Ressources européennes et contributions nationales : un défi pour l’Europe

Dans le deuxième acte de la célèbre tragédie de Shakespeare, Polonio affirme, à propos des réponses dénuées de conclusions d’Hamlet « though this be madness, yet there is method in’t » (« il y a de la logique dans cette folie »). Il est possible de porter un jugement semblable sur les affirmations du ministre Di Maio, lequel prétend que si l’Europe n’apportait pas de réponse positive à propos de la relocalisation de migrants érythréens tenus en otages depuis longtemps à bord du navire Diciotti, l’Italie cesserait de verser sa contribution à l’Union. Cette position a été réaffirmée par le ministre Salvini quand il a annoncé, finalement, la libération des Erythréens maintenus illégalement à bord d’un navire militaire italien.

En réalité, après que le Ministre des affaires étrangères Moavero Milanesi a rappelé que verser sa contribution à l’Union n’est pas une option, mais une obligation juridique, avec les conséquences inévitables en cas de manquement, les deux ministres et le Président du Conseil ont quelque peu corrigé le tir, brandissant la menace que le gouvernement italien n’approuve pas le cadre financier pluriannuel 2021-2027, s’il était opposé une fin de non- recevoir aux requêtes de relocalisation au sein de l’Union des migrants accostés en Italie.

L’objectif évident de la manœuvre est de faire pression sur la Commission pour obtenir un vote favorable au cadre financier pluriannuel avec davantage de flexibilité quand il s’agira d’adopter en Italie la loi sur le bilan. Mais cette position soutenue par le gouvernement de Conte – au-delà des aspects techniques – remet en question la méthode de financement du budget de l’Union. L’expérience de ces années a démontré clairement deux données fondamentales. En premier lieu, le montant du budget européen n’est pas assez important pour faire face aux défis auxquels l’Union est confrontée : sécurité intérieure et extérieure, promotion d’un modèle de développement pauvre en carbone, investissements pour favoriser la transition vers une économie numérique, soutien à la compétitivité de la production européenne grâce aux financements pour la recherche et à la garantie d’un emploi digne, en particulier aux jeunes générations, production de biens publics pour améliorer la qualité de vie des citoyens – aussi à travers des réformes des systèmes de welfare pour prendre en compte l’allongement de l’espérance de vie, les changements structurels du marché du travail et l’évolution des technologies du secteur sanitaire –, soutien aux start up innovantes dans le secteur du temps libre, de la production artistique, et de la conservation du patrimoine culturel et naturel, dons financiers adaptés pour un fond européen de stabilisation capable de faire face à un futur choc – général ou asymétrique – qui frapperait l’Union.

L’attitude irresponsable du gouvernement italien a, en fait, ouvert la campagne en vue des prochaines élections européennes, mettant sur la table une question fondamentale pour le futur de l’Union. En d’autres termes : si le budget européen continue d’être financé uniquement par des participations nationales, l’Union demeurera paralysée et incapable de fournir les biens publics nécessaires à la garantie d’un avenir de paix et de bien-être pour les citoyens européens. L’alternative que les partis doivent proposer et soutenir avec force, c’est l’avancée du processus entamé par le rapport de la Commission Monti et les suggestions des institutions européennes – le Parlement et la Commission – qui vise à introduire des ressources propres pour financer ce budget.

Le Président Macron a donné un coup de pied dans la fourmilière dans son discours à la Sorbonne quand il a proposé, en plus de la taxe sur les transactions financières, une taxe sur les entreprises du numérique et un prélèvement sur une base taxable unifiée des sociétés européennes, une taxe carbone européenne, accompagnée par un prélèvement similaire sur les importations en provenance de pays qui n’ont pas de conditions comparables au carbon pricing, et enfin de garantir un level playing field pour éviter une perte de compétitivité de l’économie européenne. Avec le taux de 50 € par tonne de CO2 recommandé par le High level Commission on Carbon Prices, et avant par Stern et Stiglitz, la recette de la carbon tax tournerait autour de 111 milliards d’euros, avec une augmentation induite sur le prix du litre d’essence, dont la différence n’est que de 11 centimes (en Italie, ndt.). Les autres 24 milliards viendraient des droits de compensation perçus aux frontières et 15-20 milliards de la vente aux enchères des droits négociables à polluer issus de l’Emission Trading System, comme le préconisait la Commission Monti. Les recettes totales pourraient donc avoisiner les 150 milliards d’euros, ce qui permettrait de doubler le budget actuel.

Cette proposition doit incarner l’ambition pour une réforme en profondeur des structures actuelles de l’Union, en particulier de la zone euro. Au cours de la longue crise commencée en 2008, la capacité d’interventions des institutions de l’Union s’est révélée inadaptée et la sortie de crise n’a été possible que grâce à la politique monétaire commencée – sous l’impulsion de Mario Draghi – par la BCE, une institution de nature fédérale, donc capable de prendre des décisions, même contre la volonté des pays les plus forts. Aujourd’hui, l’Union doit affronter de nouveaux problèmes qui vont au-delà du contrôle des migrations, si elle veut reconquérir la confiance des citoyens européens. Et la solution de ces problèmes demande inévitablement la disponibilité de ressources financières accrues.

Aux menaces posées par les partis souverainistes, qui veulent profiter du chantage au paiement de la contribution nationale due à l’Union ou d’un manque d’approvisionnement du budget financier pluriannuel, il faut donc opposer un plan qui prévoie une évolution progressive de l’Union – à partir, nécessairement de la zone euro – vers une structure de type fédéral, en commençant par attribuer de véritables ressources propres au budget européen, et en lançant de nouvelles politiques qui doivent être mises en œuvre pour répondre aux défis que l’Europe doit affronter.

La campagne pour les prochaines élections européennes a été démarrée par Salvini et par des propos souverainistes. Une première réponse est venue de la chancelière Merkel qui a misé sur un renoncement allemand à la direction de la BCE pour viser la Présidence de la Commission. Cette réponse allemande a parfaitement éclairé que l’enjeu des prochaines élections européennes est de nature politique, et concerne le processus de développement et d’unification de l’Europe. À une formation souverainiste qui trace déjà sa voie, il convient d’opposer rapidement une formation fédéraliste, avec des propositions claires et l’implication de toutes les forces démocratiques et progressistes qui, aujourd’hui, pataugent dans la crise des différents pays.

P.-S.

Alberto Majocchi

Professeur honoraire de sciences de la finance Université de Pavie, Vice-président du Centre d’études sur le fédéralisme de Turin

Traduit de l’italien par Alexandre Marin - Bruxelles