Pouvoir monétaire et pouvoir fiscal dans un système fédéral

, par Alfonso Iozzo

Après avoir créé les institutions utiles pour gérer l’union monétaire, l’Europe doit maintenant faire face à la nécessité de se pourvoir d’institutions adéquates à gérer l’augmentation nécessaire du budget, qu’il faut alimenter tout particulièrement avec des ressources propres.

Le pouvoir monétaire

Dans un système fédéral, la monnaie est une compétence exclusive du niveau central : une seule institution doit disposer du pouvoir d’émettre la monnaie et de décider de la quantité à émettre. En effet, dans les systèmes fédéraux comme ceux des États Unis et de la Suisse, il existe une institution centrale qui a le monopole mais qui est aussi composée de représentants du niveau inférieur de gouvernement : la Réserve fédérale et la Banque nationale suisse. La République fédérale allemande, avant d’entrer dans la zone euro, avait aussi une institution similaire : la Bundesbank.

La composition des organes décisionnels de ces institutions monétaires est typique. Dans le cas des États-Unis, le Conseil d’administration (composé de 7 membres) est nommé par le Président (après consultation du Sénat) mais le mandat de ses membres est très long de façon à assurer ainsi leur autonomie décisionnelle vis-à-vis du président en exercice qui, seulement dans des circonstances particulières, arrive à en nommer la majorité (Le cas du Président Reagan est connu à ce sujet). Cette autonomie est renforcée par la composition de l’Open Market Committee dont le rôle est d’approuver les opérations d’achat des titres sur les marchés, déterminant ainsi le niveau des taux d’intérêt. En plus des 7 membres du Conseil d’administration, le « Comité » est composé par 6 autres membres choisis à tour de rôle au sein des douze réserves intergouvernementales (mais la FED de New York, qui intervient sur le marché des changes, est toujours présente). La relation entre la FED et le Congrès est importante car elle doit périodiquement lui rendre compte de ses activités.

La Banque centrale européenne a, elle aussi, une structure similaire dans laquelle, à côté des 7 membres du Comité de direction nommés par le Conseil européen (après avis du Parlement européen), les gouverneurs des banques centrales nationales de la zone euro participent aux réunions du Système européen des Banques centrales (SEBC).

Dans un système fédéral, la monnaie est de la compétence du niveau central mais l’organe chargé de sa gestion est de type fédéral.

Le pouvoir fiscal

Dans un système fédéral, le pouvoir fiscal est une compétence concurrente – du moins pour les niveaux qui ont une dimension constitutionnelle : aux États-Unis, le niveau fédéral et le niveau des États.

Dans un système national, le pouvoir fiscal peut être dévolu aux niveaux locaux (régions, communes) mais sur décision de l’État central, qui peut toujours modifier les critères d’attribution.

Dans les systèmes fédéraux, tous les niveaux qui ont une dimension constitutionnelle doivent disposer de pouvoirs fiscaux qui leur sont propres, et non pas seulement de ceux qui leur sont « dévolus » par le niveau supérieur.
Justement, l’Union européenne (UE) est en train d’affronter ce passage difficile : le système actuel est, en fait, une « dévolution » à l’envers, du niveau étatique à celui européen, qui se fait par l’adoption du programme financier pluriannuel, prévoyant une décision « unanime » des États membres qui ont donc le pouvoir de déterminer le montant des ressources dont peut bénéficier le budget européen commun.
La définition du montant des ressources fiscales qui revient au niveau européen peut se faire grâce à trois modalités :

  • celle actuelle qui laisse les États membres, par décision unanime, fixer la contribution européenne ;
  • la disposition dans la « loi fondamentale » (Traité ou Constitution) de la contribution qui revient au niveau européen ;
  • la détermination de la contribution par les organes fédéraux, Commission, Parlement et Conseil décidée par une majorité qualifiée.

La détermination de la « contribution » dans la « loi fondamentale » introduit un système rigide, qui n’est pas en mesure de s’adapter rapidement (une modification constitutionnelle est en effet nécessaire) à l’évolution de la situation économique et sociale qui peut, dans le temps requérir, de donner plus de ressources au budget fédéral – des exigences communes pouvant émerger – ou aux budgets nationaux par suite de contextes particuliers.

La procédure pour la détermination de la contribution européenne par les organes fédéraux

Même s’il n’y a pas de limites au pouvoir des institutions fédérales pour qu’elles augmentent la contribution dont elles ont la compétence, la tendance centralisatrice sera toujours plus forte aux dépens des niveaux inférieurs même lorsque certaines dépenses seraient gérées plus efficacement par les États nationaux, voire même par les Régions ou les communes.

Aux États-Unis, cette tendance s’est affirmée : au cours du siècle dernier, elle a porté l’impact du budget fédéral de 2,5 à 20 % du PIB tout en ramenant à 10 % l’impact du budget des États. Sous certains aspects, et plus particulièrement en ce qui concerne l’évolution du budget, on peut dire que les États Unis sont aujourd’hui plus un État centralisateur qu’un véritable système fédéral.

Dans l’UE, il faut institutionnaliser un système permettant d’éviter une « centralisation forcée » sans pour autant rester dans le système actuel, bloqué par la règle de l’unanimité des États membres.

À l’occasion du débat qui a eu lieu au cours de la première législature du Parlement européen élu, qui s’est terminée, en 1984, par l’approbation du projet Spinelli, Mario Albertini avait indiqué une procédure qui permettait de concilier les deux exigences abordées ci-dessus (Il Federalista, 1981, n° 2 ).

En lieu et place de l’actuel programme financier pluriannuel, la décision sur la détermination du pouvoir fiscal pouvant être acquis par le niveau européen devrait prévoir :

  • au début de chaque « législature », une proposition de la Commission nouvellement élue tenant compte du débat qui a précédé l’élection européenne sur les priorités d’action, ainsi que des discussions qui ont eu lieu lors du vote d’investiture de la part du Parlement européen ;
  • l’évaluation par une « Convention fiscale » composées par des représentants du Parlement européen (1/3) et des Parlements nationaux (2/3) de cette proposition avec un vote à la majorité qualifiée ;
  • l’approbation finale par le Parlement européen et par le Conseil, toujours à la majorité qualifiée.

La proposition de la Commission devrait indiquer les nouvelles politiques communes devant être financées, les économies pouvant être faites au niveau national grâce aux économies d’échelle réalisables, les ressources pouvant être acquises par des impôts propres et celles cogérées avec les États membres.

De fait, le système introduirait une procédure constitutionnelle simplifiée garantie par la « Convention fiscale ».

On peut retrouver une première indication de la validité de la procédure proposée dans le Traité sur le Fiscal Compact qui justement introduit, dans son article 13, une convention parlementaire européenne/nationale.

P.-S.

Alfonso Iozzo

Président du MFE Italien (1995-2005), Président de la Fondation du Centre d’Études sur le fédéralisme de Turin, Vice-Président de la Robert Triffin International (Louvain la Neuve, Be.) – Turin

Article publié initialement sur The Federalist Debate – Turin

Traduit de l’italien par Ivana Graziani – Vienne