du texte que nous rééditions ci-dessous et qui était en fait l’editorial politique.

« Tous les autres » ont gagné. Pompidou garde la majorité. Mais l’équation de son pouvoir a varié. Le Gaullisme a perdu les voix de gauche qui se portaient sur de Gaulle. La façade d’indépendance nationale se lézarde. Mais l’État autoritaire est sauf. Au fond, la France électorale est stable et l’UDR n’est qu’un RPF rénové où l’Européisme affiché et les concessions à peine voilées à l’Amérique s’ajoutent aux institutions d’un État techno-bureautique centralisé et à l’anticommunisme le plus violent pour ramener tous les modérés au bercail de la droite coalisée.

L’Union de la gauche a « perdu ». Une bataille seulement si elle sait tirer la leçon de cet échec. Pour gagner, elle doit capter à son profit les voix réformistes et européennes gagnées à l’après-gaullisme sans pour autant s’aliéner le courant socialiste autogestionnaire. Elle doit vouloir l’autre Europe, le socialisme dans l’Europe. C’est un choix difficile, qui incombe d’abord aux communistes : le choix d’une Europe occidentale, unie, démocratique, ouverte, indépendante, qui ait « des rapports d’amitié avec l’URSS et les pays socialistes comme avec les États-Unis et établisse des rapports nouveaux avec les pays en voie de « développement » (Comité Central du PCI du 9 février 1973) ; le choix de la « démocratie avancée », d’un supplément de démocratie, du passage de la démocratie représentative à la démocratie fédérale, dans, par et pour cette Europe-là. C’est à ce prix seulement que les communistes, et par voie de conséquence la gauche unie, seront reconnus comme parti de gouvernement.

Maintenant que les gaullistes orthodoxes ne peuvent plus à eux seuls mettre le parlement en coupe réglée et que l’homme de droit le mieux placé pour les présidentielles est un européiste (Giscard), le refus imbécile des élections directes (du Parlement européen, ndr) a dans la classe politique des assises moins solides. Cependant la mobilisation contre le dessein confédéral de la triarchie franco-germano-britannique, contre l’Europe technocratique et réactionnaire du capital mondial passe plus que jamais par l’union populaire, par l’unité de tous les antifascistes pour l’Europe des citoyens et des travailleurs.

La rupture avec l’État techno-bureautique et le contrôle de la production par les travailleurs ne sont plus possibles dans le cadre national. L’autogestion n’est qu’un vain mot d’ordre à moins de signifier accialisme et liberté réconciliés dans le fédéralisme. Le choix est simplissime : une Europe confédérale, dominée et exploitée, dominante et exploiteuse, sous la double hégémonie américaine-soviétique ; l’État-nation exécuteur des basses œuvres des multinationales : répression policière et déménagement du territoire ; une collection de pions nationaux sur l’échiquier des impérialismes complices ; un continent menacé de finlandisation, de balkanisation, de paupérisation relative, voire absolue : c’est la mort ; une Europe démocratique, où l’articulation fédérale du pouvoir reconnaitrait aux citoyens et aux travailleurs le droit de contrôler la production et, dans l’État, de décider démocratiquement à tous les niveaux : c’est la vie, la vie changée.

Choisir l’Europe aujourd’hui ne signifie plus se mettre à l’abri du parapluie américain pour protéger les libertés formelles de l’avance des chars soviétiques. C’est un choix de société : d’un côté, les technocraties nationales, les libertés menacées et d’intolérables privilèges ; de l’autre, la démocratie européenne, un socialisme à visage humain, espérance des nouvelles couches moyennes salariées et de la jeunesse généreuse.

Les élections françaises ont révélé les éléments de mobilité de la politique française (aile gauche du PS, PSU, CFDT, un communiste comme Juquin etc.). Le courant socialiste autogestionnaire est le noyau vif de l’union populaire. C’est avec lui que les fédéralistes doivent prendre langue sans attendre. Mobiliser ces éléments en un contre-sommet n’est pas une mince affaire. La stratégie fédéraliste de lutte pour la Fédération européenne et une stratégie européenne de lutte pour ce socialisme-là ne pourraient-elles pas aller du même pas. Et si, de ce pas, la gauche française gagnait les présidentielles et le peuple européen en bataille constitutionnelle.

En France, les fédéralistes se sont donné le premier moyen de cette bataille : une pétition pour l’élection directe du Parlement européen et la constitution de la Fédération européenne. Mais le succès de cette pétition dépend aussi de la contribution qu’y apporteront les syndicats, les pouvoirs locaux et toutes les forces populaires et démocratiques.

C’est sans tarder qu’il faut les mobiliser tout à la fois contre le service militaire obligatoire, pour la reconnaissance des droits civiques et syndicaux des travailleurs immigrés, pour le contrôle de la production par les communautés, pour la décolonisation de la province, bref pour l’autre Europe.

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